"Une attention particulière aux livres peu lus"… "Le concept d’actualité considéré comme inexistant"… Tout un programme qui sied parfaitement à Libr-critique. Après les pénétrants Pénétrables, ce livre est une somme d’expériences quintessenciée d’un autre genre.
Liliane Giraudon, Madame Himself, P.O.L, juin 2013, 96 pages, 16 €, ISBN : 978-2-8180-1906-1.
Présentation éditoriale. Madame Himself est un livre double où se posent abruptement deux questions. Un amour enfantin pour les amazones et le désir d’écrire une autre Penthésilée peuvent-ils entrainer un cancer du sein ? Les livres soulèvent-ils des fantômes incontrôlables qui mènent une vie autonome et dont le corps des lecteurs deviendrait un habitacle ?
En cinq tableaux précédés d’un éclairage Madame Himself pose (entre théâtre et poème tragicomique) la vieille question de l’assignation des corps et de leur enfermement.
Tout en vérifiant que le goût de la crème fouettée n’est pas éternel, l’auteur se demande si un amour féroce pour les amazones peut avoir un rapport avec un double cancer du sein…
Note de lecture. Madame Himself est un drame en cinq actes – inaugurés par une citation de Djuna Barnes – qui oscille entre narratif et poétique : "Objection", "Un théâtre non joué", "Un peu de viande hachée", "Basse définition" et "L’Usage des intertitres". Comme tout véritable objet littéraire moderne, il laisse apparaître en filigrane sa propre définition : "Un objet à la fois réel et imaginaire" (68) ; "Poésie descriptive c’est-à-dire locale" (71)…
Devenue étrangère à son propre corps, l’auteure entretient un autre rapport au langage : "Sous le vide des mots un monde également vide et mort" (51)…
Au commencement de l’expérience poétique, l’angoisse : "L’angoisse était un mot qu’elle utilisait par commodité. / Parce qu’elle était dans l’incapacité de trouver le mot qui convenait à l’état dans lequel elle se trouvait […]" (50)… Trou(v)er les mots pour ça… "l’ennemi direct"… "Pourquoi elle plutôt que rien ?" (76)… Habitée par les fantômes des amazones comme par la Mlle Pierrette Davignon de Gertrude Stein, la scriptrice conjugue Eros et Thanatos : meurtre, mâchoire pourrie de Freud, fleurs de cadavres… éjaculation des crucifiés, fellation, verge érotique… Une violence sourde sous-tend également le texte, qui se traduit par des exercices de profanation.
On terminera cette note en insistant sur la forme du texte, agencement de fragments qui tend parfois vers le script ou la liste – voire, le quasi-inventaire -, favorisant les interrogations et les télescopages singuliers, voire incongrus : "C’est quoi une détraquée ? / Une embarcation ? / Une réminiscence ? Une femme ?" (50) ; "La syntaxe ? Ce n’est pas du raisin ?" (53) ; "Une tempête solaire peut-elle troubles des relations amoureuses ?" (71)…