Le moment est venu de faire le point sur la fin de la saison et celle à venir, façon aussi de découvrir les œuvres qui viennent de paraître ou qui vont marquer la Rentrée (LC jusqu’en septembre). Dans l’attente, trois livres reçus à découvrir : Sandra MOUSSEMPÈS, Acrobaties dessinées (éditions de l’Attente) ; Dominique MEENS, Aujourd’hui tome deux (P.O.L) ; Emmanuèle JAWAD, Les Faits durables (Ixe prime). /FT/
Livres reçus
► Sandra Moussempès, Acrobaties dessinées, éditions de l’Attente, juin 2012, 104 pages + CD : Beauty Sitcom (audio-poèmes), 14 €, ISBN : 978-2-36242-023-8.
"Une vie, même un extrait au ralenti de cette vie, peut-on en faire une histoire neuve" (p. 51).
"La poésie écrite par des gens qui ont vécu des abus ou des drames n’est pas la poésie écrite par des gens élevés dans la banalité et l’amour sain…" (p. 64).
Présentation éditoriale. Une place singulière est faite au monde de l’imaginaire et du féerique à travers l’écran où s’entremêlent poésie, prose, fiction et enquête. Sandra Moussempès nomme ce qui échappe au genre, esquisse le portrait malléable d’un récit en mutation continue dans l’élasticité brumeuse du temps qui passe. Avec le CD Beauty Sitcom, dans une ambiance postpunk liquide elle révèle d’une voix idyllique les abysses bleutés d’une pièce de vers performative.
Premières impressions. Ces acrobaties verbales sont à la fois dessinées et susurrées. Fascinante voix de Sandra Moussempès : mots simples et samplés.
Ces exercices de haute voltige se présentent sous la forme d’une mosaïque de séquences mémorielles, d’inventions verbales et de visions fulgurantes.
La poésie de ces Acrobaties est factuelle : archives, photos et phrases clés. Dans cette factographie, on retrouve les biographèmes de celle qui porte le père en elle (38) : "Ressassement devint fruit de vidéo mémorielle" (68). Mais aussi la déconstruction des clichés féminins comme des sitcoms : sont évoquées "princesses décharmées", "comptine déchiquetée"… Ce que l’auteure appelle "la fonction Derrick" n’est autre qu’un décalage entre son et image, la tache aveugle de la représentation médiatique par où s’engouffre l’imaginaire : "c’est là tout l’intérêt de la fabrique Derrick, une place pour la rêverie et la transposition libre de nos propres sensations" (79-80)…
► Dominique Meens [Miguel Donoso Pareja], Aujourd’hui tome [Gudrum, Gudrum] deux, éditions P.O.L, juin 2012, 490 pages, 25 €, ISBN : 978-2-8180-1640-4.
Présentation de l’auteur. Miguel Donoso Pareja est un écrivain sud américain. Il est né à Guayaquil en 1931, a vécu longtemps au Mexique. Il a bien voulu d’abord être l’un des personnages de mon livre, puis il l’a conclu d’une double rafale de poèmes : Gudrum, Gudrum.
L’histoire dont il est le personnage raconte comment, sujet à la maladie de Parkinson, il a failli être embarqué dans de très louches laboratoires français, et comment deux jeunes filles lui ont permis de s’échapper à temps.
Je parle également dans ce livre de deux autres "échappés des lucarnes", comme disait Gil J Wolman dont j’ai assez parlé dans Aujourd’hui rougie, à savoir Claude Ollier et Danielle Mémoire. Et c’est en vous parlant que je vois le motif de ce dernier aujourd’hui : l’échappée.
Belle autant que possible : mais ça, on me dit que c’est au lecteur d’en juger.
Aujourd’hui tome deux serait lui poétique, comment justifier ce propos ?
C’est que le sujet, celui qui dit "aujourd’hui je dors" depuis ce premier livre de la série publié en 2003, s’y crée d’un bout à l’autre. Un sujet humain ne se créant, il n’y a pas de secret, que depuis d’autres sujets, celui-là laisse progressivement la parole à ceux qu’il considère des proches, à ceux qui l’auront formé. Il fait ainsi de l’un d’entre eux, Miguel Donoso Pareja, un personnage ; il rédige l’apologie d’un autre, Claude Ollier ; produit le dithyrambe d’une troisième, Danielle Mémoire ; pour enfin céder totalement la page au premier, qui est un poète sud-américain d’envergure, et, ainsi fait, conclure.
Premières impressions. On dévorera cette extraordinaire somme transgénérique, le cinquième tome du cycle des Aujourd’hui que d’emblée l’auteur présente ainsi : "Nos aujourd’hui ne sont ni des essais littéraires ni des romans, ce sont livres d’anticipation"… Sans doute en raison de phrases comme celle-ci : "Il y a encore, il y aura encore des poètes, beaucoup de poètes. Mais la poésie est finie" (p. 477). Quelque deux cents pages auparavant, le jugement était sans appel : "La poésie exténuée, bavarde du rien à dire, ready-made décourageante, amoureuse transie ou gorgée de bière, pourrait bien être subversive : elle dit tout crûment l’état des lieux, tout crûment qu’elle est exclue, qu’il est donc exclu de prendre réellement la parole, soit de renverser l’ordre des choses" (298)…
► Emmanuèle Jawad, Les Faits durables, éditions Ixe prime, juin 2012, 128 pages, 16 €, ISBN : 979-10-90062-13-9.
Présentation éditoriale. Poète, Emmanuèle Jawad creuse la langue jusqu’à obtenir une prose trouée, lacunaire, allégée des vides du discours. Touchés par ce travail de fragmentation, les mots éclatent de polysémie, ils s’entrechoquent et se frottent les uns aux autres dans un crépitement de significations. L’histoire qu’ils délivrent a trait à l’emprise du genre, aux stratagèmes à déployer pour s’en déprendre. Elle s’illustre de faits aléatoires et têtus, aux effets durables. "RÉPERTORIER LES ÉVÉNEMENTS DE SON TEMPS N’ENTAME EN RIEN LA FICTION."
Premières impressions. Voici, signe des temps, un agencement de faits et d’effets, une figuration de personnages (Carol, Justine, Angèl, Raph, Juliette), un montage discursif avec listes, définitions et encadrés. Pour que les faits deviennent durables, il faut et il suffit de retraiter les discours. D’où, en fin de volume, la liste des "sources, volumes, clés". Extrait : "les effets de courte ou longue durent et misent sur la nuit à l’épreuve / des faits fou l’effet que la fille te fait te et paillettes en piste grésillent à perte / faut-il qu’au bar la bouscule des filles ne fait pas dans la demi-mesure s’écroule des épaules sur Raph" (68).
LC jusqu’en septembre…
► La pause aura lieu du 28 juillet à fin août (sauf événement exceptionnel).
► Aperçu du programme (listes non closes) :
♦ Créations à venir : Philippe BOISNARD, Didier CALLÉJA, CUHEL, Claude FAVRE (inédit exclusif en septembre), Thérèse LAHOR, Marc PERRIN, Romain le GéoGrave…
♦ Chroniques sur quelques dernières nouveautés : Milad DOUEIHI, Pour un humanisme numérique (Publie.net) ; Sandra MOUSSEMPÈS, Acrobaties dessinées (éditions de l’Attente) ; Valère NOVARINA, La Quatrième Personne du singulier (P.O.L) ; Jacques SIVAN, Des vies sur deuil polaire (Al dante) ; Vincent THOLOMÉ, Cavalcade (Le Clou dans le fer)…
♦ Chroniques sur des livres à paraître à la Rentrée : Jérôme BERTIN, Le Patient (Al dante) ; François BON, Autobiographie des objets (Seuil) ; Mathieu LARNAUDIE, Acharnement (Actes Sud)…
♦ Articles de recherche ou "Libr-retour sur…" : sur Mustapha BENFODIL, Archéologie du chaos amoureux (Al dante), sur PRIGENT, le grotesque, la subversion…
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