Ce troisième volet de notre dossier présente tout d’abord les Actes du colloque de Cerisy, Annie Ernaux : le temps et la mémoire, avant le prochain, qui se tiendra à l’Université de Cergy-Pontoise les 19 et 20 novembre 2014 (troisième colloque international en trois ans : "En soi et hors de soi : l’écriture d’Annie Ernaux comme engagement"). [Lire le 2e volet]
Actes du colloque de Cerisy – Annie Ernaux : le temps et la mémoire
Annie Ernaux : le temps et la mémoire, Francine Best, Bruno Blanckeman et Francine Dugast-Portes (dir.), avec la participation d’Annie Ernaux, actes du colloque de Cerisy (juillet 2012), éd Stock, automne 2014, 486 p., 23 euros, ISBN : 978-2-234-07821-5.
Quatrième de couverture. Cet ouvrage est issu du colloque de Cerisy qui s’est déroulé autour d’Annie Ernaux en 2012 et a rassemblé des chercheurs internationaux issus de divers champs disciplinaires. Chaque article est suivi d’un texte de l’auteure et d’une discussion critique, ce qui donne à l’ensemble l’allure d’une libre conversation.
Le temps et la mémoire constituent les deux fils conducteurs de l’ouvrage. Ils sont abordés selon plusieurs problématiques : les évolutions des groupes sociaux, la question de l’humiliation et les problèmes de hiérarchies culturelles, ou encore la constitution d’une mémoire des femmes. Écrire, pour Annie Ernaux, c’est tenter de saisir les multiples dimensions du réel en conjuguant la pression de l’Histoire et la puissance de la mémoire dans la restitution de la vie collective, comme dans celle de la vie intime.
Renouvelant l’approche de l’oeuvre par une attention apportée au travail de l’écriture, parfois occulté au profit de la seule dimension sociologique, ce livre permet d’en mesurer toute la richesse et la puissance.
Sommaire. Les quatre parties sont encadrées par une préface et les notices bio-bibliographiques. [Pour la présentation des travaux, on se reportera à notre chronique post-Cerisy : ici]
I. L’Œuvre en son temps, le temps de l’œuvre (D. Viart, "Annie Ernaux, historicité d’une œuvre" ; É. Hugueny-Léger, "Annie Ernaux : une écriture palimpseste ? Inscriptions, effacements et possibilités de réinvention dans son œuvre" ; A. Adler, "Les Années, livre-somme retissant les fils de l’œuvre" ; F. Bouchy, "Expérience et mémoire du quotidien" ; M. Touret, « Les Lieux dans les romans d’Annie Ernaux ou "Sauver sa circonstance (ce qui a toujours été autour d’elle, continuellement) » ; P.-L. Fort, "Pulsations de la ville nouvelle : le temps des espaces marchands").
II. Mémoire/Histoire/Trajectoires (J. Lyon-Caen, "Le Temps qui vient, qui passe – et ce qu’il en reste dans Les Années" ; Y. Inizan, "Les Années : entre mémoire et histoire, genèse d’une forme" ; "F. Best, "La Guerre d’Algérie, le silence et l’oubli" ; J. Lecarme, "Voix des humbles, fierté des humiliés" ; L. Thomas, « La "mémoire humiliée" et sa narration : Annie Ernaux et la communauté internationale des transfuges de classe » ; F. Thumerel, "Les Années, ou les Mémoires du dehors" ; C. Baudelot, "Annie Ernaux, sociologue de son temps").
III. L’intime, entre évidences et réticences (A. Schaffner, "Le temps et la passion dans Passion simple et Se perdre" ; N. Froloff, "Se perdre : un roman russe ?" ; R. I. Kahn, « "Anatomies de la mélancolie" : Les Armoires vides d’Annie Ernaux et Les Exclus d’Elfriede Jelinek » ; F. Simonet-Tenat, « L’Autre Fille : "Tu es morte pour que j’écrive…" » ; B. Havercroft, "Le tombeau de la sœur : récit et réconciliation dans L’Autre Fille" ; T. Samoyault, "Création, procréation dans l’œuvre d’Annie Ernaux").
IV. Résonances et médiations (Th. Hunkeler, "Bien vu, mal dit : la littérature selon Annie Ernaux" ; E. Bouju, « "Une phrase pour soi" : mémoire anaphorique et autorité pronominale (dans Les Années d’Annie Ernaux) » ; J.-M. Zakhartchouk, "Ce que l’œuvre d’Annie Ernaux peut apporter pour la réflexion sur l’école aujourd’hui" ; I. Roussel-Gillet, " De Birthday au photojournal, l’expérience des images pour remonter la mémoire" ; B. Blanckeman, "La chanson, les chansons" ; F. Dugast-Portes, "Voix croisées autour d’Annie Ernaux (2008-2012)").
© Dorothea Tanning, Birthday (1942), Philadelphia Museum of Art.
Colloque international de Cergy-Pontoise : "En soi et hors de soi : l’écriture d’Annie Ernaux comme engagement"
Présentation
A une époque où la littérature engagée apparaît souvent comme suspecte, Annie Ernaux insistait dans « Littérature et politique » (1989) sur le caractère inévitable de l’engagement par l’écriture :
« L’écriture, quoi qu’on fasse, « engage », véhiculant, de manière très complexe, au travers de la fiction, une vision consentant ou non à l’ordre social ou au contraire le dénonçant. Si l’écrivain et ses lecteurs n’en ont pas conscience, la postérité ne s’y trompe pas. Il n’y a pas d’apolitisme au regard de l’histoire littéraire. »
De fait, qu’il s’agisse de relater son avortement clandestin, de restituer son histoire d’émigrée de l’intérieur, d’interroger son existence de femme, de rédiger un « journal du dehors » de sa vie à Cergy ou, plus fondamentalement, d’« écrire la vie », le souci permanent d’Annie Ernaux, via un je « transpersonnel » et des textes dont l’auteur revendique la démarche parfois plus sociologique que littéraire (des « ethnotextes », des « auto-socio-biographies »), est de se confronter au réel, d’interroger l’ordre du monde : « ce lien entre exercice de l’écriture et injustice du monde, je n’ai jamais cessé de le ressentir et je crois que la littérature peut contribuer à modifier la société ».
Que ce soit au niveau de l’intime, du social ou du politique, l’écriture d’Annie Ernaux déplace les frontières et « engage » le sujet, celui de la mémoire, celui du rapport au temps et à l’époque, celui de la relation aux autres et à soi :
« Je ne peux pas concevoir de faire des livres qui ne mettent pas en cause ce que l’on vit, qui ne soient pas des interrogations, des observations de la réalité telle qu’il m’est donné de la voir, de l’entendre ou de la vivre, ou de m’en souvenir. Une littérature qui m’engage et qui engage le lecteur. » Annie Ernaux participe finalement elle-même de ce que des auteurs comme Beauvoir (« sur la condition des femmes ») ou Bourdieu (« sur la structure du monde social ») lui ont permis de ressentir : « l’irruption d’une prise de conscience sans retour ».
Ce colloque visera ainsi à saisir une œuvre qui refuse les clivages traditionnels entre littéraire/non littéraire et ne cesse d’innover formellement et intellectuellement. Des chercheurs d’horizons divers (littéraires bien sûr, mais aussi sociologues, historiens et linguistes) examineront l’écriture d’Annie Ernaux dans la perspective de « l’engagement ». Quelle est la nature de l’engagement de l’auteur ? Quelle(s) forme(s) cet engagement prend-il chez Annie Ernaux ? A-t-il évolué au cours du temps, dans ses propos et dans son œuvre ? Peut-on redéfinir l’engagement littéraire au XXIe siècle à la lumière de cette œuvre ?
Programme
MERCREDI 19 NOVEMBRE 2014
10 h15. Accueil
10h30-10h45. Ouverture du colloque
10h45 – 12H00. Quel engagement de l’écrivain dans le débat public ?
· Isabelle Roussel-Gillet : Annie Ernaux, à corps ou l’impossible désengagement
· Aurélie Adler : Une communauté de désirs
· Véronique Montémont : Avorter, scandale
12h00-12h20. Discussion
* Après-midi
14h – 15h15. Féminin, féminisme : au-delà des évidences
· Michèle Bacholle-Bošković : Annie Ernaux le « premier homme »
· Marie-Laure Rossi : Une intellectuelle au féminin ? De Beauvoir à Ernaux
· Barbara Havercroft : Lorsque le sujet féminin devient agent.
15h15 – 15h35. Discussion
15h35-16h00. Pause
16h -16h50. La domination en question
· Pierre Bras : Politesse, bon goût et bonne conduite : la résistance aux codes sociaux dans l’œuvre d’Annie Ernaux
· Anne Coudreuse : La honte comme « vérité sensible » de la domination
16h 50 – 17h10. Discussion
17h15 fin.
18h00 : Représentation d’une adaptation théâtrale des Années par la troupe Zon’art au Théâtre 95
JEUDI 20 NOVEMBRE 2014
*Matin
9 h 15 – 10h30. Identité et altérité
· Fabrice Thumerel : Passage(s) Ernaux
· Yvon Inizan : Apparition et disparition du témoin : « l’autobiographie vide »
· Violaine Houdart-Merot : L’engagement comme altérité : soi-même comme un autre
10h35-10h55 Discussion
10h55- 11h10 Pause
11h15 – 12H05. Histoire et sociologie : manières d’engagement
· Elise Hugueny Léger : Retours sur une socioanalyse : Annie Ernaux et Didier Eribon
· Nathalie Froloff : Formes et enjeux de l’Histoire dans l’œuvre d’Annie Ernaux
*Après-midi
14h -14h50. L’engagement du lecteur
· Francine Dugast : La mise en œuvre de formes brèves comme implication de l’écrivain et du lecteur
· Lyn Thomas : « Regarde l’auteure mon amour » : engagement et célébrité.
14h50 – 15h05. Discussion
15h05-15h25. Pause
15h30 -16h20. L’engagement, une notion en débat
· Bruno Blanckeman : Une écriture impliquée : Annie Ernaux, témoin de « l’ordinaire »
· Catherine Douzou : L’engagement côté corps
16h20 – 16h 40. Discussion
17h00. Clôture du colloque.
18h. Cérémonie de remise du doctorat d’honneur à Annie Ernaux, suivie d’un cocktail.