► Valère NOVARINA, Le Vrai Sang, P.O.L, janvier 2011, 304 pages, 18,50 €, ISBN : 978-2-8180-1277-2.
► Le Vrai Sang (création) : texte & mise en scène Valère Novarina ; collaboration artistique : Céline Schaeffer ; scénographie : Philippe Marioge ; peintures : Valère Novarina ; lumière : Joël Hourbeigt ; costumes : Renato Bianchi ; musique : Christian Paccoud.
Avec Julie Kpéré, Norah Krief, Manuel Le Lièvre, Mathias Levy, Olivier Martin-Salvan, Christian Paccoud, Dominique Parent, Myrto Procopiou, Agnès Sourdillon, Nicolas Struve, Valérie Vinci & Richard Pierre, Raphaël Dupleix.
La Rose des Vents de Villeneuve d’Ascq, scène nationale : du mardi 15 au vendredi 18 février 2011 à 20H, sauf la séance du jeudi, à 19H suivie d’un débat (il ne reste que quelques dizaines de places pour les séances du mercredi et du vendredi : réservations sur le site ou au 03.20.61.96.96).
► Le Matricule des Anges [MA], n° 119, janvier 2011, dossier : "Deus ex Novarina", p. 18-27.
Après L’Acte inconnu en janvier 2008, La Rose des Vents accueille cette semaine Le Vrai Sang, spectacle qui vient de triompher à l’Odéon en janvier dernier, au moment même où paraissait la pièce aux éditions P.O.L et où Le Matricule des Anges publiait un excellent dossier significativement intitulé "Deus ex Novarina".
Sur la poétique de Novarina, on pourra se reporter à mon article sur Devant la parole ; avant ou après le spectacle/la lecture, on consultera le riche démontage de la pièce proposé par le CRDP de Paris.
Présentation sur le site de l’éditeur
Le modèle secret est peut-être Faust – non celui de Goethe – mais un Faust forain vu enfant à Thonon dans les années cinquante, joué entre deux airs de Bourvil par Gugusse, le "célèbre clown de la Loterie Pierrot". Faust-Gugusse prétendait que toute notre vie avait lieu "en temps de carnaval", puisque le finale en était un "adieu à la chair" ; Mme Albertine, sa comparse dans le public, lui lançait, en trois mots, de prendre ça comme un don, une offrande : et elle lui proposait toutes les quatre minutes de jouer sa vie aux dés… J’essaye de reconstituer l’ordre des scènes de cette pièce vue enfant… Le Vrai sang est un drame forain, un théâtre de carnaval, en ce sens que les acteurs, d’un même mouvement… incarnent et quittent la chair, sortent d’homme, deviennent des figures qui passent sur les murs, des traces peintes d’animaux, des empreintes, des signaux humains épars, lancés, disséminés : des anthropoglyphes.
"Une messe pour marionnettes" (p. 243)
"On dit plateau, un beau mot dans lequel il y a le repas et le sacrifice, et parfois la tête du Baptiste" ("Entrée en matière", MA, p. 26).
Mont Verbier
Pour rendre compte de la singularité de l’univers novarinien, Thierry Guichard recourt au néologisme "Novarinaland" : "Il y a une folie Novarina, symbolisée par la prolifération des personnages aux noms étranges, extravagants, inouïs" (MA, p. 18). Il faut dire que celui qui souhaite nous aider à "devenir des désadhérents au monde" (formule de Novarina lui-même dans l’entretien, p. 23) aime à se définir comme un déséquilibriste !
Mais ce n’est pas au Mont Parnasse qu’il faut rattacher ce créateur qui n’aime pas le mot "poésie" : "j’aime le mot allemand Dichtung qui veut dire, densification, densiement, utililisation matérialissime du langage. Le poète comme denseur. Poésie est aussi beau en grec, puisque le mot veut dire faire et que dans le credo grec Dieu est le poète de l’univers, celui qui l’a fait, l’ouvrier" (p. 22)… C’est plutôt au Mont Verbier, pour reprendre le titre donné à la XXIIe scène de La Lutte des morts intégrée dans le CD constituant avec un livret de 64 pages le coffret qui porte le même titre, Le Vrai Sang (Héros-limite, 2006). La création novarinienne est un gigantesque Verbier animé par un perpetuum mobile : "Le travail de l’écriture, je me le représente comme le creusement d’un puits" (MA, p. 23). D’où ce clin d’œil auto-ironique dans la pièce : "Tu vas tout de même pas nous remontrer la boîte avec les petits hommes dedans !" (P.O.L, p. 40). Le Vrai Sang fait en effet défiler les mêmes pantins et machines que La Scène (2003) et L’Acte inconnu (2007), les mêmes figures que dans cette dernière pièce (antipersonnes, chantre et contre-chantre, Nihil, professeur de la Matière, Jean Violocorde, logologue, déséquilibriste, coureur de hop, ouvrier du drame, etc.)… quelques phrases clés déjà présentes dans La Scène : "Nous les Français, nous nous mettons nos chiens dans les autos, puis nous hissons le drapeau français dessus et nous prenons du tranquilibulium pour dormir" (p. 39) ou "Resterait à dire ce qui distingue l’acteur véritable d’un imitateur d’homme" (246), et dans L’Acte inconnu : "Nous entrons dans la période animale de l’histoire. Et dans l’histoire animale, il n’y a que deux facteurs qui comptent : reproduction et climat. […] À la lutte des classes, succède la guerre des animaux !" (p. 205)…
La "féerie matérialiste" (p. 244) d’un poète primitif : folie NOVARINA…
Le livret du premier Vrai sang (2006) s’ouvrait sur un véritable réquisitoire contre la société spectaculaire : "La langue française est morte, elle ne veut plus naître, c’est un drame d’être né dedans, dans ce plat-français d’aujourd’hui, moyen, réglementaire, châtré, centralisé, faiblement sonore, appauvri et qui chaque jour se simplifie, perd chaque jour en rythme, en harmoniques, jusqu’à devenir une langue sans voix. […] Les Maîtres de la langue ce ne sont pas les écrivains, les académiciens, mais les journalistes de la radio et de la télévision, qui modèlent la langue française de demain, purifiée, simplifiée, une petite langue policée, politique, qui ne saura plus chanter que sur trois notes" (p. 7-8)… Quant à la caméra, elle "va toujours à la matière, à la matière morte ; elle va au sang, comme le groin. Elle cherche la preuve du réel ; elle veut prouver le réel par le sang" (p. 40). Aussi, depuis L’Opérette imaginaire (P.O.L, 1998), Novarina s’acharne-t-il à déconstruire les discours mécaniques, la parole politique sloganisée comme le flux médiatique-toxique : la télévision n’est ici rien d’autre qu’une "machine à répandre la bouillie emblématique" (p. 75), par laquelle un journaliste, par exemple, peut annoncer que "l’âge légal de la mort vient d’être reculé de trois ans" (113) ; quant à la machinerie politique, reposant sur des partis comme "le hidem, mouvement gogocrate" (82), elle salue "la société éthiquetable" et en appelle à "prendre le passé par les cornes de l’avenir" (83)…
La communication transformant le vin en eau (cf. p. 58), il faut lui préférer ce don néanthropique, cette offrande intégrant la part de négativité nécessaire (sang/sans) que constitue la parole poétique. En fait, théorise RAYMOND DE LA MATIERE, le langage est un objet à double face, à la fois "étincelle témoin qui reste de la divine énergie" et "simple hormone" (204) qui nous sert de moyen de défense…
© Photo du Vrai sang à l’Odéon par Alain Fonteray.