Jusqu’à dimanche prochain, vous pouvez entendre sur le site de France Culture, émission les Ateliers de création radiophonique, ou en podcast, un trés beau travail sur Tarkos, sur sa langue, dans sa langue, sur les résonnances de cette « langue de la langue », non pas un hommage, bien une « expérimentation », une « expérience » dans la poésie de Tarkos, réalisée par David Christoffel. Une heure d’enchevêtrement de voix, celle de Tarkos, lisant ses textes ou parlant de son travail, celles d’enfants et d’adultes, découvrant les textes de Tarkos et essayant de les lire, celle d’un boulanger parlant de la fabrication du pain (on pourrait presque croire que c’est un poème de Tarkos!), celle de Christian Prigent, Jean-Marie Gleize, Ghérasim Lucas, celle du piano bondissant de David Christoffel… Cette création radiophonique est aussi dense et épaisse et proliférante que la pâte-mot de Tarkos, qui fait sonner et travailler en nous les voix et la langue qui tourne dans nos têtes, nos vies, nos corps … Comme le dit le boulanger, « la pâte (mais on pourrait dire la langue) est bien un espace vitale de fermentation ».
« Il n’y a pas d’autre langue que la langue » disait Tarkos, « on est toujours à l’intérieur », oui, ce à quoi Prigent ajoute que Tarkos « nous parle de la langue et peut-être ne nous parle que de la langue », il ferait un travail de « musculation rhétorique ». Cela ne me semble pas tout à fait juste, Tarkos ne parle pas que de la langue, il ne fait pas de la rhétorique, même musclée. Bien que sa langue soit rotative, sur elle-même et en elle-même, creusant une réflexion sur ce qu’est le langage et la communication, elle n’est pas pour autant une langue autotélique, refermée sur elle-même, enfermé dans un sujet ressassant et ruminant (comme c’est le cas de nombreux disciples de Tarkos, qui prolifèrent depuis quelque temps en ratant complétement ce qu’est l’écriture de ce dernier). C’est au contraire une langue complétement ouverte sur les choses, une langue traversée et travaillée par le monde, parle du monde, qui fait parlé le monde en l’interrogeant … une langue qui fait penser et qui produit des « formes de pensée », comme dirait Christophe Hanna (qui d’ailleurs prend comme exemple une vidéo de Tarkos, pour montrer en quoi la poésie peut produire des outils de pensée, cf. conférence à Limoges durant Manifesten).
Cet atelier de création radiophonique déploie les potentialités qu’ouvre dans la langue la poésie de Tarkos, et montre à quel point celle-ci est plus que jamais vivante, à quel point elle nous fait penser sur ce qu’est le rapport au monde et à l’autre à travers le langage. C’est intelligent, riche, plein de drôleries, quand David Christoffel par exemple téléphone à un habitant de la rue Jean-Sébastien Bach, tiré au hasard, pour lui offrir un poème de Tarkos, qu’il lui lit et dicte … Il y a aussi des moments émouvants, sans pour autant qu’il n’y ait nostalgie ou pathos, comme lorsque l’on entend hésitante la voix de Tarkos faire des additions alors que la maladie le gagnait, ou comme à la fin ce poème superbe sur l’oiseau et le froissement de l’air …
Merci à David Christoffel pour ce trés beau travail qui va, je l’espère, permettre de faire découvrir Tarkos à un plus large public ….