[Revue + chronique] Contr'UN n°1

[Revue + chronique] Contr’UN n°1

décembre 6, 2007
in Category: chroniques, Livres reçus
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Contr’Un, La revue des individus au carré, revue annuelle n°1, Marx, Jouffroy, Novalis, Machiavel, ed. Le grand souffle, 222 p. // ISBN : 978-2-916492-40-7 17,5 € // [site des éditions]

[4ème de couverture]
"La singularité est par essence nomade, mobile, toujours susceptble de modifier sa position sur la carte. Nomade, la singularité est libre de ses mouvements puisque, étant à égale distance des autres, aucune affinité ne préexiste qui serait susceptible de déterminer a priori l’agencement dans un sens ou dans l’autre. Il en résulte que toute multiplicité est frappée en son coeur même du sceau de la contingence : sa forme n’est guère nécessaire, mais résulte de l’agencement spontané et toujours modifiable des singuarités. Chaque multiplicité pourrait ainsi être pensée comme un Sahara, dont la carte serait, toujours à refaire au gré des sables…" Mireille Buydens, Sahara, l’esthétique de Gilles Deleuze.

Contr’un, comme un sahara, fait jouer aux singularités la carte de la multiplicité.
Toujours refaire la carte au gré des sables qui la constituent.
Le carré distribue les cartes du jeu en cours. Juxtapositions.
Le gué découvre la donne pour quelques parties possibles, individuations.
La partie individuo-logiques forge le coeur vivant des individualismes en jeu. Manifestations.

"Il est temps de brancher toutes les pensées les unes sur les autres"
Alain Jouffroy

[Présentation]
[Cette présentation sera suivie d’un entretien avec Alain Jugnon, que nous publierons prochainement]
Les premières pages font immédiatement écho à la citation de Mireille Buydens qui concerne Deleuze. Après des exergues de Cioran, Philippe Lacoue-Labarthe ou Antonin Artaud, un texte signé d’Alain Jouffroy et d’Alain Jugnon, vient offrir un horizon à la revue : la question de la constitution de l’individu, comme force de résistance : "tout individu peut apporter un trouble, une inquiétude, une joie, une ouverture inattendue sur tout".
Cette revue se donne comme un lieu d’ouverture et de résistance, non pas en vue d’une communauté, d’un collectif ou d’une contre-idologie,mais dans l’agencement éphémère de ses textes. Alain Jugnon qui la dirige, poursuit là, en quelque sorte, ce qu’il avait initié, chez le même éditeur : 22 avril, ceux qui préfèrent ne pas. Ainsi il écrit : "la revue Conr’un aime les individus libres : elle prend le titre qui lui faut pour donner de l’espace et du jeu à la liberté individuelle. Elle respire et vit son opposition radicale aux faux-monnayeurs, marchands de l’un, de l’unique, de l’unicité, contempteurs du corps et de la vie elle-même".
Les quatre auteurs choisis ne sont pas alors anodins. Ils viennent participer, chacun à leur époque, et chacun selon leurs textes, à cette question de l’individu. Chacun de ces auteurs est une ligne de fuite de la singularité face au monde, ligne de fuite qui s’est construite selon des particularités à comprendre, à remettre en jeu tout à la fois théoriquement et littérairement.
Quatre auteurs : Marx, Novalis, Machiavel, Jouffroy. Le dossier se concentre surtout sur Alain Jouffroy, avec plusieurs articles qui lui sont consacrés : Demain joueur d’Alain Jugnon, La poésie impensable de Jean-Michel Goutier, Une voile où le vent souffle de Malek Abou et Passage Jouffroy de Philippe Sollers. En parallèle de ces articles, deux inédits de l’auteur. Françoise Dastur, consacre un très bel article à Novalis et à son rapport à la pensée orientale notamment la Shakuntala. Très référencé et précis, et c’est une joie de lire de nouveau Françoise Dastur. Suivent deux articles sur Marx, l’un de Daniel Bensaïd et l’autre de Jean-Clef Martin qui essaie de montrer, en analysant la question de la production de valeur chez Nietzsche et Marx, en quel sens ce qui chez eux est ouverture à la singularité de l’existence, s’est transformé, dans un système marchand en un fétichisme démocratique : "On comprendra sans doute par là, que la philosophie des valeurs, soumise à l’économie, ait engendré dans le monde moderne, un certain conformisme, des rengaines et des aliénations qui ne sont nouvelles qu’en apparence, tandis qu’elle trouve chez Nietzsche et sous une autre forme chez Marx, le sens créateur d’une affirmation de l’existence selon sa force maximale, un point de vue supérieur, une évaluation plus large que n’importe quel système économique" (p.72). Pour finir le dossier sur le carré d’auteur, deux articles sur Machiavel. Le premier d’Alain Brossat est une analyse passionnante de la pensée machiavelienne à partir du prisme de l’antagonisme et de la création des institutions de la Rome antique, selon le Discours de la première décade de Tite Live. Alain Brossat, qui s’intéresse particulièrement à l’articulation entre les classes politiques, telle la figure de Diderot de Jacques Le Fataliste, montre que Machiavel lorsqu’il déconstruit la concorde de la Rome antique, loin de poser en fondement de celle-ci une bonne institution, comme cela pourrait être le cas avec Solon pour Athènes qui révolutionne la politique héritée de Dracon, il met en lumière que c’est l’antagonisme de classe entre ls nobles et la plèbe qui a amené le système sénatorial à prendre des décisions permettant d’établir celle-ci : "C’est sur ce formidable paradoxe que va insister sans fin Machiavel : le caractère unique du destin de Rome, de la grandeur romaine, est à rapporter à cette permanence de l’indice de la division, d’absenc d’homogénéité du corps social et du corps politique ou civique romain."(p.75). Le deuxième article de Christina Ion interroge la pensée politique de Machiavel, comme lieu d’énigme, comme lieu d’une inquiétude constante du politique, du fait que cette pensée s’inscrit dans la prise de conscience que de politique il n’y en a que dans un contexte historique déterminant et non reproductible.

Vient ensuite la partie Gué, ou encore contretextes. Un peu inégal quant à la qualité des textes littéraires qui sont présentés. Je retiendrai pour ma part le très intéressant texte hyper-narratif de Bertrand Bonello : [american music]. En effectuant un travail de synopsis, Bertrand Bonello nous fait entrer dans un univers de gémellité , où deux Vincent, A et B, tout à la fois opposés et complémentaires, vont se lier. Le déroulé, proche d’une boucle panique, mêle avec intelligence l’absurde et les données politiques et économiques contemporaines.

La dernière partie de la revue, partie "individuo-logiques", est consacrée à des pensées singulières. On retrouvera Michel Surya avec un inédit, qui est analysé par Alain Jugnon, et une pertinente réflexion de Luis de Miranda consacrée à l’immanence une vie de Gilles Deleuze.

 

A la lumière de ce que nous venons de présenter, il est indéniable que Contr’Un est une revue de très grande qualité au niveau de la réflexion. Après la Soeur de l’Ange qu’Alain Jugnon a co-dirigé avec Mathieu Baumier, Contr’Un, radicalise la démarche en direction de la pensée individuelle et de ses configurations possibles. Avec un rythme annuel, elle devrait conserver à chaque numéro cette qualité d’intervention. A suivre donc, prochaine livraison en 2008.

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rédaction

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