[Chronique - news] Mathieu Larnaudie, Les Jeunes Gens, par Fabrice Thumerel

[Chronique – news] Mathieu Larnaudie, Les Jeunes Gens, par Fabrice Thumerel

juin 27, 2018
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[Chronique – news] Mathieu Larnaudie, Les Jeunes Gens, par Fabrice Thumerel

Mathieu Larnaudie, Les Jeunes Gens. Enquête sur la promotion Senghor de l’ENA, Grasset, avril 2018, 208 pages, 18 €, ISBN : 978-2-246-81509-9. On ne manquera pas la Rencontre de demain soir (19H30 !) à l’extraordinaire Librairie Charybde (129, rue de Charenton 75012 Paris).

"De la même façon qu’il faut, en art, en littérature, en musique,
une connaissance parfaite de l’histoire des formes, des canons académiques,
pour vouloir les subvertir et les briser, il faut se doter d’un savoir rigoureux
des usages sociaux pour s’en servir librement et les retourner à son profit" (p. 197).

Balzac évoquait "un début dans la vie" ; Larnaudie, "les jeunes gens", purement et simplement – c’est-à-dire radicalement : les Jeunes-Gens, la quintessence de la jeunesse, l’excellence de la jeunesse, l’avenir de la France. Plus précisément, des jeunes gens pressés, héritiers qui pensent toujours à la phase et à la phrase d’après, énarques d’une promo Senghor plus tournée vers les hautes sphères de la finance que celles de la politique, moins rentables et plus risquées. Un cru exceptionnel qui a su s’imposer plus rapidement que les autres.

Le politique est omniprésent dans les romans de Mathieu Larnaudie. Acharnement (2012), ce drame en cinq actes qui oscille entre la première et la troisième personne, le polar métaphysique et la satire politique, constituait bel et bien le pendant des Effondrés (2010) : après la chute des croyances ultra-libérales, celle des croyances dans le système de représentation politico-médiatique. En particulier, le romancier critique y décryptait l’homo politicus : "on a tendance à considérer, le plus souvent, que la temporalité propre à l’homme politique est celle de l’urgence, de la suractivité, de la crise perpétuelle, des arrangements immédiats et paniques avec l’opinion, avec l’actualité, avec le rush permanent du monde, mais on oublie qu’elle est également, en même temps, celle d’une stratégie – d’un pari – à très long terme, patiente et obstinée, dont les coups se jouent très longtemps à l’avance" (p. 151). Qu’est-ce qu’un homme politique, au fond ? Un histrion cynique dont l’"éloquence toute faite" charrie des mensonges et des "âneries populistes" (58), "cette quincaillerie culturelle qu’il est bon de citer à tout propos" (88)… Que vaut cette parole politique qui "n’est jamais, sauf en de très rares exceptions, l’expression d’une singularité autonome" (160) ? Un exemple du politiquement correct pratiqué par ceux qui veulent à tout prix occuper le terrain médiatique : il faut agir et penser d’une manière nouvelleil faut renouer avec notre identité et nos valeurs

Laissant momentanément de côté la fiction, le romancier se lance sur le terrain avec les armes dont il dispose. Dès le prologue, qui examine scrupuleusement la symbolique mise en œuvre lors de la cérémonie du Louvre, nous retrouvons la posture de l’analyste sociopolitique : "Lorsqu’il s’agit du spectacle politique, une sorte de déformation professionnelle me porte à interpréter les signes, la mise en scène, les mots et les gestes, à la recherche des intentions qui ont présidé à leur choix" (15). Et de mettre en exergue les atouts qui ont fait triompher Emmanuel Macron : un storytelling et une "novlangue managériale et technologique" ont imposé l’image de l’homme nouveau et différent, "alors qu’il était, de tous les candidats, celui qui présentait objectivement le plus de traits de continuité avec la politique menée lors du précédent quinquennat" (85-86)…

Bien évidemment, le lecteur avisé reste sur sa faim : si l’écrivain braconne sur les terres des sciences sociales, il ne s’agit pas pour autant de leur faire une concurrence sauvage – surtout chez un éditeur non spécialisé. Un exemple : dans un chapitre savamment sous-titré "Psychogéographie du pouvoir français", quelques lignes sur Les Règles de l’art de Bourdieu et une évocation en trois lignes des "grands romans d’apprentissage du XIXe" constituent le seul viatique théorique. Mais nous apprenons beaucoup des entretiens menés avec des personnages de premier plan : sur leurs trajectoires, le parler spécifique des énarques, leur façon d’être, leur culture du consensus… sur l’ENA même, dispensatrice des capitaux nécessaires (sur les plans social et symbolique) – surtout pour les transfuges de classe. Sur les dispositions sociales d’un groupe homogène : "Chez eux, la sélection naturelle est un processus intégré ; la compétition, une valeur positive, assumée" (61).

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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