« Manifestes » et « avant-gardes » au XXème siècle
de Anne Tomiche [Université Paris 13]
Début :
Dans le cadre d’une réflexion sur les relations que les « avant-gardes » entretiennent avec la « théorie » (ou le théorique) et la « critique », il semble naturel de s’intéresser à une forme d’écriture qui, si elle est loin d’être l’apanage des avant-gardes, leur est néanmoins fortement liée, et qui a une dimension éminemment théorique : le manifeste. Certains le considèrent même comme le genre incontournable lié aux « avant-gardes » : dans Avant-gardes et modernité, ouvrage publié chez Hachette supérieur et destiné à un large public d’étudiants, François Noudelmann présente le manifeste comme « quasi obligatoire pour fonder un mouvement d’avant-garde ». Et il est loin d’être le seul à souligner ce lien. De fait, la plupart des mouvements qui, au début du XX° siècle, ont revendiqué le statut d’ « avant-garde » ou se le sont vu attribuer, ont utilisé la forme du manifeste pour légitimer leur fondation, et ont produit des textes explicitement intitulés « manifestes » : manifestes du futurisme, du vorticisme, du dadaïsme, du surréalisme, manifestes lettristes, ou encore « Manifeste pour une poésie nouvelle, visuelle et phonique » de Pierre Garnier. S’il faut assurément faire attention à ne pas amalgamer les avant-gardes, il est une stratégie discursive qu’elles semblent partager : celle du manifeste. D’ailleurs, si les « avant-gardes » historiques du XX° siècle ont eu recours aux « manifestes » pour légitimer leur fondation, inversement, les affirmations, réitérées depuis la fin des années 1970, de la « fin des avant-gardes » vont de pair avec celles de la fin des manifestes littéraires : « l’époque des manifestes est close » affirme, par exemple, Jean-Marie Gleize ; et il insiste : « la posture manifestaire est devenue anachronique ».