[Livre + chronique] Holocauste de Charles Reznikoff

[Livre + chronique] Holocauste de Charles Reznikoff

novembre 2, 2007
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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charles reznikoff Charles Reznikoff, Holocause, Prétexte éditeur,  173 p.
Traduit de l’américain et préfacé par Auxeméry. Suivi d’un entretien avec Charles Reznikoff
ISBN : 978-2-912146-24-3 // Prix : 12 €.
[site des éditions]

4ème de couverture :
"Quand les portes de derrière furent ouvertes,
ceux qui étaient à l’intérieur se tenaient droit comme des statues :
ils n’avaient pas eu la place de tomber
ni même de plier.
Parmi les morts, on vit des familles
qui se tenaient par la main,
les mains serrées si fortement
que ceux qui sortaient les morts
avaient du mal à les séparer."

Paru aux États-Unis en 1975, Holocauste a été composé à partir d’archives du Procès des Criminels devant le tribunal Militaire de Nuremberg et des enregistrements du procès d’Eichmann à Jérusalem.

"Un poète pourrait difficilement se rendre plus invisible que ne le fait Reznikoff. Pour trouver une telle approche du réel, il faudrait remonter aux grands prosateurs du début du siècle. Comme dans Tchekov ou dans les premières oeuvres de Joyce, l’ambition est de permettre aux événements de parler par eux-mêmes."
Paul Auster, in L’Art de la faim.

Extrait :
L’état doit prendre en charge ceux qui n’ont jamais eu — ou n’ont plus
le droit de vivre dans l’état,
et l’état a le devoir de se servir de leur force tant qu’elle dure
pour le bien de l’état.
Ils doivent être nourris, abrités et traités de telle sorte
qu’on les utilise autant que possible
aux moindres frais possibles.

Demandez autant de travail possible aux jeunes et aux forts
dans les camps de concentration — ou à l’usine ou aux champs — et donnez aussi peu que possible — en vêtements ou en nourriture.
Que meurent aussi ceux qui ne peuvent pas travailler vite
ou s’ils ne veulent pas travailler
qu’on les pende
et qu’on les laisse se balancer
pour que les autres les voient.

Approche de l’objectivisime de Reznikoff :
Tel que l’énonce parfaitement dès sa préface Auxeméry, Charles Reznikoff, avec George Oppen, Carl Rakozi et Louis Zukofsky, sont les créateurs du groupe des poètes "objectivistes".
Holocauste, comme Testimony The United States 1885-1890, sont des oeuvres emblématiques de cette recherche poétique.
Au début des années 1980, alors que le révisionnisme avait droit de citer en France, notamment parl’intermédiaire de Faurisson, et de son école d’hyper-critique, Jean-François Lyotard, s’attacha à comprendre ce que pouvait être le témoignage, et plus exactement quelle était la possibilité de témoigner de ce qui avait lieu en tant que Shoah. Le différend, qu’il écrivit alors, tentait de faire la distinction entre le litige, où les deux protagonistes peuvent s’exprimer, s’expliquer, se contre-dire et le différend, cas, où la victime, n’a plus aucun moyen de témoigner, au sens où, quoi qu’elle dise, elle ne sera pas écoutée, elle ne sera pas crue [cf. à ce sujet Naufragés, rescapés de Primo-Lévi]. Un différend est ce cas précis où, une victime ne peut plus être entendue. Cas où la voix se tait, s’effondre dans son énonciation. Nous le savons, au milieu des années 1980, si Claude Lanzmann, réalise Shoah, c’est en liaison à cette question, et à l’entente de ce qui a eu lieu. Car ce qu’il met en évidence, c’est que la possibilité de saisir la Shoah, ne peut passer ni par le silence, ni par la représentation, ou sur-détermination de la représentation. On se souvient de sa critique de La liste de Schindler de Spielberg.
Comment entendre la victime de la Shoah, dès lors que nous ne pouvons plus, sous peine de masquer sa parole ou la victime elle-même, être dans la représentation ? Pour quelle raison, la représentation est-elle mise à distance ?

La représentation, si elle touche, notamment quant aux questions de souffrance, c’est qu’elle construit la possibilité d’un affect lié à elle-même, à sa manière d’interpréter ce qu’elle donne à lire ou à voir. En ce sens, dans une perspective critique, plutôt platonicienne, il est évident, que la représentation ne donne pas accès véritablement à la chose, mais à son simulacre. Il  y a confusion entre ce qui est vu, et ce à quoi renvoie ce qui est vu. Ce qui m’affecte n’est ps de prime abord ce à quoi renvoie ce qui est vu, mais ce qui est vu en tant que création. Si La vie est belle de Benigni a fonctionné, c’est que cette histoire reposait sur l’enfant, et sur la compassion de l’enfant. Ce qui domine dans la représentation tient donc aux affects liés à ce qui est propre à la représentation. La Shoah, pouvant même devenir seulement contextuelle, pouvant être neutralisée par la représentation. <br />Pourquoi le témoin de la Shoah se tait, tel que l’analyse Lyotard, c’est parce que justement, il ne peut dire ce qui ne sera jamais adéquatement tenu dans le dire. Son silence enveloppe un dire qui le dépasse.

C’est pourquoi, contre une certaine forme de catharsis par l’émotion, et donc contre une certaine forme de surpuissance tragique liée à une poétique de l’affect, Reznikoff prône un travail d’effacement de l’affect et de mise en dispositif objective du dire à partir de la trace du témoignage. Il rappelle cela au tout début de son entretien avec Auxemery, en citant une introduction d’A.C. Graham à un vieux texte chinois datantde 1000 ans : "la poésie présente l’objet afin de susciter la sensation. Elle doit être très précise sur l’objet et réticente à l’émotion".
L’objectivisme poétique n’a pas recourt à l’empathie par l’émotion, par la construction d’un imaginaire prompt à déclencher le sentiment, mais il se constitue dans la précision de l’objet, son élaboration formelle.
Le travail de Reznikoff est en ce sens une forme de collage, de mise en relation de fragments disjoints de témoignages, de déclarations selon une logique de recontextualistaiondéplacement.
La recontextualisation des fragments, des traces ets double : 1/ elle tient à la fois au déplacement opéré d’un genre textuel à un autre. Nous passons de l’histoire et des archives, donc du document, au texte littéraire, au texte poétique. 2/ il ne s’agit pas d’aligner seulement des fragments, mais il y a une élaboration formelle (visible par la versification) qui donne un rythme, un enchaînement à ces fragments : "je crois qu’il faut nommer, nommer, toujours nommer — et nommer de telle sorte que naisse un rythme, puisque la musique fait partie du sens".
Ce n’est pas la représentation qui affecte, donc la création d’une image, mais le travail de combinaison, de mise en relation des éléments documentaires qui préexistent.
Toutefois, et ce point ici est important, face à une certaine illusion d’en finir avec le sujet — comme si … — l’objectivisme n’est pas la négation de la subjectivité, mais la subjectivité au lieu de pointer en direction d’elle-même et donc de donner sa représentation, ne donne que ce qui objectivment l’a marqué :

 

"Par le terme "objectiviste", je pense que l’on veut parler d’un auteur qui ne décrit pas directement ses émotions mais ce qu’il voit et ce qu’il entend, qui s’en tient presque au témoignage de tribunal"

Le sujet hante bien évidemment le texte, mais il n’est plus premier quant à l’expression, ce qui ressort du lyrisme, ou bien encore de toute la tradition post-surréaliste où ce qui domine est la part inconsciente des associations du sujet, mais il n’est plus que plaque logo-graphique où l’évènement se fait impression, et qu’il redonne selon une transformation formelle des liaison. Le sujet est surface sensible, il est lieu de recombinaison, mais il s’efface quant à son ressenti, pour laisser la place à ce qui l’impacte. Il est un récepteur-transformateur.

Cette poésie est en ce sens bien évidemment à relier à la question du document. Tel que l’analysait parfaitement Derrida, le témoignage est toujours cet entrelacement de l’objectif et du subjectif. Alors que le poème lyrique, par la surdimension des éléments produits par le sujet, renvoie à la subjectivité, dans laquelle s’effondre toute objectivité du monde (c’ets pourquoi il ne peut y avoir sérieusement de poésie réellement politique liée au lyrisme contrairement à ce qui s’est constitué depuis deux siècles) , la poésie objective, telle qu’elle est créée par Reznikoff fonctionne à partir du document, à savoir de l’objet. L’objet linguistique du poème est un document, qui porte en lui plusieurs déterminations. Poésie ambigüe et forcément critique par rapport à la poésie. Car de telles poésies posent la question même de leur nature. Ne s’agirait-il pas d’un témoignage sur le témoignage ?

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Philippe Boisnard

Co-fondateur de Libr-critique.com et administrateur du site. Publie en revue (JAVA, DOC(K)S, Fusees, Action Poetique, Talkie-Walkie ...). Fait de nombreuses lectures et performances videos/sonores. Vient de paraitre [+]decembre 2006 Anthologie aux editions bleu du ciel, sous la direction d'Henri Deluy. a paraitre : [+] mars 2007 : Pan Cake aux éditions Hermaphrodites.[roman] [+]mars 2007 : 22 avril, livre collectif, sous la direction d'Alain Jugnon, editions Le grand souffle [philosophie politique] [+]mai 2007 : c'est-à-dire, aux éditions L'ane qui butine [poesie] [+] juin 2007 : C.L.O.M (Joel Hubaut), aux éditions Le clou dans le fer [essai ethico-esthétique].

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