Après un premier post consacré à ce qui ressortit et à l’actualité la plus brûlante et à la nécessaire réflexion sur un clivage régissant le champ éditorial, dans ces NEWS pleins feux sur l’essai fondamental de Bernard Desportes, Le Présent illégitime ; puis, nous retrouvons notre rubrique satirique Libr-campagne…
UNE : Bernard Desportes, Le Présent illégitime /FT/
Bernard Desportes, Le Présent illégitime. Réflexions sur une écriture de l’impossible, éditions La Lettre volée, Bruxelles, 2012, 112 pages, 16 euros, ISBN : 978-2-87317-381-4.
"Comment nous attarder à des livres auxquels, sensiblement, l’auteur n’a pas été contraint ?" (Georges Bataille, Le Bleu du ciel).
Le présent, tel que le conçoit Bernard Desportes, n’est ni celui des certitudes, ni celui des conservatismes, qu’ils soient d’arrière- ou d’avant-garde ; faisant fi des productions consensuelles, ludiques ou didactiques, il veut "en finir avec une littérature dressée comme un chien de compagnie" (dans la lignée de Paul Nizan, Serge Halimi, lui, parle de "nouveaux chiens de garde") et s’oppose à tous ceux qui se prélassent "dans le fauteuil roulant du possible et de ses cohérences". Le présent illégitime, pour Desportes, est à la fois imprévisible et impossible, inaccessible et inacceptable, impensable et insupportable, insaisissable et irrémédiable ; son présent illégitime est imprésence, séparé du monde positif – celui du fini, du défini et de l’accompli, de l’achevé, du pré-fabriqué et du prêt-à-penser, en un mot, celui dont la pseudo-transparence et la pseudo-simplicité rassurent – par un manque, une négativité qui est celle de l’obscène et de l’innommable. Du Mal. Car l’écrivain a placé cet essai stimulant à l’enseigne de Georges Bataille : "Le côté du Bien est celui de la soumission, de l’obéissance. La liberté est toujours une ouverture à la révolte, et le Bien est lié au caractère fermé de la règle" (La Littérature et le Mal).
Ecrire au présent, c’est pour Desportes mettre en crise la langue et les représentations dominantes ; c’est faire entrer dans la langue tout ce qui l’excède – que l’on peut appeler "l’impossible" – sans donner dans le formalisme ; c’est affronter le gouffre de l’angoisse comme le tourbillon vertigineux de la liberté, tout en se gardant de la totalisation philosophique. Et pour lui, plus que la poésie, le roman est à même de rendre compte de la tension entre humain et inhumain, sens et non-sens, présence et absence, du seul fait qu’il ne tombe pas dans une spatialisation réifiante, mais propose une expérience sensible liée à une temporalité vécue.
Libr-campagne
Merci au caricaturiste talentueux Joël Heirman d’avoir illustré à sa manière ces extraits du premier chapitre de la Quatrième chronique du règne de Nicolas Ier, brillant récit de Patrick Rambaud (Grasset, 2011) qui vient de paraître en Livre de Poche.
"Le Nerveux Souverain prenait feu aisément ; même en repos forcé dans la villa de sa belle-mère, au cap Nègre, il usait son temps et celui d’autrui à cracher des ordres au téléphone plutôt que de réussir une sieste. […]
L’air du temps contribuait à nourrir sa phobie de sécurité absolue et son désir de grandeur, mais ses proches valets lui rapportaient en grimaçant qu’on se suicidait de plus en plus dans les grosses entreprises, où l’on traitait mieux les caoutchoucs en pots que les humains […]
La Cour avait peur du Fantasque Souverain et ses sujets avaient peur de tout. La moindre broutille prenait des proportions. Quelle peur gonfler et entretenir pour que le peuple restât docile et craintif ?" (p. 11-13).