Jean-Michel ESPITALLIER, Cent quarante-huit propositions sur la vie et la mort & autres petits traités, Al dante, 2011, 104 pages, 13 €, ISBN : 978-2-84761-864-8.
Après une ouverture postmoderne sur la notion de "traitement", outre que l’auteur vous offre ironiquement la possibilité de calculer "la date de votre mort" et, comme autre divertissement, une loufoque "Parabole du pin parasol" qui joue du paradoxe et du paralogisme, avec "Cent quarante-huit propositions sur la vie et la mort" comme avec "Tractatus logo mecanicus", Jean-Michel Espitallier propose de petits exercices de déconstruction placés à l’enseigne de Wittgenstein (1889-1951)…
De la philosophie analytique de Wittgenstein, Jean-Michel Espitallier retient le logicisme aphoristique, la proximité numérique comme logique de classement, le principe de vérifiabilité, la dimension non doctrinale et le rejet des "professionnels de la pensée", qui "exercent même parfois leurs pensées sur les pensées d’autres professionnels de la pensée formulées afin de débrouiller d’autres pensées (parfois d’autres pensées d’autres professionnels de la pensée)" (p. 82)…
Wittgenstein distingue les propositions sensées – liées à "l’image logique des faits" que constitue la pensée –, les propositions insensées (métaphysiques surtout) et les propositions hors du sens (lois logiques ou tautologies). Jean-Michel Espitallier joue de ces dernières et, sensible aux limites du sens, s’attaque aux propositions faussement sensées qui ressortissent au discours positiviste et moralisateur ambiant. Et de lancer un clin d’œil malicieux à l’éminent philosophe : le postulat "Le monde est la totalité des faits" devient "Le monde est la somme de tout ce qui est ici plus tout ce qui est là-bas" (41), qui ouvre la porte à de subtiles variations humoristiques…
Dans cette perspective, les exercices de déconstruction de "Cent quanrante-huit propositions sur la vie et la mort" comme du "Tractatus logo mecanicus" permettent de passer au crible de l’esprit critique de nombreux lieux communs ; vous attendent apories, paradoxes, tautologies et diverses drôleries… Quelques exemples : « L’expression "c’est pas une vie" laisse accroire qu’il existerait, quelque part, une sorte d’étalon-vie (auquel on aurait dérogé) » (p. 20) ; « "DANGER DE MORT" est en réalité un énoncé pléonastique » (23) ; « L’expression "venir à la vie" est donc un abus de langage puisque, prise à la lettre, elle sous-entendrait que l’intéressé auquel s’applique cette observation viendrait d’un ailleurs qui ne serait pas la vie » (38)… Au passage, il montre en quoi l’interrogation sur les origines est une aporie puisque enclenchant une démonstration ad aeternum. Quant au Tractatus logo mecanicus, déjà publié en 2006 chez Al dante, il développe jusqu’au vertige des variations sur la pensée et le pensable, allant jusqu’à tenter de briser le cercle réflexif : "La pensée peut aussi se concevoir comme un engin de résistance à la pensée de penser à penser" (62). Un cercle réflexif qui se révèle infernal : « L’énoncé "il est sorti de mes pensées" est trompeur puisque si l’objet de mes pensées était vraiment sorti de mes pensées, je ne pourrais penser qu’il en est sorti » (77)… Du Tractatus logo-philosophicus on est passé au Tractatus logo mecanicus.