[Livre-chronique] Patrice Robin, Voyage à Blue Gap, par Patrick Varetz

[Livre-chronique] Patrice Robin, Voyage à Blue Gap, par Patrick Varetz

mai 18, 2011
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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Patrice Robin, Le voyage à Blue Gap. P.O.L, mai 2011, 144 pages, 11 €, ISBN : 978-2-8180-1388-5.

Patrice Robin ouvre une brèche dans le bleu du ciel.

Dans Le Voyage à Blue Gap, Patrice Robin – qui d’habitude s’attache à occuper l’espace très restreint de ses livres – s’efface cette fois devant quelque chose qui le dépasse. Bien sûr, il veille toujours à préciser le réel avec ce souci de l’économie qui le distingue, mais, demeuré en retrait, il permet au texte d’effleurer – sans la dire – une dimension jamais abordée. Ce qui se taisait dans les récits précédents, et qui posait question, relevait surtout des motivations obscures du fils. Pourquoi se laissait-il ainsi pousser les muscles ? Pourquoi voulait-il à ce point devenir écrivain ? Comme s’il lui fallait sans relâche se construire à l’image exacte du père, où par opposition à elle : tout commerce se révélant en l’espèce difficile. Et voilà que maintenant c’est autre chose.

Le Voyage à Blue Gap, en territoire Navajo, s’ouvre aux grands espaces et permet à l’écrivain – selon ses propres mots – de respirer. S’effaçant, il ne peut que fondre son souffle dans les paysages du Grand Ouest américain qui le dominent. Projeté vers l’infiniment petit de soi à l’issue d’un vol initiatique au-dessus de l’Atlantique, il prend conscience des éléments primordiaux que sont le ciel et la terre, et aussi l’eau de la mémoire. Quand il reviendra en France, au terme de son périple au cœur des rochers, dans le Canyon de Chelly, il aura abandonné derrière lui le vieil homme. Pour évoquer le ciel, à son retour, il en précise la lumière : "Depuis un moment, la lumière du jour avait faibli, demeurait ainsi, entre chien et loup. Plus tard, une barre d’un rose léger est apparue à l’horizon, a coloré, par traînées successives, le voile de brume recouvrant l’océan, l’extrêmité de l’aile aussi, avant d’exploser délicatement dans le ciel entier puis redescendre, en pluie de lumière, au-dessus des nuages, s’estomper enfin et laisser place à la blancheur de l’aube". Pour renouer avec la terre, une fois sa parabole achevée, il reprend de la hauteur, comme gagné par quelque aspiration muette : "Je tape Blue Gap Arizona parfois sur Google Earth, regarde la terre pivoter sur elle-même, me laisse aspirer vers l’Amérique toute entière, l’Ouest et l’Arizona, m’immobilise enfin au-dessus du paysage lunaire de la réserve […] Je termine toujours par un long et dernier zoom avant, suivi d’un lent panoramique vers l’ouest, puis me pose en douceur sur la plaine juste en face de la brèche bleue." Pour convoquer l’eau de la mémoire, enfin, il récite désormais un chant indien : "Cette eau qui coule, cette eau qui coule – Mon esprit la parcourt – Cette eau largement répandue, cette eau qui coule – Mon esprit la parcourt – Cette eau du vieil âge, cette eau qui coule – Mon esprit la parcourt."

Dans Le voyage à Blue Gap, le narrateur traverse des paysages qui sont autant de décors de films : La Charge héroïque, La Chevauchée fantastique, La Captive du désert. Peu à peu, tandis qu’il combat son vertige, s’élevant vers le ciel et plongeant du même coup dans les ténèbres d’anciennes habitations troglodytes, il érode son imaginaire et l’apure. Il s’abandonne à la description : "L’anfractuosité, extrêmement étroite vue d’en bas, semblait la mince fente d’un œil, le trou noir d’une fenêtre en son centre exact, une sombre pupille." C’est l’éternelle histoire de l’œil qui une nouvelle fois se trame, celle qui nous ramène à la figure de la mère. Car, après avoir traité quatre livres de rang du commerce du père, Patrice Robin se frotte désormais à celui de la mère et de la mort.

Que reste-t-il de vous, quand la mémoire de votre mère – frappée d’une dégénérescence de type Alzheimer – s’efface ? Que reste-t-il de vous quand, descendants des tribus indiennes, on s’obstine à vous effacer de la mémoire des autres hommes ? C’est sans doute pour répondre à l’insistance de telles questions que Patrice Robin a retracé scrupuleusement son voyage à Blue Gap. Ce faisant, il s’est ouvert à la spiritualité, s’instituant le témoin discret de forces invisibles, de celles que convoquent les Navajos à l’occasion de leurs rites de purification. Et, comme toujours, la grande force de l’auteur consiste à nous taire l’essentiel, qui relève ici de l’indicible. On ressort de ce livre apaisé.

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rédaction

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