[Revue-chronique] <strong>Inculte</strong>, # 15

[Revue-chronique] Inculte, # 15

mai 10, 2008
in Category: chroniques, UNE
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  Inculte, revue littéraire et philosophique bimestrielle, # 15, 192 pages, 8,50 €   ISBN : 978-2-916940-05-2 [voir le site des éditions Inculte : http://www.inculte.fr].

Dossier : Poésie contemporaine

Sur Basse continue de Jean-Christophe Bailly, par Arno Bertina
Sur Le Carrefour de la Chaussée d’Antin de Bernard Heidsieck, par Joy Sorman
Sur définitif bob d’A d’Anne Portugal, par Camille de Toledo
Sur L’Élection de Jean-Louis Giovannoni, par Oliver Rohe
Sur Modèle habitacle de Pierre Parlant, par Hélène Gaudy
Sur Les Élégies d’Emmanuel Hocquard, par François Bégaudeau
Sur Outrance Utterance de Dominique Fourcade, par Maylis de Kerangal
Sur Le Signe = de Christophe Tarkos, par Mathieu Larnaudie

Cette dernière livraison est centrée sur un dossier consacré à la poésie contemporaine, dont l’intérêt réside dans les "lecture décentrées" qu’il propose : il ne s’agit pas ici de publier le "Top 8" des livres de poésie sélectionnés par la rédaction, mais de dépasser les clivages entre prose et poésie, territoires narratifs et territoires poétiques, pour demander à huit romanciers de lire chacun une œuvre de son choix et de rendre compte de son "expérience brute" de lecture.

La première remarque qui s’impose est que nous avons affaire à un échantillon assez représentatif de l’échiquier poétique contemporain : à la diversité des formes (vers/prose/formes visuelles/formes sonores) s’ajoute celle des mouvances (modernité négative, poésie sonore, néo-lyrismes, poésie surfaciale, poésie du dispositif). La deuxième est que, dans la mesure où les auteurs ne sont ni des spécialistes de la poésie, ni – pour la plupart, du moins – des habitués de l’acte critique même, qu’elles soient plutôt analytiques ou synthétiques, ces lectures sont immanentes : spontanées, non savantes – excepté celle de Mathieu Larnaudie -, elles ressortissent au discours interprétatif, au discours préférentiel ou au simple discours réactif.

Le maître mot en est "déstabilisation", une bonne partie des contributeurs demeurant perplexes devant les interactions entre la dimension visuelle et la dimension sonore d’une même œuvre (Heidsieck), ou entre images et texte (Portugal), voire devant une typographie singulière (Fourcade) ou une sorte de résistance qui "guérit le lecteur, momentanément du moins, de cette maladie du recouvrement d’un texte par le sens" (à propos de Giovannoni, p. 49). Qui plus est, c’est justement "la force de déstabilisation" (33) propre à une écriture particulière qui peut fasciner le lecteur : c’est le cas d’Arno Bertina, surpris par le degré de prosaïsme qu’atteint la poésie de Jean-Christophe Bailly. Au reste, la diversité des centres d’intérêt mis en relief est tout à fait frappante : la "typographie sonore" de Heidsieck, la "veine anti-élégiaque" de Hocquard, la "matière-langue" de Fourcade, l’"invention d’un corps poétique" comme "le superguitarhérospop de Christophe Fiat, personnage ironique et rugueux", ou encore "le détective d’Emmanuel Hocquard, […] tel qu’il opère dans ses livres-poèmes qui sont des récits d’enquête, et tel qu’il apparaît, chapeau, imperméable beige, dans ses romans-photos" (74-75).

Enfin, ces lectures décentrées apparaissent également comme des parcours critiques qui sont autant d’interrogations sur la poésie et l’acte même de lire : "La poésie désorganise la page ? (= tentative de définition de la poésie)" (35), "La poésie, c’est ce qui ne correspond à aucune pratique de lecture habituelle, habituée, ordonnée ?" (37), "Poésie = rétraction narcissique du langage ?" (60), "Qu’est-ce que lire un texte ?" (69)…

Hors-dossier

Par ailleurs, on retiendra le long entretien, intitulé "Le Langage se souvient", dans lequel Valère Novarina revient, en termes plus ou moins inédits, sur le théâtre comme "polyphonie humaine", "désengagement humain", présentation plutôt que représentation, accord unique entre "la part muette du texte" et l’acteur singulier, et où il insiste sur le verbe Délivreur avant de définir le rythme comme "ordre intérieur au chaos".

Et l’on n’oubliera pas non plus, si l’on veut avoir un aperçu de ce qu’est devenu le calligramme à l’époque du "Neuromancier" et du Tout-informatique", l’affiche Code Source – Spook Country, par William Gibson.

Alors, vive l’inculture !

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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11 comments

  1. Laure L

    … & ça t’a pas gêné plus que ça, toi, le texte sur Hocquard ?
    Sinon je précise que dans cette excellente revue, il y a aussi un texte de Caetano Veloso sur PanAmérica de José Agrippino de Paula, traduit du portugais du Brésil par Olivier Quintyn.

  2. Fabrice Thumerel (author)

    Merci pour cette précision, Laure – toute chronique étant forcément non exhaustive, puisque le critique se doit de construire son parcours de lecture.
    Pour ce qui est du texte sur Hocquard, ce n’est pas le plus brillant, c’est le moins que l’on puisse dire = impressionniste (au sens péjoratif) et laborieux… Mais, bon, il faut le prendre pour ce qu’il est : non pas un article élaboré de critique spécialiste, mais un exercice subjectif qui rappelle parfois l’ancienne « critique de goût »…
    Qu’est-ce qui t’a gêné, toi, précisément ?

  3. Laure L

    Eh bien j’ai lu le texte il y a déjà quelques temps, mais en gros, j’y trouve le régime de l’ironie assez déplacé. François Bégaudeau mime (je l’espère, tout de moins, c’est comme cela que je l’ai interprété) une explication de texte laborieuse façon 1ère littéraire qui se la pète avec de petits effets post-modernes soigneusement distillés, le tout semblant tout de même pas mal se foutre de le gueule des Élégies, façon Gotlib avec Marceline Desbordes-Valmore (http://farm1.static.flickr.com/220/508486697_c4b07dfe01_o.jpg). Bref, rien qui aborde les éléments essentiels de l’œuvre d’Emmanuel Hocquard – pourtant, il y a de quoi faire !
    Évidemment, dans le principe, je trouve formidable que des romanciers se frottent à la lecture de la poésie contemporaine ; personne ne demande à personne d’être un professionnel de la profession pour le faire. Mais je trouve dommage que les lecteurs d’Inculte ne connaissant pas les livres d’Emmanuel Hocquard en aient cette image un peu désuète qui ne lui correspond nullement.

  4. denis hamel

    CLEMENT ! CLEMENT ! J AI TROUVE UN MORCEAU DE SORBET SUR LE CHAPEAU DE NESTORINE !

  5. Fabrice Thumerel (author)

    On trouve dans ce dossier, de qualité très inégale il est vrai, une certaine fraîcheur, des questionnements et des démarches assez authentiques – à côté de développements impressionnistes et laborieux…
    On en apprend souvent plus sur les romanciers-lecteurs que sur les poètes étudiés, c’est dommage, mais c’est inévitable dans ce genre d’exercice !

    Pour en revenir à Bégaudeau, je ne crois pas qu’il nous abuse quand il prévient d’emblée qu’il ne connaît « d’Emmanuel Hocquard que l’invitation à le lire d’un ami »… Cet ancien hypokhâgneux nous offre ensuite un trait d’autodérision : « J’ai trente-six ans et pour chaque chose un concept à disposition »… Pour le reste, j’avoue que je n’ai ni pris au sérieux ni apprécié le projet même d’un romancier qui pourtant n’est pas inintéressant : avec ce facétieux et fantaisiste personnage, va-t-en démêler ce qui relève de la fausse naïveté et de la véritable ignorance ?… Sans doute, oui, veut-il exhiber son ignorance (dans les deux sens du terme) du poète en le réduisant à cette bouillie indigeste… Comme je préfère Fourcade, je ne me suis guère attardé à ce geste désinvolte – mais, oui, « Les Élégies » ne méritent pas ça !
    Merci pour le lien à la BD de Gotlib sur Desbordes-Valmore : j’y vais de ce pas…

  6. Laure L

    Merci à toi pour ta réponse.
    Ben le truc, c’est que pour moi, Hocquard c’est surtout Le Commanditaire, Un privé à Tanger, Le voyage à Reykjavik, Ma haie… l’anthologie Tout le monde se ressemble… bref, des choses très éloignées des Élégies.

  7. Laure L

    Et puis c’est vrai que le côté :  » j’ai lu L’Éthique en mangeant une pizza quatre saisons, ça manquait de câpres », ça me fatigue un peu…

  8. Fabrice Thumerel (author)

    Même impression que toi ! Et même sélection chez Hocquard : j’ai dû bosser « Les Élégies » -entre autres – pour une conférence, mais il a fallu m’accrocher… mais les autres titres, oui !

  9. Sébastien Smirou

    Si je peux me permettre, même plusieurs semaines après votre échange, je crois que ce que fait Bégaudeau avec les Elégies relève quand même d’un posture politique particulière. D’abord parce que ce livre n’est pas n’importe quel livre d’Emmanuel Hocquard (il décrit une trajectoire de 20 ans d’écriture). Ensuite parce que ce n’est pas la figure du romancier que Bégaudeau oppose à celle du poète, mais celle du con – celui qu’on entend dans l’expression « jouer au con ». On n’écrit pourtant pas comme ça sans motif ou sans intention : le travail critique n’est pas arbitrairement séparable de celui de l’écrivain. Or Bégaudeau prend dans ce numéro de la revue une position quasi poujadiste. Ca le regarde. Mais c’est étrangement dans l’air du temps, je trouve.

    http://situvoiscequejveuxdire.blogspot.com/

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