La dixième livraison de ce work in progress consacré à Jean-Michel Espitallier sera consacrée à son dernier livre, ce recueil qui permet de mettre en perspective l’ensemble de l’œuvre. [Libr-Java 9]
Jean-Michel Espitallier, Salle des machines, Flammarion, "Poésie", 2015, 240 pages, 18 €, ISBN : 978-2-0813-0751-3.
Cette somme nous fait bel et bien entrer dans la salle des machines spitallienne, dans la mesure où elle nous donne un aperçu des quatre moments que distingue l’auteur lui-même dans son itinéraire de poète-bricoleur : les premiers textes (1984-1994) déclinent diverses facettes de la modernité ; la deuxième période est constituée de la grotesque "Fantaisie bouchère" ; la troisième du montage critique "En guerre" ; la quatrième et dernière rassemble "les petites machines textuelles" qui devaient donner Théorème Espitallier II.
Concentrons-nous sur "En guerre" (Inventaire / Invention, 2004 ; Publie.net, 2012, qui pourrait bien être l’hypotexte de l’épopée poético-trash signée Emmanuel Adely, La Très Bouleversante Confession de l’homme qui a abattu le plus grand fils de pute que la terre ait porté (Inculte, 2013) : "À la différence du livre sur la guerre, le livre en guerre capture des morceaux de guerre pour faire livre. Et parce qu’un livre est toujours en guerre. Même s’il ne parle pas de la guerre" (p. 125). Tandis que l’hypertexte joue complaisamment avec les codes du film hollywoodien et les représentations dominantes – faisant la part belle au lexique sexuel et hygiéniste – pour nous plonger en pleine action au plus près des "héros" qui ont traqué Ben Laden et de leur pensée-flash/trash, le texte d’Espitallier fait de cette opération une "comédie médicale", la renvoyant à ce qu’elle est fondamentalement : "Bad Gag"… Les listes et boucles spitalliennes nous conduisent au paradoxe et au nonsense. Pour notre plus grand plaisir ! On en jugera en mettant en regard les deux écritures :
"Nous sommes les forces du bien et nous devons faire mal au mal pour le bien de l’axe du mal dont le bien est le mal" (131).
"Revenons à l’histoire de la traque. On l’attend là, bien sûr, pour lui régler son compte. C’est plutôt pour son bien. Et pour le nôtre. Et pour le bien du bien. Mais voilà, il ne vient pas. Jeu de cache-cache. C’est agaçant. On le menace. Au nom du bien. Il ne vient pas" (137)…
Loin de cette spirale vertigineuse, le choix d’une dangereuse proximité avec une doxa et une volonté de puissance fascinantes :
"mais ils ont choisi le Bien
oui
le Bien
et faire couler le sang pour défendre le monde libre"…
"tu niques les cellules terroristes tu nettoies t’es qu’un putain d’éboueur qui ramasse la merde
toujours niquer l’ennemi terroriste des lâches sans visage qui ont même pas droit au nom de combattants"…
"c’est toi au-dessus du corps toi debout au-dessus du corps que t’as baisé bien profond c’est toi au-dessus du corps que t’as baisé bien profond parce que t’es un mâle" (Adely, p. 13, 61 et 100)…