Les anglophones et amateurs d’art contemporain ne peuvent que se délecter à la découverte de ce livre révélateur d’une trajectoire singulière, celle de la plasticienne et sculptrice Louise Bourgeois (1911-2010).
Louise Bourgeois, The Spider and the tapestries (L’Araignée et les tapisseries), texte en anglais, Hatje Cantz, 2015, 102 pages, 28 €, ISBN : 978-3-7757-3997-9.
Pour Louise Bourgeois, l’art est une suite de surfaces de "réparation" face aux douleurs de l’enfance. L’araignée, les tapisseries et les visages en passementeries lui permirent la visualisation métaphorique de ses traumatismes comme de ceux subis par son ascendante. Sortant la figure maternelle de sa chambre (à coucher ou de torture), l’artiste trouva dans le travail du textile un lieu et un lien impossibles à penser. Elle y a "reprisé l’océan sombre" de sa propre histoire dont la création plastique est devenue une forme d’autobiographie sans concession au moindre narcissisme d’usage.
Cette esthétique de reconstruction allégorique offrit le transfert du singulier familial à l’expérience d’enfermement et de violence que connaissent les femmes. Par ce qu’elle nomma "déguisement, travestissement et détachement", Louise Bourgeois mit en scène et en relief le plus perturbant selon une forme d’horreur qui ne manque jamais de puissance grâce à la force des images.
La créatrice éloigne d’un art-réalité en des œuvres ce qu’elle nomme "les pièces à conviction". Sont-elles chargées d’espérance fantasmatique ou d’espoir dévasté par avance ? Il y a fort à parier que la seconde proposition reste la plus probable. Sidérante, violente, radicale l’œuvre répond à une forme de harcèlement. En sa rhétorique spéculaire particulière, elle parvient à déboulonner le surmoi des pères et des maîtres. L’œuvre textile "rejoue" ce qui surgit soudain de la mémoire et du magasin de confection de ses parents. Elle renvoie des images sourdes et ravageuses, un foyer de fureur où s’active la lente rotation du plein et du vide.