Philippe Forest, Beaucoup de jours – d’après Ulysse de James Joyce, éditions Cécile Defaut, octobre 2011, 465 pages, 18 €, ISBN : 978-2-350-18306-0.
Suite à la présentation de la collection dimanche dernier, voici la préface d’Isabelle Grell au volume de Philippe Forest, qui sera ce soir à 19H à la Librairie l’Arbre à Lettres (14 rue Boulard – 75014 Paris).
"J’aborde chaque nouvel épisode d’Ulysse en me demandant ce que je vais bien pouvoir en dire. Et je suis le premier surpris de trouver à chaque fois." (Philippe Forest, p. 181).
Au commencement, tout est clair comme l’air de la mer sur laquelle un Homme navigue. Ulysse peut se ressasser à quatre phrases qui résument la journée et la nuit de l’éternel(le) Personne. Philippe Forest le prouve. Pourquoi ne pas en rester là ? Quatre phrases, c’est bien assez, non ? La Recherche se résume bien à "M. veut devenir écrivain." Mais c’est mal connaître la causticité de notre auteur qui, tout simplement, n’en reste pas là parce que la journée, la nuit de Personne est la sienne, la mienne, la vôtre aussi. La vie n’existe que si on (se) la raconte.
Philippe Forest disposait de 365 jours, lex exigit, pour raconter un livre, une vie, celle de ses lectures d’Ulysse, toujours et encore renouvelées depuis ses seize ans. Les premières notes pour ce livre furent prises en juillet 2010 et lorsqu’il s’arracha, le 13 juillet 2011 – il faisait beau ici, meilleur qu’à Dublin quand Joyce eut son premier rendez-vous si peu galant avec Nora -, à son texte, j’eus l’impression, dès les premières pages, d’être entraînée, avec mon consentement et mon abandon total, dans la tête des deux auteurs, des deux personnages en question : Forest/Forest et Dedalus/Joyce.
Impossible de ne pas entrer dans le rythme forestien faussement décousu qui nous fait heurter contre les murs des mots, de la langue, de ces massifs rochers alphabétiques construits auxquels suivent des fleuves de phrases d’une beauté transparente qui nous laisse néanmoins apercevoir les dangers de la profondeur. Des chants siréniques nous enveloppent et nous attirent vers la perte de connaissance, des connaissances. Mais en navigateur costaud, Philippe Forest rive son lecteur au mât de sa lecture, il nous emporte où il veut, il nous enlève et nous dépose dans l’île de la double aventure de l’écriture. Double ? Que dis-je à la triple, quadruple, quintuple écriture de la vie.
Combien de jours font une vie ? Combien de vies font un livre ? Ici, deux. James Joyce et Philippe Forest. Deux vies qui, avec ces pages reliées que vous tenez à cet instant même entre vos deux mains, resteront pour le moins dans les prochaines décennies, inséparables.