Cette suite à notre tour d’horizon bigarré de l’actualité hivernale est centrée sur la poésie : Andrea d’Urso et Aurelio Diaz Ronda (Le Grand Os), Gwenaëlle Stubbe (P.O.L) ; une invitation à lire/entendre deux entretiens avec Fred Griot. /FT/
► Andrea d’Urso, Occident Express, traduit de l’italien par Muriel Morelli, Le Grand Os, automne 2010, 112 pages, 14 €, ISBN : 978-2-912528-13-1.
D’emblée, Cristina Babino condense le projet poétique d’Andrea d’Urso (né en 1970) : "Moyen de transport extra-urbain allégorique et imaginaire, l’Occident Express relie des lieux physiques et intérieurs également délabrés, improbables, et pourtant réels, actuels, déroutants et déroutés." Moins huppé que son alter ego, cet Occident Express nous rend exotique, en quelque sorte, le milieu dans lequel nous survivons : les perceptions comme les discours qui constituent notre quotidien sont mis à distance avec humour et fantaisie. C’est ainsi que le regard faussement naïf du poète nous présente la marche du monde comme allant de soi : "Oui, les rêves sont inoffensifs, éco-compatibles et exonérés de TVA" ; si nous ne pouvons rien pour "les petits Africains", eux, en revanche, peuvent nous aider à dédramatiser nos petites contrariétés ; "les ordinateurs ne se trompent jamais", puisque "les erreurs, les hommes les ont déjà toutes faites" ; "tout est made in China (même le rêve américain) et bien sûr l’Europe est unie"… dans la vie, faut vraiment pas s’en faire, le tout est de trouver le bon truc :
"vous avez mal à la tête ? prenez du Doliprane, vous toussez, prenez du Doliprane toux,
vous avez mal au cul ? prenez du Doliprane mal au cul, vous n’avez rien, prenez du Doliprane rien"…
► Aurelio Diaz Ronda, L’O de trous, Le Grand Os, deuxième édition augmentée, automne 2010, 116 pages, 9 €, ISBN : 978-2-912528-12-4.
Certes, le O a déjà été foré et on a déjà fait "le tour des trous" (p. 59). Mais c’est avec brio qu’Aurelio Diaz Ronda nous plonge dans une Histoire d’O qui est à la fois histoire du vivant et histoire de la poésie. Entre "trop voir" et "pas voir" (96) oscille cet objet poétique paradoxal, "objet pluriel / au singulier" (8), "circonférence visible / de l’invisible / tracé / circulaire du vide" (9)… Ronde d’O, ode aux orifils (103), variations autour du O, hommage à la négativité moderne, L’O de trous est encore interrogation sans fond, mais non sans fondement : "un trou a-t-il des bords / a-t-il un bord unique / le bord est-il déjà le trou / le trou n’est-il que bord / autour de rien / ou bien ce rien / qui a un bord / est-il le bout de tout / ou bien le bord de rien / ou bien seulement le bout du trou" (38)… Avec sa poétique de l’évidement, Aurelio Diaz Ronda rejoint la troubu des poetrous, "occupés à creuser des trous" (Alain Helissen, Les Poetrous, Voix éditions, 1999) – œuvrant ainsi dans l’orbite de Christian Prigent.
► Gwenaëlle Stubbe, Ma tante Sidonie, P.O.L, automne 2010, 115 pages, 15 €, ISBN : 978-2-8180-0003-8.
Présentation éditoriale : « Il y a d’abord dans Ma tante Sidonie, livre de poésie, un sujet : la guerre. Comme le personnage de Tante Sidonie provient d’une bande dessinée très lue en Belgique : dans le contexte il dégage des propriétés hallucinatoires incongrues et détériore aussi bien le réalisme que l’hyperréalisme du "fait guerre" en y injectant du fictif spectaculairement hétérogène. Il faut ajouter à cela une présence quasiment scénique du mot, une oralité, une rapidité tactile qui, à travers la saturation programmée de la phrase, permettent un étranglement des événements, une surenchère exemplaire : une inédite remise à nu du sens. »
Impressions. Avec un tel titre, Ma tante Sidonie offre ce qu’elle promet : un regard décalé et fantaisiste. Sidonie, à "la bouche libre-oblique" (p. 33), "c’est l’unique fille de la troupe" (57). Texte éclaté au bestiaire singulier, Ma tante Sidonie se joue des genres et des codes littéraires, parfois avec bonheur, comme dans cette "Suite sensorielle avec chameau et hanneton" : "des objets publicitaires, (ils savent comment nous prendre), pour être plus intéressant l’objet publicitaire se munit d’un côté anthropomorphe (mi-chien mi-humain) que ce soit mon sac, que ce soit mon attaché-case, toutes ces choses tentent de laisser deviner des yeux (la pression des yeux sur toutes les surfaces)" (111).
► Sur la " matière de parl’ ", on pourra lire/entendre deux entretiens avec Fred GRIOT.