Après être allé faire un tour du côté de chez P.O.L (avec notamment Edith Azam, Décembre m’a ciguë), on s’intéressera aux livres reçus (La Revanche de la pelouse, de Rosmarie Waldrop ; Ago d’Antoine Dufeu ; n° 8 de la revue Avant-poste). Parmi les Libr-événements : Séance qui vive et Soirée Al dante… De quoi attendre le printemps ! /FT/
Du côté de chez P.O.L…
Rien que du passionnant, dans le programme de février-mars 2013 : Marianne Alphant, Ces choses-là, et Jacques Jouet, Un dernier mensonge (février) ; Christian Prigent, Les Enfances Chino, et Jean-Bernard Puech, Le Roman d’un lecteur (14 mars). Après les 220 satoris mortels de François MATTON, donnons un aperçu du dernier livre d’Edith Azam.
► Édith AZAM, Décembre m’a ciguë, P.O.L, février 2013, 192 pages, 16 euros, ISBN : 978-2-8180-1707-4.
Lectrice et performeure reconnue (écouter la lecture de Lodève sur LC), Edith Azam est passée maître dans l’art de se métamorphoser d’un livre à l’autre. Après un Mercure (Al dante, hiver 2011-2012) écrit dans une langue proche de celle de Katalin Molnar, on retrouve les motifs de la perte, de l’absence et de l’angoisse dans ce récit de facture plus classique, mais qui opère de subtiles distorsions (glissements d’une catégorie grammaticale à une autre, emploi idiosyncrasique des deux points…). Paru le jour même de la St Valentin, Décembre m’a ciguë évoque bien la date fatidique d’une rupture, d’un manque à venir, celle qu’elle redoute tant, qui verra la mort de sa grand-mère, dont la parole conteuse l’obsède : "Parler me vrille les tympans, ça sonne faux, ça cacophone. Tu me manques tellement que j’en perds toute ma bouche. […]. Je rejoins le canal, plus aucun son : la neige. Je la regarde flotter, pendant ce temps : je : tombe" (23)…
Livres reçus
► Rosmarie WALDROP, La Revanche de la pelouse, traduit de l’américain par Marie Borel & Françoise Valéry, éditions de l’Attente, hiver 2012-2013, 88 pages, 11,50 €, ISBN : 978-2-36242-032-0.
"Je me demandai si le sens de la traduction devait aller vers l’arithmétique ou retourner à mon silence natal" (p. 81).
Il n’est pas question ici du "vert paradis des amours enfantines", mais du vert pelouse. L’herbe pousse sans projet, c’est-à-dire sans finalité posée, sans conscience de le faire ; la pelouse, en revanche, c’est de l’herbe informée par le langage, c’est du vert pelouse construit : "Il n’y a que le langage pour faire pousser de telles pelouses vert pelouse" (15). Et pour que la pelouse vert pelouse devienne paradis, "il faut fermer les yeux" (19).
Ecrire, pour transformer le vécu en affects et percepts. Car il ne saurait y avoir d’appréhension immédiate du monde : "je compris que le monde était la part de mon corps que je pouvais changer par la pensée" ((79)… Ecrire, à la première personne : "La première personne du singulier s’ouvre sur des possibilités terrifiantes qui m’arrachent peau après peau jusqu’aux larmes comme si je pelais des oignons" (76). Rien d’étonnant, donc, à ce que ce texte qui tisse des liens subtils entre poésie et savoir soit dédié à Claude Royet-Journoud.
Parce que "l’on ne peut se saisir soi-même" (59) et que l’expérience n’est autre qu’ "une pile d’instants qui ne s’ajoutent pas en une dimension" (73), l’écriture se doit d’emprunter la voie poétique : "Poésie : une logique différente, moins linéaire" (83).
► Antoine Dufeu, Ago, éditions Le Quartanier, Montréal, hiver 2012-2013, 64 pages, 14 euros, ISBN : 978-2-89698-027-7.
"L’argent ne se gagne pas ; il se fabrique et se distribue" (p. 34).
Changements de lieu (Ethiopie-Bulgarie-France), de nom et d’identité sexuelle… partout règne l’inégalité : tel est le constat que dresse ce court récit tripartite ("Trou noir", "Saint-Malo noir" et "Bougreries franco-bulgares"). On peut aussi le dire à la façon de "Yes, we are" : "Nous sommes sept milliards à craindre pour nos lendemains ; sept milliards nous sommes" (47). D’où l’utopie d’une constitution économique singulière : "Demain, sept milliards, nous irons voir nos banquiers. Pour dissiper tout malentendu, nous emprunterons chacun le maximum qu’ils pourront nous prêter et porterons la somme totale à notre crédit commun. Nous n’aurons pas besoin de chars d’assaut, car la nouvelle guerre populaire consistera en l’appropriation par nous tous, sept milliards d’humains, des mécanismes de l’argent et du capital"…
► On pourra également découvrir le dernier numéro de la revue Avant-poste (n° 8, Paris, 224 pages, 14 euros), et plus particulièrement la traduction par Cyril Vettorato de quelques poèmes signés Paul Beatty ("Détroussage verbal" – "poème de performance" – et "Plan défonce"), sans oublier l’entretien avec Jeff Wall, ce "peintre de la vie moderne" qui, dans les années 70, fut le premier artiste-photographe à présenter des photos-transparences éclairées dans des caissons lumineux.
Libr-événements
► Jeudi 28 février, 19H-22H, cinéma le 104 de Pantin (104, avenue Jean Lolive 93550 Pantin) : Séance qui vive, organisée par Rudolf Di Stefano et François Nicolas [entrée : 5 €].
Avec : Eytam Grossfeld, Rudolf Di Stefano, François Nicolas, catherine Rallet, laurent Cauwet, Pierre Linguanotto, Stéphane Nowak papantoniou.
Il s’agit d’inventer un lieu (autour d’un endroit existant : le ciné 104 de Pantin) et une forme (à partir de deux figures : la séance de cinéma et la revue parlée).
Un lieu pour partager les brèches d’un monde contemporain saturé d’injustices et de corruption ; un lieu pour présenter les nouveaux possibles qui s’avancent et se fraient une voie, potentialités encore invisibles mais déjà bien actives : le possible, revenu d’un lointain passé souterrain, que la taupe annonce ; le possible que l’aigle actualise comme point lointain prêt à fondre sur le présent ; le possible à venir que la progression tranquille d’un âne venu de l’horizon rend public d’un mince trait de poussière.
Un endroit qui articule une salle, une scène et un écran ; une caverne retournée tel un gant où l’écran fait moins écran distrayant que surface filtrante d’un vitrail, où la scène découpe un espace d’où des corps parlent à un public, où la salle performe un collectif le temps d’une séance plutôt qu’elle ne l’endorme.
Une forme pour rythmer ces percées et leur donner chance de se croiser, de se frotter, de s’entrelacer ou de bifurquer ; une forme mixant celles des séances de cinéma et des revues parlées.
Une séance qui, à la manière du vieux cinéma du samedi soir, entrelace les actualités d’un présent inapparent (notre aigle), les publicités sur un futur encore inexistant (notre âne) et les annonces d’un passé qui reprend souffle (notre taupe).
Une revue qui enchaîne les points de vue de musiciens et de cinéastes, de poètes et d’écrivains, d’acteurs et de danseurs, mais aussi de militants et de gens soucieux d’émancipation politique. Une revue soumise à deux principes formels :
chaque intervention durera environ un quart d’heure – les interventions doivent pouvoir se composer, se répondre, se surprendre ;
chaque billet écrit sera systématiquement lu par un autre que celui qui l’aura rédigé – l’intervention de chacun doit être appropriable par d’autres.
► Samedi 2 mars 2013 à 19H, soirée AL DANTE au Monte en l’Air (71, rue de Ménilmontant / 2, rue de la Mare 75020 Paris).
Lectures et performances de Jérôme BERTIN, qui a publié Le Patient en 2012 et dont va paraître Pute en avril prochain ; Jean-Michel ESPITALLIER, dont on vient de saluer L’Invention de la course à pied ; Stéphane Nowak PAPANTONIOU, dont on découvrira en avant-première Tentaculeux et tuberculaires (Al dante, mars 2013).
► On découvrira l’album Les Batons rompus (musique concrète et électro-acoustique), de David Christoffel (avec la voix de Daniel Pozner) : ici.