L’examen des rejets produits par une société permet d’en dresser une critique virulente. Giovanni Fontana replace le politique au centre et l’auteur dans l’engagement, questionnant un système dans lequel « la poubelle est précisément le masque tragique de la consommation ».
Giovanni Fontana, Déchets, préface de Serge Pey, Dernier Télégramme, 2014, 208 pages, 20 euros, ISBN : 978-2-917136-70-6.
Il s’agit ici de considérer les déchets issus des productions et consommations (déchets d’équipements électriques et électroniques, matériaux toxiques, solvants, pollutions, déchets organiques, nucléaires…) en prise étroite avec la société qui les produit et de percevoir les formes les plus radicales de rejets auxquelles se prête une société, par la mise à l’écart, l’exclusion d’individus (dans des camps, des bidonvilles, des ghettos, des décharges…).
« Etre rejeté et expulsé (…)
N’est pas un hasard que nous
soyons parmi les vies écartées.
Rejetées.
Dans la vie des déchets. »
La société capitaliste, dans sa production massive, n’offre plus qu’un « produit culturel bien normalisé » dans lequel « la technique de la pollution de l’imagination » est mise en œuvre et dont le système de consommation s’avère fondé « sur la génération d’un état de perpétuelle insatisfaction » .
Le texte est scandé par un leitmotiv – « Pas par hasard » – situant le rôle, l’intervention et la responsabilité d’un système dans cette « apocalypse », reprenant ainsi le titre de la préface de Serge Pey. Les lieux sont divers dans leurs situations géographiques (Chine, Naples, Afrique…) et leurs formes d’exclusion (camps de réfugiés, ghettos, décharges…).
Le texte, dans une recherche typographique, incorpore des mots de polices différentes, insérées parfois au sein d’une même phrase, se heurtant visuellement par leurs styles et leurs tailles, souvent dans de très gros formats.
Le travail de montage permet de prélever et d’assembler des éléments appartenant à des registres différents, ayant trait au textuel et à l’iconographie. Une quarantaine d’images (souvent en doubles pages ou par quatre), alternent avec des textes, ces derniers faisant l’objet eux-mêmes d’une composition par assemblage, collage et alternance de discours politique, poétique, critique. Des parties du texte, adressées au sociologue Zygmunt Bauman, l’interpellent. Une séquence du texte fait référence également à Pier Paolo Pasolini.
Les écritures introduisent des phrases en boucle et contaminent les images, desquelles s’échappe de l’écrit, rendant effective la porosité entre texte et image. Cet assemblage d’éléments, comme une superposition de voix simultanées dans une bande-son, s’organise avec les montages iconographiques que Giovanni Fontana réalise à partir de dessins, partitions de musique, bandes-dessinées, dessins animés, photographies, imagerie médicale radiographique. L’image apparaît déchirée tel le papier d’un journal. Des fragments humains (partie d’un visage zoomé, partie d’une chevelure) sont représentés, des individus enfermés dans des camps (clôtures, barbelés) ainsi que des fragments d’objets. Les images dans leur montage associent également les arts dans leur pluralité (représentations de partitions musicales, négatif de film, reproduction d’une peinture…). Les bribes de textes issus des images sont, quant à elles, en langue italienne. Le livre Déchets, écrit directement en français, s’appuie sur un livre italien de Giovanni Fontana « Questioni di scarti », La question des déchets. La préface intéressante de Serge Pey permet de resituer le travail de Giovanni Fontana en lien avec les penseurs de nos sociétés contemporaines. Déchets prend la forme ainsi d’un manifeste dans lequel Giovanni Fontana livre et suscite une critique acerbe de notre civilisation.