[Livre] Jean-Claude Pinson, Alphabet cyrillique

[Livre] Jean-Claude Pinson, Alphabet cyrillique

mai 13, 2016
in Category: Livres reçus, UNE
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[Livre] Jean-Claude Pinson, Alphabet cyrillique

Peu avant la sortie du numéro spécial que la revue NU(e) a consacré à Jean-Claude Pinson – qui reprend le Grand entretien paru sur Libr-critique ("Poéthiquement impur") -, revenons sur une somme entamée il y a déjà quelques années.

Jean-Claude Pinson, Alphabet cyrillique, Champ Vallon, novembre 2015, 270 pages, 24 €, ISBN : 979-10-267-0084-5. [Extrait sur Libr-critique : ici ; article lié, "Pour une poésie impure"]

"À monde inhabitable, poésie inadmissible" (p. 190).

Voici un livre qui, à la suite de Drapeau rouge – auquel fait allusion le chapitre intitulé "intoxication au drapeau rouge" -, se présente comme un texte morcelé dans lequel le sens se trouve disséminé : c’est qu’il ressortit à l’esthétique du "poikilos", une forme impure qui croise les propriétés poétiques et romanesques. Y devisent, entre autres, Lermontov, Beaudelaire, Leopardi, ou encore Kojève… Et il y est question, entre autres, de l’"art de disparaître en Sibérie" (147), de faire l’idiot à la russe, de la méthode empruntée à Tolstoï pour déclarer sa flamme, d’"histoires de chaussures", d’"exercices d’estrangement" ("se déplacer dans Moscou en métro sans connaître l’alphabet cyrillique et seulement muni d’un plan du métropolitain parisien" – p. 203)…

Le texte met du reste en abyme sa propre écriture : ce livre qui devait être sous-titré "roman russe" "n’est pas un roman", mais un "pot-pourri d’anecdotes plutôt, qui s’en vont zigzaguer en tous sens" (171). Et curieusement, au sein d’un dialogue entre Cælebs et Léo ("annales d’un formaliste"), l’esthétique romanesque de Christian Prigent est rattachée à cette "façon spéciale de raconter", le carnavalesque russe prenant appui aussi bien sur le skaz (la verve du récit oral, son sens de la drôlerie) et le sdvig cher à Daniil Harms, évoqué à plusieurs reprises et surtout mis en scène dans le morceau intitulé « spage de dératage » (p. 240) :
"L’illusion du récit parlé. Une écriture prête à être mise en bouche. Avec des phrases pressées de brûler les planches.
Priorité à l’oralité. Verve et comique avant toute chose.
[…]
Une façon de jazzer la langue, et même de la free-jazzer" (p. 330).

De quoi faire jaser un peu, l’écrivain-essayiste aimantant l’auteur des Enfances Chino (2013) vers son territoire…

 

On terminera cette présentation sur un bel "appel au poétariat" :

"laissés pour compte, écartés volontaires de l’économie, unissez-vous.
Ne faites pas l’autruche, mais l’émeu. Grognez, protestez.
Mais surtout, loin des foules, des émeutes et des métropoles, émouvez-vous.
Émeuvez-vous, même, si ça vous chante. Tant pis pour la conjugaison" (333).

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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