Gottfried Gröll, Vie & Opinions, ed. Le Quartanier, coL. Phacochères, 31 p. ISBN : 978-2-923400-36-5, 8 €.
[4ème de couverture]
OK OK dit Gröll la poésie c’est balancer des pavés d’émotion dans la langue à coups de pioche sans préoccupations de blabla. C’est exprimer des pensées qui ne sont pas celles du putois ou du kakatoès mais se rapprochent plutôt de l’homme qui se cache derrière l’homme. On débite d’amour de mort de flic de fric et d’un tas d’autres trucs très chouettes qu’on trouve en observant le monde à l’aide du regard et ça fait danser le neurone de tête en rythme. Mais sur quel pied qui le sait ? Gröll a de la poésie plein les chaussettes qui lui remonte jusqu’à la casquette et ça lui procure des scintillations de jovialité. C’est mieux que de s’asticoter le bas du slip avec des pincettes.
Gröll n’est pas né en France, comme son nom l’indique. Ni de la dernière pluie. Il est citoyen de Belgie installé à Paris. C’est pourquoi il écrit dans la langue de Robespierre. Il n’a pas de publications à son nom mais bien d’autres. Ce qui n’est pas toujours le cas et réciproquement. Il exerce divers métiers plus ou moins stationnaires et peu rémunérateurs en termes de fric mais n’est pas flic et ne cherche pas à le devenir. Ni poète non plus. Il préfère conduire des tracteurs à moteur ou vendre des chaussettes qu’on porte en bas des jambes. Gröll vous salue bien dans le sens de la fraternité universelle.
[Chronique]
Alors que vient juste de sortir aux éditions Flammarion, l’anthologie du Jardin Ouvrier faite par Ivar Ch’vavar, nous pourrions mettre en relation, ce livre de Gröll, avec ce qui avait lieu dans cette revue, à savoir la multiplication des hétéronymes. En effet, ce qui caractérisait le travail de Ivar Ch’vavar, c’était qu’au milieu des auteurs bien réels, faits de chair et d’os, tels Nathalie Quintane, Christophe Manon, Lucien Suel et tant d’autres, s’intercalaient des textes d’Ivar Ch’Vavar, écrit sous pseudonyme. Ces autres de lui-même, loin de reprendre tout à la fois la même langue, et les mêmes thèmes, se différenciaient très fortement, au point d’être parfois radicalement différent, posés au coeur même du différend sexuel, comme c’était le cas avec Evelyne Nourtier Salope, radicalité féminine pointant sa langue au coeur d’un abcès de folie.
On l’aura compris, Gottfried Gröll est un hétéronyme. J’ai ma propre hypothèse, quasi-certitude, sur l’identité qui se cache derrière, que bien entendu je tairai ici. Même si je puis dire que l’auteur qui écrit, tout en étant lié au Jardin Ouvrier, n’est cependant pas Ch’Vavar me semble-t-il.
Vie & opinions, se présente comme un texte schizé de Gröll. Gröll, parlant de lui-même, et tout simplement de l’existence, la reprenant dans le filtre de sa langue, la découvrant à travers des notes tout à la fois courtes, précises et souvent emplies d’une certaine forme de jugement, mettant en évidence ou pointant du doigt des phénomènes précis : tels que l’être, la mort, la poésie, la violence, la France, les animaux, le chien en particulier, le baiser, l’amour et Gröll lui-même. Vie & opinions est un recueil d’opinions sur la vie, ou encore de la vie en tant que lieu où naissent des jugements sur ce qui fait la vie. Ceci se constitue dans une certaine forme d’idiotie poétique. Non pas l’idiotie de la bêtise, mais l’idiotie de celui qui observe les phénomènes tels qu’ils se montrent en les décrivant dans leur forme la plus naïve et crue :
Mourir c’est partir six pieds sous terre les pieds
devant. Avant de mourir il y a vivre et c’est un
phénomène de joie qui se répète chaque jour avec
des variations et aussi des absences aussi. Les morts
ont souvent plein de morts dans leur famille. Ce qui
peut laisser supposer que la mort est héréditaire.
Mais ce n’est qu’une hypothèse.
Cette idiotie de Gröll, c’est ce qui le met en relation d’immanence avec les choses et les êtres, avec l’être en général, en tant qu’il est flux et temps. C’est en ce sens, qu’il peut écrire que "Gröll n’arrive pas à comprendre ce qui / en lui tient du dieu et ce qui tient de l’idiot / à une cloison d’intervalle" [p.29].
Gröll dans ses opinions juge, l’ensemble de ce texte a ainsi une forme d’horizon moral. Les fondements de ces jugements, nous pouvons les retrouver dans une forme de proximité à Badiou, me semble-t-il, au sens où plusieurs indices renvoient à cet auteur, aussi bien au niveau de l’ontologie générale ("Les mathématiques fournissent à l’intelligence / les qualités étrangères nécessaires à l’édification de l’être. Ma mathématique est science de l’être en tant qu’être" [p.24]) qu’au niveau de la volonté politique ("Politique maintient l’idée en avant de nécessité. Politique c’est décision et volonté de changer qui se branle des contraintes d’économie."[p19]). Ceci ressort parfaitement lorsqu’il parle du poète ou bien encore de la France, deux strophes d’ailleurs réunies dans une même page. La critique politique qu’opère Gröll attaque aussi bien d’un côté une forme de néo-libéralisme poétique, ou encore la constante d’un amour propre du poète le conduisant à faire fructifier son oeuvre comme valeur d’échange économique, qu’une forme de critique des français en tant que conservateurs, qui ont oublié la révolution, et mélangeant le droit de vote "avec du pastis d’apéritif à base de chips et cacahuètes / en prononçant des blagues racistes sur l’amitié des peuples"[p.28].
Si ce petit livre a de réelles qualités au niveau des formules, reste que le parti pris d’un engagement dans une poésie plutôt morale d’un point de vue si évident, pourrait paraître maladroit. On me dira cependant, que c’est un hétéronyme. Toutefois, sachant qui s’écrit ainsi par derrière, il n’y a que très peu de différence avec certains textes actuels de l’auteur. Plutôt que poésie critique, qui dissèque, évitant la prise de position trop inscrite, nous faisons face à une poésie engagée, dénonciatrice, faisant référence explicitement à des positions politiques. Ce livre, j’en suis certain trouvera une bonne réception chez certains lecteurs, chez d’autres il semblera par moment, non plus idiot au sens où il se présente, mais manichéen, voire caricatural quant à ses formulations.
j’aime bien Gröll, il m’avait envoyé des choses il y a longtemps, je pensais qu’il s’agissait de quelqu’un que je connaissais, mais pas du tout en fait… Mais finalement il s’agit bien d’un pseudo ? Dans ce cas c’est pas étonnant que tu fasses le lien également avec le J.O.
j’ai du mal à comprendre ces formules – trop systématiques pour n’être pas le pur reflet d’un apprentissage – aux termes desquelles « le parti pris d’un engagement dans une poésie plutôt morale (les italiques doivent souligner un gros mot) d’un point de vue si évident, pourrait paraître maladroit. »
en quoi l' »engagement », en poésie, et spécialement l’engagement sincère, c’est-à-dire « évident », serait nécessairement maladroit ?
est-ce que ce n’est pas plutôt l’engagement contorsionné, élastique, qui peut être regardé comme maladroit ? est-ce que ce n’est pas plutôt l’absence même d’engagement – et l’absence même d’engagement « évident » (ce qui n’exclut ni la nuance, ni l’humour) – qui peut être regardé comme une lâcheté, comme une bassesse historique ?
malgré l’hétéronyme, qui ici est authentique ? qui existe vraiment et pas dans le vide ?
je conviens par avance qu’il n’y a pas de réponse univoque à toutes ces questions. reste qu’il est grand temps, à mon avis, de ne plus tolérer sans moufter ce brouillage des perspectives qui passe aujourd’hui pour tellement « évident ».
« poésie et histoire même combat » (yves bonnefoy).
Si je dis que cette poésie est plutôt du côté de la moral, c’est qu’en effet, elle implique un jugement moral, par rapport à un certain nombre de sujets, et qu’elle fixe les critères de son jugement quasi-ontologiquement sur la question de l’égalité et de la fraternité. De plus il y a, ce qui est dit, des formes de jugement qui sont je cris caricaturaux : à savoir qui désignent maladroitement des ensembles : « les poètes » « les français », etc…
Je trouve ce type d’engagement maladroit. Par exemple, en opposition, même si je pense qu’il pourrait être lui-même, critiqué, la question, la remise en question plus exactement de Bégaudeau par rapport à l’engagement dans Devenirs roman m’intéresse davantage. Comme reposer la question de l’engagement ? Qu’est-ce que cela implique ?
J’apprécie de même énormément quand Cristian Prigent dans Ne me faîtes pas dire ce que je n’écris pas explique par rapport à l’engagement maoiste, qu’en effet il serait actuellement intenable de se situer ainsi.
C’est ce que je crois, et je pense d’ailleurs que Badiou, comme référent, est une forme de polarisation illusoire de la possibilité révolutionnaire.
La poésie, quand elle devient affirmation politique, court le risque d’être caduque. Voilà ce que je pense.
Quand à votre référence à l’apprentissage : de fait tout ce qu enous disons est toujours le résultat d’une assimilation qui est passée par un apprentissage. Arrêtez avec ce type de remarques, qui ne dit vraiment rien.
Oui, aussi, j’y repense : par rapport à ce que tu appelles l’eslasticité, ou encore ls jeux d’ambiguité, de faus semblant, de pièges critiques (termes qui me sont plus propres et qui désignent plus une réalité littéraire actuelle).
Hier au Mardi littéraire, Pascale Casanova, Thomas Clerc et Zahia Rahmani, parlait à un moment du livre Civil de Daniel Foucard. On voyait Thomas Clerc désarçonnait quant à sa critique, ne saisissant pas vraiment les enjeux de ce qui avait lieu, en quel sens, notre rapport à laloi, se fait dans une forme d’ambiguité, de mise en suspension du jugement, de regard auto-réflexif critique, voyant tout à la fois son inscription en nous, et d’autre part la monstruosité de ses énoncés. Alors que Zahia Rahmani, heureusement qu’elle était là, a remis avec pertinence en question la question de ce livre, dans l’horizon même de mon analyse (Lire). Elle montrait, sans malheureusement être encore assez précise sur les notes insérées par Daniel Foucard, en quel sens ce qui se jouait dans le texte, était cette tension de notre rapport à la loi. Et justement expliquait à l’encontre de Thomas Clerc, en quel sens justement il ne s’agissait pas de détournement classique, ou encore de volonté explicite contre la loi.
La question de l’engagement, en cette heure et en ce lieu, ne peut pls tenir dans la formulation explicite et idéale de la révolution telle qu’elle a été revendiquée au cours du XXème siècle notamment. Car ce serait faire fie de la transformation, ou révélation explicite de ce qui motive les hommes.
C’est seulement à l’aune de ce que je nomme depuis quelqus années un retour à l’humanisme du XVIème – XVIIème (de Machiavel à Spinoza) que nous pouvons repenser notre rapport au monde et alors nos formulations politiques.
Je le redis, faire de la poésie un lieu explicite pour certaines formulations, quoi que tu en penses, c’est courir le risque d’impliquer une forme de discrédit à ce qui est écrit, le risuqe d’être jugé comme idéaliste, etc… Je dirai pour reprendre le texte de Gröll que c’est là pour moi, son côté absolument « idiot », non pas proche du dieu.