En ce premier dimanche de février, après une UNE consacrée à L’Air de rin de Bruno FERN, le livre de la semaine : Olivier CADIOT, Histoire de la littérature récente. Suivent nos Libr-événements : RV à Marseille avec la revue La Tête et les Cornes ; à Paris avec Mathieu Larnaudie ; à Lausanne avec Olivier Cadiot.
UNE : Bruno FERN, L’Air de rin
Bruno FERN, L’Air de rin, préface de Jean-Pierre Verheggen, éditions Louise Bottu, coll. "contraintEs", hiver 2015-2016, 58 pages, 7 €, ISBN : 979-10-92723-10-6.
Cette fois, "pas grand-chose à se mettre sous la dent mais pas rien pour autant" : la contrainte consiste à inventer des variantes à partir de deux vers célèbres, "Aboli bibelot d’inanité sonore" (Mallarmé) et "Ferai un vers de pur néant" (Guillaume d’Aquitaine). Cet exercice de virtuose vise à rien moins qu’à explorer l’aire du temps et les infinies ressources de la poétique. Donnons tout de suite aux Libr-lecteurs de quoi se mettre sous la dent :
A patrie, proprio, d’identité s’honore.
Assagit directo l’humanité dolore [antidépresseur].
A Neuilly va presto karchériser l’cador.
Avachi top chrono sécurisé indoor.
A gémi quand de dos à en tâter se tord.
A demi dans les mots sonorités débords.
Ahuri jusqu’en haut d’activités senior.
A Paris parano, persécuté à Niort.
Ces alexandrins qui concernent ici les domaines social, médical, idéologique, érotique et poétique, respectent parfaitement le schéma rythmique et phonique initial : 3+3 / 4+2 ; /i/ /o/ /e/ /ɔ/. Ce qui n’est pas le cas pour bon nombre de vers dans cette première partie – sans compter le problème du e dit "muet"… Quant à la seconde, elle ne comporte que peu d’octosyllabes et peu de césures.
L’essentiel est que la mécanique rythmique – hypnotique et drolatique – s’exerce en vers et contre tout, et notamment de la tyrannie du sens. La crise-de-vers mène ici au trans-faire.
Le livre de la semaine
Olivier Cadiot, Histoire de la littérature récente, tome I, P.O.L, en librairie mardi 9 février 2016, 192 pages, 11 €, ISBN : 978-2-84682-231-2.
Présentation éditoriale. Vingt ans après la Revue de littérature générale et ses deux numéros historiques, Olivier Cadiot a eu envie de revenir sur le sujet, mais cette-fois sans l’aide de sociologues, de philosophes, de musiciens ou de paysagistes. Avec les seuls moyens de l’écrivain contemporain. Sans plans, ni cartes, ni partitions, ni théorie. Cela donne un feuilleton en plusieurs épisodes, comique et sensible, une histoire en zigzag émaillée de conseils à de futurs auteurs… et surtout à soi-même. Une suite de variations consacrées aussi bien au passé de la littérature qu’à son présent, à son avenir, à sa mort annoncée mais toujours différée. Ce n’est pas à proprement parler une fiction, bien que cela y emprunte des personnages, des « figures », des cas psychologiques et une vraie liberté de ton ; ce n’est pas non plus un essai bien que s’y retrouvent théories, hypothèses et débats : c’est un livre d’Olivier Cadiot.
Note de lecture. "Personne n’est satisfait de sa manière d’écrire, seuls certains secrétaires de ministères, quelques professeurs de l’enseignement supérieur ou des préfets à la retraite pensent écrire bien naturellement" (p. 123)… Il s’agira donc de ne tomber ni dans le bien-penser, ni dans le bien-écrire. Au reste, on n’écrit pas : l’écrivain contemporain n’est dynamisé ni par l’antique furor, ni par le moderne Inconnu ; il ne saurait ni explorer les obscures profondeurs ni arborer la langue transparente des actuels communicants.
Fort d’une expérience d’un bon quart de siècle, Olivier Cadiot tourne le dos aux outils universitaires pour proposer une divanitation anti-académique qui prend la forme d’une enquête, un projet qui n’est pas à proprement parler une histoire de la littérature : ni dates, ni noms, ni hiérarchies… D’ailleurs, doit-on se fier aux étiquettes ? "Post-truc ? Pré-Machin ? On ne voit plus où on est" (35). Une histoire vivante devrait entrelacer en spirale l’ancien et le moderne, se faire problématique : "L’histoire doit devenir une histoire problème qui questionne le passé et remet constamment en question ses propres postulats et méthodes afin de ne pas être en reste sur les autres sciences et sur l’histoire du monde" (43) ; et, de nos jours, tout "honnête individu" devrait entreprendre "une histoire de ce qui nous arrive" (101).
Que retenir, donc, de ces caprices et zigzags ? Qu’il faut vider la littérature de la littérature, la poésie de la poésie ; se défier des modes, de l’autofiction par exemple : "histoires de famille, premiers émois, mort du père, viol de X, disparition de Z, tortures de W" (19) ; et que, "si la littérature a disparu, c’est peut-être à cause de cette possibilité qu’elle s’est donnée de tout raconter en direct" (150)…
Libr-événements
► Vendredi 12 février 2016 à 19h, Centre International de Poésie Marseille. Présentation de la revue La Tête et les Cornes : Marie de Quatrebarbes et Maël Guesdon. Lectures : Cécile Mainardi, Marc Perrin.
La tête et les cornes est une revue de poésie et de traduction. Les deux premiers numéros ont réuni des textes de Chu Halim, An Hyŏnmi, Ch’oi Kǔmjin, Kim Chudae, Lee Ch’ŏlsong, Lee Chaehun, Hŏ Yŏn, Linnéa Eriksson, Beata Berggren, Adam Westman, Niclas Nilsson, Martin Högström, Peter Thörneby, Jørn H. Sværen, Virgil Mazilescu, Peter Waterhouse, Peter Gizzi, Alan Davies, Alice Notley, Julien Maret, Cécile Mainardi, Danielle Mémoire, Marie-Louise Chapelle, Victoria Xardel, Marc Perrin, Marie Cosnay, Caroline Sagot Duvauroux, Marie-Hélène Renoux.
Certains de ces textes ont été traduits par Benoît Berthelier, Julien Lapeyre de Cabanes, Martin Richet, Stéphane Bouquet, Marie de Quatrebarbes, Pierre Drogi et Lucie Taïeb.
La tête et les cornes existe depuis 2013. Elle est coordonnée par Marie de Quatrebarbes, Benoît Berthelier et Maël Guesdon. Dans le cadre de l’invitation du Centre international de la poésie de Marseille, La tête et les cornes a proposé à plusieurs auteurs d’écrire à partir du cinéma d’Alain Cavalier.
► Vendredi 12 février à 19H, Librairie Les Traversées (2, rue Edouard Quenu 75005 Paris), rencontre avec Mathieu Larnaudie organisée par les Filles du Loir : avec Gabrielle Napoli, l’écrivain reviendra sur Strangulation (2008).
► Mardi 16 février à 20H, rencontre et lecture avec Olivier Cadiot au théâtre de Vidy à Lausanne (Suisse) autour de son dernier livre Histoire de la littérature récente. Entrée libre.
Théâtre de Vidy / La Kantina, Av. E.-H. Jacques-Dalcroze 5 CH-1005 Lausanne / Billetterie +41 21 619 45 45 / info@vidy.ch