Le discours anti-Rentrée tendant à devenir lui-même un topos, on trouvera ici dix notations supra/para/périphénoménales, accompagnées de deux dessins du caricaturiste Joël Heirman.
On pourra par ailleurs s’amuser à relire les posts des années précédentes, somme toute complémentaires : 2010 ; 2009 ; 2008.
1. R = 3 C (Rentrée = chiffres/calculs/course-aux-prix).
2. R = 3 I (Rentrée = inflation/information/intox).
3. "Rentrée littéraire"… Est-on jamais sorti de la littérature ? Mêmeté de la "nouveauté" : dans une société capitalo-spectaculaire, le milieu pourrait-il faire l’économie de ce rituel économique ?
4. Dire qu’il y a même un site dédié à cet épiphénomène, dont le sous-titre est des plus révélateurs ("A chaque roman, sa chronique") : chroniquesdelarentreelitteraire.com… Primo, la "rentrée" est un événement majeur de la "vie littéraire" ; secundo, le roman fait événement à lui seul…
5. "Rentrez littéraire", a-t-on pu lire… Oui, "Rentrez, littéraires !" – mettez-vous bien au chaud tout l’automne… Circulez, rien à voir sous le soleil… allez fouiner dans l’ombre – réelle ou virtuelle…
6. "C’est la rentrée, lisez !", a-t-on pu lire… Craduction : Toute l’année, soyez beaufs comme bon vous semble… Mais les vacances finies, comme au bon vieux temps, faites vos devoirs : prenez un coup de jeune, reprenez vos livres !
7. Ce temps fort de la vie éditoriale est l’occasion de réajustements journalistiques. Ainsi Le Monde des livres en profite-t-il pour se mettre en symbiose avec l’air-du-temps, c’est-à-dire pour faire un pas de plus dans la trivialité. Voici ls trois étapes de sa Révolution populo-cuculturelle :
a) le prière d’insérer du numéro 20707 (cahier du vendredi 19 août 2011), comme tout bon exposé de niveau Brevet des collèges, découvre qu’il n’y a pas de frontières entre les livres et la vie ;
b) "Dans la vie, on fait confiance à ceux qu’on aime pour nous conseiller un bon bouquin"… Et derechef de renforcer le brouillage territorial : d’un côté, on fait appel à quelques valeurs (semi-)commerciales sûres (Amélie Nothomb en tête) ; de l’autre, à un écrivain reconnu dans le pôle autonome (Eric Chevillard)… Lequel, dans la livraison suivante datée du 26 août, ne se gêne pas pour éreinter plaisamment un livre du même genre que le supplément hebdomadaire est susceptible de soutenir (David Foenkinos, Les Souvenirs, Gallimard)… Qu’à cela ne tienne, les cautions littéraires sont encore bel et bien utiles ;
c) Décloisonnement oblige, et donc conformément aux principes du marketing international, il faut métisser : roman, BD, polar… vive le milkshake ! (Il en faut pour tous les goûts, n’est-ce pas ?).
Si éplucher cette double feuille vous gêne, pensez à une autre utilité : voyez un peu du côté de vos épluchures…
8. Cette mutation mondaine n’avait pas échappé à Œuvresouvertes.net, qui propose par ailleurs une courte réflexion sur la mutation de l’espace de production/diffusion/réception, pour en venir à proclamer : "Cet automne, lisez numérique !" Seulement, pour être aux antipodes de la vie littéraire traditionnelle, ce slogan n’en est pas moins un slogan, et comme tel critiquable : s’il est légitime de soutenir ce nouvel espace créatif – et LIBR-CRITIQUE ne s’en prive pas –, faut-il pour autant réduire la création littéraire à ce seul médium ?
9. En cette "rentrée littéraire", on pourra avec Pierre Jourde songer au sort qui attend la plupart des livres de la rentrée-toujours-pléthorique : "Le Cauchemar du pilon"…
10. En cette "rentrée littéraire", on méditera ces lignes satiriques et ironiques de Bernard Desportes sur les pratiques actuelles : "l’indispensable règle que tout écrivain doit suivre s’il veut s’imposer dans le milieu […] : pondre un maximum de choses en un minimum de temps […] l’idéal est de toute façon un roman bien adapté au lectorat le plus large, surtout ne pas traumatiser le lecteur, si fragile de nos jours et volage, ne pas le déranger, si possible ne même pas l’éveiller, en fait le mieux serait qu’il l’ait lu sans avoir à le lire, sans même avoir à l’ouvrir, gain énorme de temps, idéal pour tout le monde, la seule chose qui compte étant qu’il l’achète n’est-ce pas ?" (Une irritation, Fayard, 2008, p. 23 et 25)…