[Livre] Liliane Giraudon, Les Pénétrables (dossier 2/2)

[Livre] Liliane Giraudon, Les Pénétrables (dossier 2/2)

juin 30, 2012
in Category: Livres reçus, UNE
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Liliane GIRAUDON, Les Pénétrables, P.O.L, juin 2012, 336 pages, 20,50 €, ISBN : 978-2-8180-1646-6.

Avec ingéniosité, l’auteure reconnue renouvelle le genre du portrait littéraire, tout en ouvrant une brèche personnelle dans l’histoire littéraire récente. Découvrons un panthéon qu’elle a voulu sous forme de cinématon (cf. entretien avec Sylvain Courtoux) – ce vade mecum poétique, ce viatique qu’il faudrait mettre dans les mains de tous les passionnés, élèves ou maîtres.

Présentation éditoriale (cf. l’"avertissement aux lecteurs", p. 9-10)

En architecture, les pénétrables désignent les voies d’accès à un bâtiment.
Ici, les bâtiments désignés sont des livres. Les noms qui ont signé ces livres habitaient un corps. Un corps vivant, comprimé entre deux dates.
Montées en successives scènes d’un cinématon élémentaire proche de la lanterne magique, ces vies flashées et non exemplaires auraient fonction de lucioles.
Manière de considérer les corps et leur existence comme des "machines à semence".
Lambeaux de spectres, fantômes vivants, ils occupent une galerie ouverte dont les portes sont sans cesse battantes. Liliane Giraudon dit qu’elle a longtemps rêvé les livres comme de petits stocks de munition. Des outils pour faire reculer le travail de la mort. Ce livre n’est pas un livre d’hommages. Plutôt une sorte de couloir où seraient exposés 25 bustes ciselés, de tailles différentes, 25 bustes d’auteurs parmi ceux dont les textes l’ont aidee à vivre. Le mot "bustier" ne se limite pas à désigner cette pièce de l’habillement enserrant étroitement le buste des femmes pour laisser les épaules nues.
Il désigne aussi le sculpteur spécialisé dans l’exécution des bustes. Revisitant une ancienne pratique funéraire Liliane Giraudon a voulu ici se livrer en tant que "bustière" à un exercice de littérature vivante.

Note de lecture

Vingt-cinq traverses qui vous transportent ;
vingt-cinq précipités de viœuvres ;
vingt-cinq exercices de littérature vivante sur des auteurs morts (poètes, écrivains, philosophes) qui ont aidé Liliane Giraudon à œuvrer… à vivrécrire. (D’où les irruptions de la portraitiste : "Trois siècles après ce viol, j’ai quinze ans. Je lis PÉTRARQUE au bord de la Sorgue" ; "ROBERT WALSER mon bien-aimé"…). Laissons-nous enivrer par ces vingt-cinq échantillons…

"SAPPHO sauvée par les grammairiens. SAPPHO magnifique collage" (p. 14).

"MONTAIGNE se plaisant à niaiser et à fantastiquer. MONTAIGNE traitant son livre de "fagotage", de "fricassée", ou de "rapsodie". MONTAIGNE Mouvement. MONTAIGNE Remuement. MONTAIGNE Changement. MONTAIGNE et le temps" (27).

"NIETZSCHE et la stratégie du fragment. Les tirets placés par NIETZSCHE après le point final. NIETZSCHE philologue. NIETZSCHE professeur de lecture lente" (53).

"RACINE écrivant quatre-vingt-dix-huit fois l’adjectif "ingrat" dans ses tragédies" (62).

"PÉTRARQUE et les stances de 18 vers. PÉTRARQUE désir d’Amour. PÉTRARQUE désir de gloire. PÉTRARQUE polémiste" (82).

« HUGUETTE CHAMPROUX se taillant très tôt la posture du "surnuméraire" tant prônée par Mallarmé (le poète, le dernier des prolétariens) » (94).

"BAUDELAIRE plaçant sa pensée à hauteur de charogne. […] La machinerie du squelette dans l’érotologie de BAUDELAIRE" (108).

"DANIELLE COLLOBERT découvrant trente ans avant Tarkos le concept de "pâte". La Pâte-Mot de DANIELLE COLLOBERT" (122).

« RIMBAUD et son "cahier d’expression" (mots rares, fusées, schémas d’idées) » (128).

"POUCHKINE coqueluche des poétesses comme Marie Tsvetaïeva, Bella Akhmadoulina ou encore Nathalie Quintane. […] POUCHKINE cors au pied de la poésie russe" (136 et 138).

"La violence des indéterminations syntaxiques d’ÉMILY DICKINSON. […]. La dimension visuelle des poésies d’ÉMILY DICKINSON" (147).

" Les microgrammes de ROBERT WALSER" (154).

"Le rire rare de MAÏAKOVSKI. MAÏAKOVSKI agitateur. MAÏAKOVSKI double jeu. MAÏAKOVSKI et le tocsin des mots" (165).

"CATHERINE DE SIENNE agitatrice. CATHERINE DE SIENNE infatigable. Le style CATHERINE DE SIENNE. CATHERINE DE SIENNE et le livre explosé" (180).

"MAX JACOB en bouffon affamé" (189).

"LOUISE MICHEL épistolière infatigable. LOUISE MICHEL et le goût des cimetières. […]. LOUISE MICHEL les bras croisés et le regard fixe. LOUISE MICHEL provocatrice. LOUISE MICHEL et le noir.  LOUISE MICHEL et le voile. LOUISE MICHEL lectrice de Baudelaire" (210).

"ALPHONSE ALLAIS en mécanicien de la fantaisie. ALPHONSE ALLAIS en clown de la logique" (221).

"Discontinue, hétérogène HANNAH HÖCH. La stylistique de HANNAH HÖCH. La non-réalisation par HANNAH HÖCH et schwitters d’une anti-revue (plus mauvaise et meilleure)" (238).

"Les motifs et leitmotive de WALTER BENJAMIN. Les lubies de WALTER BENJAMIN. […]. Avant de s’appeler Sens unique, le livre de WALTER BENJAMIN s’appelait Rue barré. Les lettres de WALTER BENJAMIN. Les magnifiques lettres de WALTER BENJAMIN (250 et 254).

" L’absence de point-virgule dans la ponctuation de MARINA TSVETAÏEVA" (264).

« BRECHT militant pour une poésie ayant "une valeur d’usage" et devant être traitée comme un document. BRECHT déclarant que la plus grande partie de la production littéraire des dernières décennies aurait aisément pu être évitée grâce à une gymnastique simple et des exercices appropriés au grand air » (270).

« INGEBORG BACHMANN et l’entreprise d’un unique long livre dont le titre aurait pu se traduire par "Roman sur les façons de mourir" ou "Différents genres de mort" » (282).

« BECKETT et les cailloux […]. Les combustions internes de BECKETT […]. BECKETT et son "Rien n’est plus réel que rien" (291 et 293).

"ARTAUD beau comme une vague et sympathique comme une catastrohe" (301).

" DJUNA BARNES déclarant que pour écrire Le Bois de la nuit elle avait traduit ses vers en prose" (326).

Ritournelle de noms propres, de biographèmes, de postures et de traits littéraires.
Valse mélancolique et langoureux vertige

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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