Pour cette seconde quinzaine de septembre, nos Libr-événements nous emmènent au Festival ActOral (Marseille) et à la Maison de la poésie Paris. Mais auparavant, retour réflexif sur le Festival EXTRA! puis notre rubrique « En lisant, en zigzaguant », qui se nourrit de deux nouveautés extraordinaires de Tinbad (signées Jacques Brou et Jacques Cauda !)…
Libr-retour sur le Festival EXTRA! /FT/
Le bien nommé Festival EXTRA! vient de s’achever au Centre Pompidou. Rien à redire : sous l’impulsion de son dynamique directeur, Jean-Max Colard, cette 3e édition fut réussie – avec un programme et des rencontres extraordinaires. C’est le genre d’événement qu’il faut soutenir (et LIBR-CRITIQUE l’a fait dès 2017) et réitérer pour la création contemporaine.
Mais pourquoi diable avoir sous-titré ainsi cette initiative ambitieuse : « Le Festival de la littérature vivante » ? Faute de précaution et de rigueur, la trop grande extension de la notion aboutit à sa dissolution : comment caractériser précisément une « littérature vivante » ? Quel degré de pertinence l’épithète « vivante » peut-elle bien présenter ?
Certes, à l’époque de la poésie action (au sens large du terme), les poètes expérimentaux militaient en faveur de la « poésie vivante » : c’était de bonne guerre, il fallait bien sortir de la tyrannie du livre. Mais, sans faire de procès d’intention envers qui que ce soit, on peut considérer que, comme souvent dans ce cas, les présupposés (souvent implicites et plus ou moins involontaires) sont révélateurs de l’aire du temps : si la « littérature vivante » s’oppose à la littérature morte, à quoi cette dernière correspond-elle ? Assurément à celle du passé, c’est-à-dire à celle du livre. Exit la littérature publiée en volumes, vive la littérature scénique ! On nous explique du reste que cette riche « littérature vivante » se définit comme un « spectacle live » qui réussit à déplacer les lignes… Quelles lignes ? Assurément, celles entre le pôle autonome et le pôle commercial.
Déplacer les frontières n’est donc plus l’apanage des avant-gardes : en un temps où l’injonction néo-managériale nous incite à sortir-de-notre-zone-de-confort, la machinerie spectaculaire nous somme de faire-bouger-les-lignes (cliché footballistique annexé par le discours dominant)… Ce mouvement de spectacularisation qui nous plonge dans un éclectisme profitant aux pêcheurs d’eaux troubles est somme toute logique : il a fallu un demi-siècle pour que le recyclage des avant-gardes débouche sur l’institutionnalisation du vivant.
En fait, rien ne sert d’opposer les camps : dans la querelle entre littérature écrite et littérature scénique, il importe de défendre l’inventivité, dans la mesure où il y a un académisme du livre comme il y a un académisme des « performances »… Ce qui compte, c’est la vie comme créativité, et elle peut se trouver dans les livres comme partout ailleurs et quel que soit le support… Cela étant dit, le débat restera ouvert, vu les querelles pour imposer telle ou telle définition des formes vives.
© Photos : Christian Prigent ; Agence de notation (animée par Christophe Hanna), chargée d’évaluer le fonctionnement du Jury Heidsieck.
En lisant, en zigzaguant…
♦ Moi cauda du latin cauda « la queue » car malsain de corps et d’esprit et malsain de queue dit cauda dit aussi le vénéneux moi qui ne crois qu’au mal car malsain de queue au bout d’un corps qui ne croit en rien ni au nom du père ni au sain d’esprit moi au nom du fiste je dis ici en toute innocence que je suis comme la flèche du Parthe décochée à cheval sur la queue du cheval c’est-à-dire en cauda forcément venenum
Jacques CAUDA, Profession de foi, Tinbad,
septembre 2019, 18 €, p. 55.
♦Quand hommemorts vivent vies données & faites par autres, envie les quitte de penser quoi que ce soit méchant, sale ou même impoli. Disent le merci, continuent de glisser & dévalent. Remontent 1 fois la pente avant le naître puis se précipitent vers ne savent quoi. Disparaissent à fur & mesure que vivent et ne savent où vont vies et heures de vie déjà vécues – dans quel trou ? Quel mou ? Égout ? Dans quelle poubelle ?
Jacques BROU, La Histoire du Hommenfant, Tinbad,
septembre 2019, 18 €, p. 58.
Libr-événements
► Festival ActOral : programme du 20 septembre au 12 octobre 2019.
♦ Samedi 28 septembre à 15H, Montévidéo à Marseille (3, impasse Montévidéo) : Liliane Giraudon et Robert Cantarella, « Le Travail de la viande ».
Le travail de la viande est constitué de sept textes, sept formes très différentes, appelées à explorer ce que peut être aujourd’hui une littérature de combat. Pour cette lecture performée, Robert Cantarella s’attèle à l’un d’entre eux : le dramuscule, « Oreste pesticide ».
« En lisant Liliane Giraudon, depuis le temps, j’entends une voix qui me parle, me dit les mots que je lis. Tout cela sans corps prévu, même le sien, ne va pas forcément avec. Sacrée histoire, la voix sans corps, ou la voix qui ne va pas avec. On connaît la déception d’une voix qui ne va pas avec. Je ne la voyais pas comme ça, dit-on (…).
Passer à la voix haute est toujours une déliaison, une opération de déliaison contre toutes les voix qui jusque là se sont tues, pour le bien du texte, pour le bien du lecteur. Alors pour la première traduction du texte écrit en texte dit, tout seul, au festival actoral, j’ai peur, donc j’ai envie ».
♦ Lundi 30 septembre à 20H, Montévidéo à Marseille (3, impasse Montévidéo) : Aldo Qureshi, Barnabas
Les 98 poèmes de Barnabas font écho aux 105 poèmes de Made in Eden (éditions Atelier de l’agneau, 2018), voyage à travers le territoire intime, sous l’entité microcosmique d’un immeuble, où chaque appartement pourrait être un poème, chaque pièce une excavation dans l’espace du corps poétique, chaque habitant une part d’un seul individu, un repli de lui-même, un revers de l’entendement à exhiber ou à cacher, c’est selon.
► Du côté de la Maison de la poésie Paris :
♦ Samedi 28 septembre à 16 H : à propos du dernier numéro de la revue Po&sie
Cette séance sera consacrée au dernier numéro de la revue Po&sie « Des oiseaux » composé avec Jacques Demarcq, le poète des Zozios. Dans le moment de la plus grande urgence écologique, la revue tient à marquer sa différence. Les poètes, écrivains, historiens et philosophes conviés à participer au numéro ne se contentent pas seulement de célébrer les oiseaux, de les prendre comme des motifs, comme des lucioles clignotant au moment de leur disparition. L’oiseau relance plutôt la rage de l’expression. C’est un défi à la poétique – la relance périlleuse d’une question de principe : quelles sont les chances de la poésie, comment peut-elle inscrire une langue neuve dans la voix ?
Avec Michel Deguy, Claude Mouchard, Martin Rueff, Jacques Demarcq, Florence Delay, Jacques Roubaud, Jean-Louis Labarrière…
Po&sie, n° 167/168 : « Des oiseaux », Belin, 2019.