Jean-Paul Chague, L’ombre des mots qui n’ont pas d’ombre, ed. de L’attente/Contre-Pied, 90 p. // ISBN : 978-2-914688-64-2 // Prix : 7€ 60 // [site de l’éditeur]
[Extrait]
noms de noms n’importe lesquels
ou ponctuer à balles réelles serviront bien
Étoiles du Sud ou du Nord Cavales de mer mes Sauvages
trop d’expressions perdues ou tombées
en désuétudes à régénérer
autant peler les fruits de longue attente
on appellera Chevelure cette salade
grammaticale dans la voix brillaient
des larmes qui rouillent dans la terre
cousine te voici nue dans un rire
qui est un révélateur (du moins en photographie)
il est des pronoms personnels
diversement accentués — c’est un brouillon
permettez — "Elle, elle m’aura oublié" (je recopie
des exemples grammaticaux noir sur blanc)
pourquoi ne pas risquer l’emploi du neutre
"il vous arrivera malheur" malheur
sujet réel ce sont des jeux de verre
plus ou moins transparents
[Chronique]
L’exergue de Bruno Schultz, énonce d’emblée que "La réalité est une ombre des mots". Le titre de ce recueil de formulations grammairiennes, apparaît en écart de cette formulation, au sens où seraient donnés à lire des mots sans ce revers de réalité, des mots à une seule face, des mots s’étrangeant de toute forme d’épaisseur ou de chair renvoyant à une présence qui leur serait autre. Mais ceci paradoxalement, au sens où Jean-Paul Chague tenterait d’indiquer, de révéler (mais en quel sens ?) cette part d’ombre de mots sans ombre. Alors que sont ces mots sans ombre ?
Si nous repartons de l’exergue, nous pouvons dire qu’un mot qui a une ombre serait par exemple le mot "arbre". Les guillemets seraient cette indication que, le mot que j’écris renvoie à la réalité extérieure, à cette chose que je vois et non pas que je dis. Dire serait corrélatif ainsi d’une présence, constituerait cette présence en tant qu’objet pour le sujet que je suis et qui tient dans sa langue, cette présence. Qui l’accueille. Mais, dès lors, qu’est-ce un mot sans ombre, un mot qui analogiquement à ce qu’énonce Descartes dans Les Méditations Métaphysiques lorsqu’il énonce ce que serait une peinture détachée de tout modèle, serait un mot qui ne renverrait aucunement à une réalité extérieure, ne servirait pas à la désigner, n’entretenant aucune forme de relation quelconque avec cela, qui n’est pas sa réalité ? Comme si par ce mot, par ces mots, il s’agissait de "parler et voir pour la première fois" [p.9], comme s’il s’agissait de voir non plus cette ombr du dehors, mais l’ombre du dedans, l’ombre dans la langue de mots sans ombre ?
Pour Jean-Paul Chague, il ne s’agit pas tant d’explorer un vocable improbable, mots inusités et qui troubleraient notre possibilité de compréhension, que d’interroger, dans des jeux grammairiens, dans des mises en lumière judicieuses, souvent amusées et ludiques, ces mots communs qui nous servent à parler et qui pourtant se retirent véritablement de toute relation à une extériorité.
Prenons par exemple, "Je". "Tu dis je et je dis je mais de qui s’agit-il" [p.22] "Je" n’est rien, à savoir n’est rien de réel dans le réel, n’est rien qui se tient face au discours. Lorsque nous parlons, chacun de nous dit "je" et ce "je" dit n’apparaît jamais au jour, mais bien plus est cette expression noire, abîme du discours où l’autre me parlant trouve l’infinie limite de son adresse. Ce "je" est neutre, se tient et me tient en limite de réel. Non pas irréel, non pas a-réel, mais en-deçà de tout rapport au réel/irréel/aréel, il est la condition de la situation du discours, de la situation d’un tu que tout à la fois il est, cet autre-là, et que je suis aussi pour lui qui se constitue comme un je.
Mais Jean-Paul Chague n’explore pas seulement ce type de cas, mais aussi des formes quasi-idiomatiques qu’il révèle souvent par esquisse. "Dis moi des choses plus simples veux-tu", "qu’est-ce qui nous fait préférer / l’autre de ce qui arrive / à ce qui arrive effectivement", "ne pas voir ce qui arrive à force de l’avoir / trop fantasmé on cherche à reconnaître" [p.34]. Phrase qui renvoie à ce qui n’a pas eu encore lieu dans le dire et ne pourrai en avoir. "Dis moi des choses plus simples" mais lesquelles ? Quelles choses pourrait-on lui dire, autre, que cela qui ut dit si simplement par nos mots ?
Juxtaposant les formules énigmatiques, explorant les impasses du langage, mettant en lumière les corps sans ombre de la langue, par petites touches Jean-Paul Chague dévoile une surface de notre langage qui se donen sans profondeur, parfois sans volume, à savoir sans ce qui renverrait à la quiétude de cette ombre de réalité qui amène le mot à se réduire au référent auquel il est lié.
Poésie grammairienne, disions-nous pour commencer, à savoir poésie figurée qui s’approche du réel propre de la langue. Figuration de la langue qui nous déproprie de nos certitudes et nous éconduit dans ses boucles et jeux de mots.
Précisons pour finir, que ce livre a reçu le Prix Hercule de Paris donné, notamment par Jean-Marc Baillieu.
Pour Jean paul Chague
Bonsoir,
Le temps, te souviens-tu…Il y a plus de trente ans…Toulouse, Angoulême…
Ce serait sérénité pour moi d’avoir de tes nouvelles.
Mon nom a changé, Voici mon adresse:
marie-claude.fauquette@orange.fr
marie-claude.