[News] News de vacances

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août 23, 2009
in Category: News, UNE
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Opération LIBR-VACANCE : avant d’en proposer le compte rendu, Jean-Claude Pinson recommande l’important essai de Martin Rueff sur Michel Deguy ; Pierre Vinclair nous offre sa note de lecture sur le Testament de Christophe Manon ; Joachim Séné commente L’Homme sans larmes de Pierrette Epsztein. En outre, Pleins Feux sur LES SONIQUES de Nicolas RICHARD.

Dernières News de vacances dimanche prochain, 30 août 2009 : envoyez vos suggestions et notes de lecture ! [libr.critik@yahoo.fr]

Martin Rueff, Différence et identité, Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel, Hermann, "Le Bel Aujourd’hui", 2009, 459 pages, 32 €, ISBN : 978-2-7056-6730-6.

Ce livre appelle, comme il se doit pour un livre fort parlant d’une œuvre majeure, beaucoup de questions. Ces deux-ci par exemple : la poésie peut-elle être créditée d’une puissance de vérité (comme le soutient l’ontologie de la comparaison /comparution que propose Michel Deguy) ? n’y t-il pas, du "culturel", une appréhension qui puisse être "positive" ?

Jean-Claude Pinson

Christophe Manon, Testament, dans revue Mir, n°2, éditions ikko, juin 2009.

Dans le numéro 2 de la revue Mir, Christophe Manon publie le début de son Testament. Assez long (200 vers environ), cet incipit déploie une voix dont la simplicité apparente, dont la crudité, même, peut être comprise à la fois comme signe de pureté et de dénuement, dans l’urgence – causée par la proximité de la mort – qui commande au poète d’être direct et sans chichi :

" je n’ai ni dieu ni maître
et ne dois rien à personne
souvent j’ai crevé la dalle
et dans ma gamelle
souvent que des pois chiches."

Pourtant, cette simplicité – qui n’est, je l’ai dit, qu’apparente – ne laisse pas de troubler : notamment parce qu’il est précisé que le texte de Christophe Manon est une reprise, une adaptation d’un autre Testament. Si bien que derrière ce je d’évidence si franc, qui se livre dans la brutalité d’une expression ne s’embarassant plus des règles d’aucun jeu, se cache en double-fond celui de Villon – et l’on ne sait plus qui parle. Ainsi Manon déconstruit-il le voyeurisme morbide – lequel identifie la voix et l’homme pour trouver dans celle-là des informations sur celui-ci – du lecteur, laissant à sa place le trouble qui le problématise. Ce faisant, s’affirme dans ce dispositif textuel quelque chose comme une solution originale au problème de la littérature contemporaine tel que des œuvres comme celle de Mallarmé (la disparition élocutoire du poète) ou Pessoa (et son théâtre des hétéronymes) ont pu lui donner forme : celle d’un lyrisme (d’une subjectivation) transpersonnel, détaché des épanchements contingents de l’individu singulier pour trouver dans l’hybridation de la voix les ressources d’un chant impersonnel, universel.

" Je veux bien reconnaître mes torts
mais ce que j’ai écrit est écrit
laissons tomber et parlons d’autre chose."

Pierre Vinclair

Pierrette Epsztein, L’Homme sans larmes, éditions Petite Capitale (127 rue Amelot, 75011 Paris ; 01 42 23 24 13), 230 pages, 20 euros.

« Elle ne savait rien de ses timidités », par Joachim Séné

Qu’est-ce qui nous emporte dans une lecture ? Pour ma part, c’est la musique de la langue : les mots, s’ils savent me conduire, me transportent où ils veulent. La musicalité conduit ma déambulation sur le chemin le long duquel je découvre le monde d’un autre regard, je vais à une rencontre inattendue. Ce qui se passe lors de la lecture n’est possible que par la force de l’expression, l’aventure de l’écriture.

« Elles étaient deux sœurs. L’aînée avait sept de plus qu’elle. Elle n’avait jamais réalisé à quel point leur histoire était différente. À quel point leurs souvenirs étaient différents. Pourquoi la cadette voulait-elle prendre en charge la mémoire de son père ? Sa mémoire était oublieuse, ingrate, assombrie. Elle souhaitait pourtant se souvenir, s’émouvoir, soulever la chape de nuit qui enrobait sa mémoire. Mais peut-être ne ressentait-elle plus, peut-être était-elle tout simplement anesthésiée ? Qui est-on sans mémoire ? Lorsqu’elle essayait de se rapprocher de la réalité, lorsqu’elle cherchait à retrouver des faits, tout s’effaçait. Pas de trace qui pouvait confirmer ses dires. À peine pensait-elle saisir quelque chose d’une lumière projetée sur lui, son père, que le souvenir se gommait, redescendait dans les profondeurs. Elle avait interrogé des administrations, des documentalistes, des individus, sa sœur aînée. Rien. La tâche, trop difficile, la forçait à renoncer. Elle se laissait distraire par n’importe qui. Sa clairvoyance refusait de s’exercer. Puis, le souvenir remontait, prenait, un instant, une force de réalité tangible. Et aussitôt, il replongeait. Plus rien ne subsistait du passé. Juste une ombre portée, pâle et infidèle. La révélation était impossible. Un champ de ruines. Pourtant, elle aspirait à se couler dans cette aventure de l’écriture. Traduire en mots l’histoire de son père, en laisser trace » (p. 9).

C’est le début de L’homme sans larmes, de Pierrette Epsztein, paru chez Petite Capitale. Ces mots nous transportent, dès les premières pages ils nous accompagnent pour une quête rythmée par les souvenirs enfouis, oubliés, refusés, faussés, retrouvés, jusque dans leurs rapports avec le présent de la narratrice, jusqu’à réinventer ceux du père s’il le faut. Des scènes mythiques d’un roman familial à relire, des fantômes croisés en montagne, dans une rue de 1941.

Quête d’identité : celle du père, et aussi celle de la narratrice ; mais pas seulement, au-delà de l’identité, à la question qui peut se lire : « qui étais-tu ?», posée au père trop renfermé, invisible, s’ajoute la plus énigmatique et troublante « pourquoi j’ignore qui tu fus ». Et c’est cette question qui fait de ce roman plus que ce qu’il aurait été avec seulement « qui étais-tu ? ». Ce cheminement, de questions en réponses et en tentatives, permettra peut-être à « l’arbre sans branches et sans racines » d’en savoir un peu plus.
« Comment transmettre un héritage qu’il s’était interdit de transmettre ? Qui l’autorisait à trahir ce qu’il souhaitait cacher ? Il parlait de tout et si peu de lui. De quel droit se ferait-elle son interprète ? Juste dix ans aujourd’hui qu’il avait disparu. Et voilà qu’elle était chevillée à son ordinateur. Elle le savait, cette fois elle ne s’arrêterait plus. Elle trouverait le souffle » (p. 17).

En toile de fond, le siècle, vu par ces deux regards, et pas n’importe lesquels. Là encore, un glissement infime qui va nous transporter un peu plus loin. Ce siècle, c’est un juif aveugle qui le parcourt, de la Pologne à Paris. Sa vie retracée par « la gardienne de sa mémoire », qui doit, indice par indice le suivre jusqu’à Paris et, dans Paris, jusqu’à l’amour.
« Quelques rares fois depuis, avec quelques rares femmes, il s’était surpris, les narines en alerte, à se sentir happé par une déferlante de muguet et de fleur d’oranger.
La soirée était douce, trop douce peut-être. C’était le mois de mai et on sentait approcher, dans la nuit, la chaleur. Un délicieux avant-goût d’été. Ce soir, la lune éclairait la rue bien plus que les réverbères. »

Elle voyage, interroge, imagine, expérimente la nuit permanente à la Vidéothèque avec Dark/Noir.
« Privée de regard. Privée de vision. Privée d’images. Quand on n’avait plus la vue, on réalisait ce qu’était véritablement la force des autres sens. Vivre l’expérience d’une entrée dans le monde de son père. Elle aimait la nuit, elle aimait se promener dans une pièce noire et réussir à se repérer en caressant les meubles mais la nuit la terrifiait aussi pourtant. Combien de nuits où elle restait éveillée, terrassée par l’angoisse.
Elle sentit une délicieuse peur s’emparer d’elle lorsqu’on lui banda les yeux. Les rôles s’inversaient. Pour une fois, un aveugle la guiderait. Et elle toucherait du doigt le noir, la nuit, son noir, sa nuit, l’outre-nuit, l’outre-noir » (p. 53).

Les mots ont joué leur rôle, ici il y a le voyage, le transport qui nous emmène, la narratrice est elle-même emportée par cette aventure de l’écriture, posant ses propres pierres sur son passé, et nous les livrant une à une, jusqu’à donner la parole au père dans des débuts de chapitre en italique. Des passages au style parfois plus pauvre, comme aplani, mais peut-être est-ce à ce prix seulement qu’il était possible de faire passer cette distance affective, cet homme de l’action simple et directe : objectif, moyens, résultat.

« Maintenant que j’ai disparu du monde des vivants, ma langue peut se détendre, mes lèvres se décrisper et je te donne l’autorisation de parler en mon nom. Ou du moins de tenter, comme tu pourras, de reconstruire mon histoire. À partir de ma voix, tu déverouilleras la porte du récit. Ouvre grand tes oreilles. Je ne sais pas si une autre fois j’aurai l’énergie, la volonté, le courage ou plutôt le désir de me dire. La pudeur qui a noué ma gorge si longtemps n’a plus de sens maintenant. Plus rien ne peut t’empêcher, dans les interstices, dans les trous de la mémoire, d’inventer d’autres circonstances, d’autres situations, d’autres lieux, d’autres personnages. L’écrivain c’est toi. Laisse vagabonder ton imagination en toute liberté. Tu as mon autorisation, celle que, vivant, je ne t’ai pas donnée ou que tu ne t’es pas accordée » (p. 19).

Un extrait, sur la main, car ce juif aveugle qui sera kinésithérapeute ne pouvait avoir que des mains littéraires :
« La main du père. La main de son père posée sur son front quand il réfléchissait, quand il était soucieux. La main du père parlait. La main silencieuse du père, posée sur son front, parlait par son corps ployé vers la table sur laquelle son coude s’appuyait. La main du père caressait son front dégarni par les années, le labeur et les soucis, son front qui cachait, derrière sa façade lisse, tant de souvenirs enfouis ou effacés volontairement mais toujours là, malgré lui, et qui ployaient son dos vers la table où son coude reposait. Les mains du père. Les mains des hommes. Ce sont elles qui en premier captaient son regard. Dès qu’elle avait vu le penseur de Rodin dont la main supportait le poids du front, elle avait su qu’il correspondait à sa façon d’appréhender les hommes. Sa main se lançait à l’assaut de la page pour tracer des mots. Tous les mots que son père n’avait jamais pu prononcer. Tracer les mots absents de son père. Les mains de son père qui glissaient sur la page de papier cartonné jaune ou beige pour lire les mots » (p. 11-12).

JEUDI 3 SEPTEMBRE 2009 : SOIRÉE LES SONIQUES de Nicolas RICHARD

A l’occasion de la sortie du livre LES SONIQUES de NICOLAS RICHARD et KID LOCO, les éditions Inculte vous invitent à une signature-rencontre avec les auteurs, le JEUDI 3 SEPTEMBRE à partir de 19H, à la librairie VILLAGE VANGUARD (3 rue de Nemours, Paris XIe, M° Parmentier ou Oberkampf), suivie d’un DJ-SET de Kid Loco au BAR UDO (4 bis rue Neuve Popincourt, Paris XIe, M° Parmentier).

Présentation de l’organisateur : A la croisée des post-modernes américains (Mark Z. Danielewski, John Barth, William Gass) et des grands classiques littéraires (Tristram Shandy en tête), Les Soniques font et défont l’histoire de la musique et du xxe siècle. Livre objet inclassable, ce roman total entremêle les genres et se joue des codes littéraires – notes digressives, style épistolaire ou épique, interventions baroques…

Co-signé par un traducteur (Nicolas Richard) et un musicien électronique (Kid Loco), ce cabinet de curiosités littéraires vient bousculer la rentrée et offre au lecteur une expérience unique : pénétrer dans un univers fantasmé et labyrinthique dont il aura du mal à sortir.

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rédaction

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