Cette semaine aura été marquée par la mort de Raymond Federman, que nous étions beaucoup à connaître, à avoir vu en lecture. Libr-critique transmet toute son amitié à ses proches.
Au programme aujourd’hui : Christophe MARCHAND-KISS, Pierre VINCLAIR, le numéro 53 de Mouvement, et des événements à ne pas manquer.
PUBLIE.NET : Christophe MARCHAND-KISS
Christophe Marchand-Kiss, Situation sans évolution semblable ; mise en page et proposition graphique : François Rannou et Mathieu Brosseau ; PDF écran et eBook (Sony/iPhone), 142 pages, 5,50 €, ISBN 978-2-8145-0270-3
Présentation éditoriale (François Rannou)
On est dans « cette grande ville de l’Est » — pas de nom comme si l’orientation même impliquait un détournement, un retournement des repères. La description de la ville se veut objective, et en même temps celui-celle qui la traverse « n’a pas pris, littéralement, connaissance ». On suit une déambulation giratoire : où les voix intérieures-extérieures semblent abolir les frontières entre soi et la ville — ne forment qu’un « corps » sans accès, fascinant, qui se densifie du vide qui le traverse et l’offre au vent — « corps vent », « corps bourrasque » — c’est-à-dire à la dispersion. Pourtant le texte de Christophe Marchand-Kiss impulse un autre mouvement. Comme pour, au milieu du « marronnasse » du brouillard, permettre d’avancer en équilibre — le corps flottant est à la fois tendu comme un élastique et ramassé sur lui-même comme une bille de verre. Tout est question de vitesse, la bonne vitesse rend possible une perception aiguë de la ville — mais c’est notre monde dont il est question — et des moyens qu’a la poésie (celle, active, que voulait Ponge, et dont Christophe Marchand-Kiss est aujourd’hui un des meilleurs représentants) de le dire. Aussi parce que le réel toujours se rebelle « par dissociation », « par échappement », est-il question de conjurer cette fragmentation, non par une réunification impossible mais par un travail d’agrandissement des détails, comme des photographies dépeintes : rendre le noir et blanc à la nudité du temps, au visage dévisagé de l’Histoire et de la mémoire. Le mouvement du poème en suit les linéaments, les spirales, les courants (pour rendre possible une sortie de soi) dans une giration — et c’est la métaphore de l’écriture qui « va, court, rapide, va aux lisières (…), déborde, revient, vire et tourne (…). Elle ne se répète pas. Elle sabote, se sabote, s’extrait, épurée. Rien n’est oublié. » C’est dire l’ambition du travail de Christophe Marchand-Kiss, et la nécessité d’y aller voir de près !
Note de lecture :
Si, parmi les faits contemporains majeurs, il faut ranger le renouvellement du romanesque par la poésie, alors il nous faut ajouter une pièce au dossier : la dernière création de Christophe Marchand-Kiss, qui alterne machinerie textuelle et images triviales, discours intérieur et poétique de la ville – laquelle fait songer au Nouveau Roman et réactualise ce procédé classique qu’est l’hypotypose.
La Grande Ville de l’Est nous apparaît comme étrange et familière à la fois (unheimlich, "infamilière"). D’une part, la toponymie doublant la traversée spatiale d’une traversée temporelle (Marx, Tchekhov, Rosa Luxembourg, etc.), nous sommes en terrain connu. Mais, d’autre part, nous assistons bel et bien à un mouvement de déterritorialisation qui nous confronte à "la Grande Ville de la négation, où rien, jamais rien, n’arrive positivement" ; à une ville-en-idée où les corps se perdent dans l’Histoire comme dans les histoires ; à une ville-mirage aux girations inouïes, où l’on rencontre une fille unijambiste, un garçon "qui n’est jamais"… à une ville paradoxale au "silence peuplé" : "dans la Grande Ville de l’Est, on doit s’attendre à tout, à l’exaltation la plus vive, à l’effondrement le plus profond"…
Ce conte nous offre, non pas un voyage en Grande Garabagne, mais un jeu de glaces entre apparition et disparition, visible et invisible, réel et virtuel, réalité et fiction (représentation), abstrait et concret, singulier et indéterminé, objectif et subjectif, recours et piège… /FT/
LIVRES ET REVUES REÇUS
[+] Pierre Vinclair, Barbares, Flammarion, coll. "Poésie", en librairie le mercredi 14 octobre 2009, 168 pages, 17 €, ISBN : 978-2-0812-2183-3.
Le XXe siècle débutait avec un Apollinaire las du monde ancien ; le XXe avec un retour au monde ancien : celui de ce jeune poète prometteur de 27 ans nous reconduit à l’antiquité et à la bible, à la tragédie (tragos oidiè, "chant du bouc") et à YHWH, celui qui est personne.
Cette semaine, paraît en effet le premier recueil de Pierre Vinclair, dans lequel "la beauté hiératique de l’ancienne épopée alterne avec la trivialité de la violence ordinaire" (prière d’insérer). L’intérêt de "cet abrégé de mauvais kantisme" (dédicace de l’auteur), de cette polyphonie épico-lyrique, réside dans le va-et-vient qu’elle propose entre identité et altérité, humanité et animalité – la seule chose qui importe étant de "faire l’âme monstrueuse" (Rimbaud). /FT/
[+] Mouvement, n° 53 (dossier sur "l’art de transmettre"), octobre-décembre 2009, 196 pages, 9 €.
Ça bouge du côté de la revue indisciplinée, qui nous livre une alléchante nouvelle formule. D’emblée, dans leur édito, Jean-Marc Adolphe et David Sanson rappellent la double nécessité actuelle qu’ignorent bon nombre des "créateurs" : la réappropriation critique de l’héritage (il faut savoir hériter-inventer)… Le dossier fait se télescoper deux termes dont les interrelations ne vont pas de soi : art et pédagogie. En matière de théâtre, « comment imaginer une école qui échappe à la tyrannie ambiante du "stanislavskisme"» ? Transmettre, n’est-ce pas aussi démettre ?… Telles sont deux des principales questions abordées. /FT/
Lectures-performances-interventions :
[+] Dimanche 11 octobre : 15 H, au Générateur – 16 rue Charles Frérot, Gentilly.
Programmation de lectures dans le festival frasq/rencontre de la performance.
Programmation, faite par Le clou dans le fer (Michaël Batalla), David Christoffel, Antoine Dufeu, Anne Kawala, Valentina Traïanova.
Voir le programme complet de ce festival : http://www.frasq.com/.
[+] Maison des écrivains et de la littérature, organise le mercredi 14 octobre de 13h à 14h30 au Petit palais, rencontre autour de Yannick Haenel et Jean-Pierre Ferrini : info.
[+] La SGDL organise le lundi 19 octobre avec le MOTif (observatoire du livre et de l’écrit en île de France) à l’hôtel Massa, la restitution de leur recherche : avec Mathias Daval, Constance Krebs. info.
[+] Lieu Multiple (Poitiers/Espace Mendes-France) : du 14 au 17 octobre :exposition de l’installation interactive Amerika Skin, de Giga Circus. Oeuvre crée à partir d’un long séjour sur la frontière mexicaine. "L’odyssée des migrants vers des destinations improbables, dans la beauté parfois terrifiante du Mexique et du désert d’Arizona.. Parcours au coeur d’un dispositif d’images, de textes et de sons à la fois sobre et complexe : une évocation lapidaire, sans concession ." info.