[Livre + chronique] l'E.T. fiction concrète, de Dominiq Jenvrey

[Livre + chronique] l’E.T. fiction concrète, de Dominiq Jenvrey

octobre 20, 2008
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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  Dominiq Jenvrey, l’E.T. fiction concrète, ed. Seuil, col. Déplacements, 109 p. ISBN : 978-2-02-096777-8, Prix : 14 €.

[4ème de couverture]

Une rencontre extraterreste aura bien lieu un jour. Autant le prévoir.
La question n’est pas: une rencontre extraterrestre a-t-elle eu lieu ? Mais plutôt : une rencontre extraterrestre aura lieu quand ? Parce qu’une rencontre de ce type modifiera radicalement le monde, autant y penser maintenant.
Ce livre permet de s’y préparer concrètement.
C’est quoi une rencontre extraterrestre ? Quelles actions vont en résulter ? Le capitalisme va-t-il y survivre ? Comment le militaire y fera face ?
Notre langue est-elle prête ?
La littérature sauvera-t-elle le monde ?
Ce livre apporte des réponse.
Ce livre est une fiction concrète.

[Chronique]
Soit une fiction concrète ? Une fiction concrète, n’est pas réellement une fiction pure et simple. Rencontrer une licorne est une fiction non concrète, qui ne révèle rien,car la possibilité de cette rencontre tend vers zéro. Passer une soirée avec Gandalf le blanc est une fiction. La fiction concrète est ce que l’on nomme précisément une fiction révélante. Non pas que ce qui est pensé, on en est fait l’expérience, mais au sens où la possibilité même soit suffisante pour nous amener à créer une fiction. Il y a des fictions révélantes et insistantes dans l’histoire de l’humanité, ou plus exactement, il y a des phénomènes qui insistent au niveau de la conscience humaine, qui implique la création, et la multiplication des fictions révélantes. La mort, en tant que finitude de notre existence, l’impossibilité de tout autre forme de possible, s’est révélée, au même titre que l’intuition de Dieu, comme phénomène déclencheur de fictions révélantes. Mais la finitude de notre propre existence n’est peut-être pas, le phénomène définitif, auquel la langue s’affronte et s’affrontera.
C’est cette voie qu’emprunte Dominiq Jenvrey, pour constituer la mise au jour d’un autre phénomène qui pourrait être le lieu de penser la possibilité de fictions révélantes qui seraient des expériences totales. Dominiq Jenvrey, ainsi, mettant en critique ce que dit Foucault à la page 394 de Les mots et les Choses, posant que le lieu intime de la limite de notre langue serait notre propre finitude, montre tout au long de son essai, en quel sens la question de la possible rencontre d’extraterrestres pourrait, voire devrait (car il s’agit aussi bien d’une critique de la littérature que d’un plaidoyer) ouvrir transformer radicalement notre langue, à en inventer de nouvelles formes, de nouvelles possibilités, du fait de l’absolu inconnu qui se présente ici dans la question.

E.T. fiction concrète, n’est pas à proprement parlé une fiction, au sens où il ne parle pas d’extraterrestres, il ne fait pas une fiction sur les extraterrestres. Davantage un essai philosophique, voire de phénoménologie du langage, sur conscience et psychologie, et sur les possibilités de la langue, il interroge les conditions de possibilité d’une langue littéraire qui se poserait dans l’anticipation de l’expérience totale que représenterait rencontrer des extraterrestres.
Il est en effet à noter que n’a pas été ouvert encore le chantier de ce que serait la langue de cette expérience totale. Contrairement à la mort qui a amené la création de langues, et de fictions conscrètes, que cela soit au niveau de la religion, que de la littérature (et je pense à Artaud) qu’au niveau de la philosophie (relire de Platon à Heidegger, l’invention de la langue et des fictions révélantes pour saisir l’impossible saisie de la mort (l’aporie donc de la langue)). Il y a bien des fictions sur les extraterrestres, mais selon un régime linguistique qui ne traduit pas l’expérience totale. Un roman de science-fiction n’est pas une fiction révélante, car la langue n’y fait pas l’expérience de l’inconnu radical de la rencontre. La langue et sa logique sont prises dans la logique capitaliste de la spectacularisation de la rencontre selon une dimension esthétique consumériste.
Dominiq Jenvrey ainsi ouvre à des conditions de possibilité, il analyse les conséquences de la rencontre et de quelle manière, penser cette rencontre devrait se révéler être une urgence pour la littérature, plutôt que de parler du petit moi, s’enfermer dans la seule dimension de son espèce.
Car c’est cela le problème des hommes, y compris ceux de la littérature contemporaine, c’est qu’ils s’enferment dans l’espèce. Ils sont au-dedans de l’espèce, et des espèces de l’espèce et tout ce qu’ils voient est contraint d’entrer dans les critères de la certitude de leur espèce (cf. Hegel, qui définit parfaitement toute cette logique). Le problème, c’est que l’homme restant enfermer dans son espèce n’est pas prêt à la rencontre extraterrestre. Il n’est pas prêt et cela apparaît à travers l’histoire en résumé que fait Dominiq Jenvrey des rencontres témoignées avec les extraterrestres ("à la langue qu’y fera-t-il l’homme après avoir vu des extraterrestres ?").
Or, qui mieux que la littérature pourrait préparer à la rencontre avec les extraterrestres ? Qui mieux que la littérature, qui ne dépendant d’aucuns critères de vérification, et donc d’aucun syndrôme de la vérité, pourrait ouvrir à cette rencontre possible, à cette expérience totale ? Qui mieux ? Oui, qui mieux qu’elle ? si cependant elle n’avait pas honte de parler des extraterrestres. Car "faut-il que la littérature ait honte de ce qu’elle dit / les extraterrestres seraient-ils cette honte doit-on créer une langue de la rencontre une langue qui n’aurait pas honte de la rencontre" (p.41)

La littérature a honte de parler des extraterrestres, et d’ailleurs elle a honte de ceux qui parlent des extraterrestres, ne lisant pas le livre, et le rejetant d’emblée [lire +]. La littérature a honte de se poser la question extraterrestre de l’extraterrestre, comme si ce motif là, n’avait pas une importance pourtant visible, comme si, l’extraterrestre pour la littérature était inaccessible parce que déjà happé par un système de création du spectacle. C’est bien cela qui agit sur la littérature, et ceci inconsciemment, en tant que signification imaginaire assimilée, et impensée : l’extraterrestre n’est pas un objet littéraire sérieux car il appartient au domaine des fantaisies. Exit l’ET, on le laisse à Spielberg.
Pourtant, et Dominiq Jenvrey a raison dans son insistance, il faudrait penser à cette éventualité et entrer dans le jeu de la fiction concrète, de celle qui implique changement de conscience et psychologie et de venir de la langue.

 

"Il s’agit pour la littérature, pour la pensée alors, de se créer inrinsèquement une ambition excessive. Parce qu’il n’y a pas de plus grand inconnu pour la pensée que l’extraterrestre, parce que l’extraterrestre est l’excès même" (p.105).

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Philippe Boisnard

Co-fondateur de Libr-critique.com et administrateur du site. Publie en revue (JAVA, DOC(K)S, Fusees, Action Poetique, Talkie-Walkie ...). Fait de nombreuses lectures et performances videos/sonores. Vient de paraitre [+]decembre 2006 Anthologie aux editions bleu du ciel, sous la direction d'Henri Deluy. a paraitre : [+] mars 2007 : Pan Cake aux éditions Hermaphrodites.[roman] [+]mars 2007 : 22 avril, livre collectif, sous la direction d'Alain Jugnon, editions Le grand souffle [philosophie politique] [+]mai 2007 : c'est-à-dire, aux éditions L'ane qui butine [poesie] [+] juin 2007 : C.L.O.M (Joel Hubaut), aux éditions Le clou dans le fer [essai ethico-esthétique].

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