Profitons de ce dimanche automnal pour méditer la "Petite leçon populistique" du Président d’histoire-démonographie (accompagnée d’un dessin inédit du caricaturiste Joël Heirman), pour découvrir les œuvres qui ont marqué ces dernières semaines (Vannina Maestri, Nathalie Quintane, Vincent Tholomé et Cyrille Martinez), ainsi que nos Libr-brèves (revue Action restreinte, clôture des Rencontres poétiques NOTOPOS, Claro, colloque international "Autour des écrits biographiques de Sartre" et Prigent).
► Avant de vous plonger dans cette actualité très dense, arrêtez-vous sur ce qui pourrait en constituer le fil rouge, extrait de deux des livres dont il sera question : "pour renverser le pouvoir il ne sert pas à grand-chose de se contenter de manifester calmement" (Maestri, p. 70) ; "Tout pouvoir a intérêt à ce que l’on proteste mais qu’on s’en tienne là ; il répond par l’écoute, la compréhension, la matraque et des marshmallows […]. Le surgissement d’un peuple ne peut pas plaire en premier temps au peuple existant" (Quintane, p. 118). /FT/
Petite leçon populistique
# 1. Votre peuple craint la Cancérisation Economiste Généralisée (CEG) à laquelle vous contribuez puissance 8… suffit de le ramener à son esprit-de-clocher, avec drapeau & falbala… et le tour est joué !
Plan quinquennal : création d’un Ministère de l’Immigration-et-de-l’Identité-Nationale ; annexion glorifiente de héros labellisés100 % pur français = Jean Jaurès, Guy Môquet, ou De Gaulle ; réorientation significative des programmes scolaires (suppression de la civilisation musulmane au programme d’histoire-géographie pour les jeunes collégiens, du syndicalisme en cours de sciences économiques et sociales de seconde, panthéonisation du Général dans le programme de Lettres de Te L…) ; déchénéantisation des étrangers-délinquants ; création ex nihilo, ex abrupto et ex absurdo d’une Maison de l’Histoire de France, qui doit exercer son devoir-de-mémoire (= exalter l’âme française éternelle, ses pompes et ses héros)…
# 2. Votre peuple craint pour son pouvoir d’achat et ses privilèges sociaux, bien moins légitimes que les vrais privilèges des nantis qui méritent notre attention… suffit de ressortir les bonnes vieilles recettes démoncratiques, d’agiter les épouvantails classiques : crise / faillite de l’État-Providence / devoir-de-rigueur… Banqueroute officielle = et les uns de banqueter, et les autres de banquer !
# 3. Votre jeunesse et vos classes laborieuses défilent dans la rue… suffit de jongler avec les chiffres & d’opter pour le laisser-faire : les zélateurs seront toujours assez nombreux (zen-ranstiers, zen-rampants, zen-tremblants)… La démographie étant toujours la plus forte, l’avenir est au passé !
Votre Président d’histoire-démonographie
© Joël HEIRMAN, dont on visitera le blog.
LIBR-CRITIQUE a reçu, a lu et recommande… (FT)
[+] Vannina MAESTRI, Mobiles 2, Al dante, automne 2010, 136 pages, 17 €, ISBN : 978-2-84761-879-2.
"quand on ne sait pas quoi faire / avec la forme / on essaye de faire dominer / le sentiment ???!" (p. 90)
Cinq ans après ses premiers Mobiles – dont Hortense Gautier avait rendu compte -, Vannina Maestri nous livre une nouvelle "déambulation mentale à travers un dispositif textuel où aucune des rumeurs de ce monde, aussi infime soit-elle, ne vous sera épargnée"… Typographie singulière, formes géométriques ou schémas cognitifs proposent une modélisation de notre espace social, constitué de clichés quotidiens et de slogans empruntés aux sphères les plus diverses. Signes de notre temps, au hasard : "je travaille à la création d’une réalité virtuelle augmentée" (11), "le spectacle comme colonisation de la vie quotidienne" (33), "vivre éternellement dans le cyberespace" (122)… L’incongru et l’absurde n’y sont pas absents : "j’étais un écrivain sérieux / j’avais toujours été l’homme d’un seul / cadavre" (14) ; "les hommes et les entreprises accumulent du capital / dans le but / d’en accumuler encore" (51)…
[+] Nathalie QUINTANE, Tomates, P.O.L, octobre 2010, 142 pages, 12,50 €, ISBN : 978-2-8180-0622-1.
Rouges, ces tomates le sont à leur façon, certes, mais rondes… plutôt insaisissables, acérées, explosives ! C’est que ce livre agénérique est des plus politiques, abordant des questions aussi cruciales que la minorité, la dérive sécuritaire, le poids de la littérature dans la société marchande, la restauration d’une littérature française devenue "conservatoire de la langue" (que l’on songe, entre autres, au ressassement d’un Richard Millet, qui vient de publier chez Gallimard – au prestigieux Comité duquel il appartient – un énième essai au titre des plus suggestifs, L’Enfer du roman)… le "peuple" : "Le peuple existe. L’individualité sérielle de masse ne l’a pas remplacé" (p. 75)… Ce constat prélude à une approche toute en subtilités et nuances fines : si "le peuple ne peut jamais être ce qu’on attend" ("on", c’est-à-dire non seulement les "gens qui ont une place", mais encore le pouvoir en place), il ne surgit pas toujours sous la forme d’un véritable groupe révolté/révolutionnaire ("je ne vois pas la figure d’un peuple possible dans les mises à sac des banlieues parce que je n’y vois pas l’essentiel selon moi : une autre pensée de la vie collective, la reconquête d’une dignité collective englobant les parents, les ancêtres, une réappropriation de l’histoire collective des origines à ce jour" – 118-119)…
[+] Vincent THOLOMÉ, Histoire secrète des plaines du Nord-Est asiatique, Publie.net, 142 pages, 5,99 €, ISBN : 978-2-81450-356-4.
Nous sommes très heureux de voir paraître l’œuvre dont nous avons publié un extrait : "épopée triste et grotesque" pour l’auteur, "cosmogonie de la nature" pour Fred Griot, ce conte polyphonique, de bobard d’enfant en bobard d’enfant, nous entraîne dans un pays infamilier – de Bonusville en Dalendzadagad, en passant par Boosnükho – en compagnie de Goitre, du général Kourapatkine… Assurément, dans ces "petits sauvages", "petits rennes fous de la toubdra", ces "folles filles des toundras", on peut voir un écho des Garçons sauvages de Burroughs ou des romans de Duvert.
[+] Cyrille MARTINEZ, Chansons de France, Al dante, automne 2010, 112 pages, 15 €, ISBN : 978-2-84761-870-9.
Après Bibliographie : 5e République (Al dante, 2008), dont Philippe Boisnard avait rendu compte, voici, sur le mode ludique-critique, une histoire socioculturelle du dernier demi-siècle à partir d’un montage de chansons et de prélèvements divers. Extrait : "Et puisqu’il était interdit d’interdire, on ne s’interdira pas de demander quel poète proposa un jour d’être Réaliste (demandez l’impossible). Quel poète écrivit Le réel au pouvoir ? Et : Les carottes d’un révolutionnaire sont aussi longues à cuire que celles d’un bourgeois ?" (p. 32)…
Libr-brèves
► Jeudi 28 octobre à 19h, Le Bateau Livre de Lille vous invite à découvrir la revue Action Restreinte : 12ème et ultime numéro, avec Isabelle Zribi, Mathias Lavin, Aurélie Soulatges, Daniel Cabanis et Dominique Quélen.
Action restreinte est une revue de création et de critique fondée en 2002, dont nous avions rendu compte du numéro 9 (chronique doublée d’un entretien). Elle explore à travers fiction et entretiens les différentes facettes de l’écriture contemporaine, publiant auteurs français comme étrangers (Jean-Christophe Bailly, Christophe Fiat, Franck Venaille, Jean-Luc Parant, Philippe Beck, Michel Deguy, Jean-François Bory, Liliane Giraudon, Jacques Jouet, Hubert Lucot, Laure Limongi, Mathias Enard, Olivia Rosenthal, etc.).
Librairie Le Bateau Livre : 154, rue Gambetta 59000 Lille. Tel. : 03.20.78.16.30 ; fax 03.20.78.16.45 ; email contact@bateaulivre.fr
► NOTOPOS, 30 octobre 2010, à partir de 18h, Les Voûtes (19 rue des Frigos 75013 PARIS ; Métro 14 : Bibliothèque François Mitterrand).
Clôture de NOTOPOS, événement européen qui s’est déroulé le 3 octobre 2009 et regroupant Chypre, France, Grèce et Suède autour d’un même projet de rencontres poétiques. Le DVD et l’anthologie Notopos seront présentés à cette occasion.
18 h : Projection du film PERSONNE d’Hervé Nisic sur la génération automatique de poésie-musique dans Trois mythologies et un poète aveugle, avec J. Baboni-Schilingi, J-P Balpe, H. Deluy et J. Guglielmi.
19h30 : Lettrisme etc. Films lettristes présentés par Bernard Girard et lectures de Marie-Thérèse Richol-Méller.
20h30 : Le BIPVAL invite Poésie is not Dead, qui vise la symbiose de trois médiums : poésie, musique et vidéo lors de "créactions" in situ.
Composition musicale instantanée : T.V.La.S.Un.Or. et Thomas Fernier Projections vidéo : Anne-Sophie Terrillon et Christophe Acker Coordination artistique : François Massut pour Poètes dans la Ville Poètes invités : Laurence Barrère (France), Éric Brogniet (Belgique), Mathieu Brosseau (France), David Christoffel (France), Tsjebbe Hettinga (Pays-Bas) et Ma Desheng (Chine).
22h : lecture de Virgile Novarina, poète et artiste, explorateur du sommeil : "l’aile a dit une chose. C’est vachement important". Exposition de ses "écrits et dessins de nuit".
► Rencontre avec CLARO pour son Cosmoz le vendredi 5 novembre, de 18H à 20H30, à la Librairie Jonas (14-16, rue de la Maison Blanche 75013 Paris).
► Autour des écrits biographiques de SARTRE, colloque international organisé par Jean-François Louette Auditorium de l’Institut finlandais (60, rue des écoles 75005 Paris).
Ce colloque international fait suite à la parution au printemps dernier du volume coordonné par le même Jean-François Louette : Les Mots et autres écrits autobiographiques, Gallimard, "La Pléiade", 2010, 1744 pages, 59 €.
Vendredi 26 novembre 2010 :
Matinée
9h Ouverture : Georges Molinié (président de l’Université Paris IV), André Guyaux (directeur du Centre de recherche sur la littérature française des XIXe-XXIe siècles), Jean-François Louette.
9h30 Hélène Baty-Delalande (Nanterre) : "Les Carnets de la drôle de guerre : l’occupation du temps"
10h Michel Kail et Françoise Bagot (Paris) : "Sartre et Beauvoir : les genres de l’autobiographie"
10h30 Discussion et pause
11h Véronique Montémont (UHP Nancy, IUF) et Françoise Tenant (Paris-Nord) : "Lecture comparée des Carnets et des Mots : une approche générique et linguistique"
11h30 Paolo Tamassia (Trente) : "À propos de La Reine Albemarle"
12h Discussion
Après-midi
14h30 Jacques Lecarme (Paris III) : "Il n’y aura pas eu d’autobiographie sartrienne"
15h Nathalie Barberger (Lille III) : "Grisélidis pas morte"
15h30 Discussion et pause
16h Jean Bourgault (Rouen) : « "Nous étions du même bord…" : Sartre et Merleau-Ponty »
16h30 Jean-Pierre Martin (Lyon II, IUF) : "Sartre et l’amitié"
17h Discussion et clôture de la première journée.
Samedi 27 novembre 2010 :
Matinée
9h Philippe Lejeune (Paris-Nord) : "Genèse d’une étude génétique des Mots, 1972-1996"
9h30 John Ireland (Chicago) : "Ouragan sur Les Mots : Sartre et Castro"
10h Discussion et pause
10h30 Gilles Philippe (Paris III) : "Style mnémonique et style mémoriel"
11h Jean-Louis Jeannelle (Paris IV) : "Sartre et le mémorable"
11h30 Michel Contat (CNRS) : "Sartre et l’autobiographie parlée"
12h Discussion
Après-midi
14h30 Jacqueline Villani (Aix-en-Provence) : « "Un pauvre type qui s’était trompé de monde" »
15h Paul Geyer (Bonn) : "Sartre, du postmoderne au moderne : configurations littéraires de la subjectivité dans La Nausée et Les Mots"
15h30 Discussion et pause
16h Nao Sawada (Rikkyo, Tokyo) : "L’expérience de la guerre dans Les Chemins de la liberté"
16h30 Juliette Simont (FNRS) : "Genèse des Réflexions sur la question juive"
17h Discussion et clôture du colloque.
► À vos agendas ! Du 12 Janvier au 13 Février 2011, à 20 h (le Dimanche : à 16 h), à la Maison de la Poésie de Paris, "Une phrase pour ma mère" (d’après Christian PRIGENT, Une phrase pour ma mère, POL, 1996). Mise en scène et interprétation de Jean-Marc Bourg. Maison de la Poésie, Passage Molière, 157 rue Saint-Martin, 75003-Paris. T. : 01 44 54 53 00.
« Une "phrase" unique, ressassée, scandée de refrains obsessionnels, trouée d’apartés réflexifs et de digressions, s’enroule en un long lamento-bouffe. Son mouvement tente de régler le compte des désirs, des angoisses et des chagrins voués à la figure tutélaire de la mère.
La phrase comme seul personnage.
La langue est une maladie contagieuse. La jouer, (la dire, simplement) s’apparente à une recherche de vaccin.
Il faut s’inoculer à soi-même le germe. Tenter de parler cette langue-là, très précisément, son souffle, son rythme.
Il faut faire de son propre corps, de sa propre tête, le terrain de l’expérience. Et assister chaque jour à l’avancée des dégâts.
La mise en scène n’est pas un excès, un ajout, quelque chose qui vient par dessus, recouvrir le texte. Elle est par nature un défaut, un retrait, quelque chose qui vient d’en dessous, découvrir le texte ; soustraire l’encombrant, l’inutile. Tenter dans son appréhension des mots et du sens, de ne pas faire écran. Disparaître. Laisser la place. Ici, quelque chose comme une double improvisation (pas du texte, aucune virgule ne manquera) de l’acteur (moi) et de la lumière. Pas non plus performance, un moment bizarre de (on ose à peine prononcer ce mot) théâtre dont le seul décor le seul personnage la seule action serait la phrase » (Jean-Marc Bourg).
L’histoire que j’enseigne dans deux collèges ne s’apitoie pas, ne sensibilise pas, ne glorifie personne ; elle n’est qu’une source des enseignements…
J’apprécie l’article tant sur le fond que la forme et te prie de continuer à nous repaître de tes mots-valises !!!
L’histoire s’inscrit par essence dans le très long terme et elle se jouera bien de ceux qui jouent avec elle pour leur petite gloriole à court terme…
Merci Joël, et plus que jamais il nous faut CROQUER à pleines dents… À une prochaine
collaboration, donc ! – et on ne peut que saluer ton talent de caricaturiste !