Profitez de cette vacance pour découvrir trois nouvelles revues de poésie : K.O.S.H.K.O.N.O.N.G (Jean Daive) ; AKA (Stéphane Korvin) ; Larevue* (Mathieu Nuss).
K.O.S.H.K.O.N.O.N.G, revue quadrimestrielle (directeur de la rédaction : Jean Daive ; adresse : 10, rue des Mauvestis 13002 Marseille), Eric Pesty éditeur, n° 1, janvier 2013, 20 pages, 11 € (abonnement annuel : 29 €), ISBN : 978-2-917786-16-1.
Après Fragments, Fig. et Fin (1999-2006) – qui a notamment publié La Théorie des prépositions de Claude Royet-Journoud –, à 71 ans le revuiste et poète Jean Daive lance un curieux objet, savamment rétro, constitué de vingt pages agrafées sur un verger ivoire. Entre la première – page du Tractatus logico philosophicus de Wittgenstein traduite par Pierre Klossowski et raturée par la revue, excepté la formule « états de choses » – et la quatrième de couverture – page de garde allemande du livre d’Uwe Johnson, Esquisse d’un naufragé (1982) -, s’inscrivent Lorine Niedecker et Jean Daive (ouverture), Claude Royet-Journoud (« Indice d’une forme humaine »), Luc Bénazet (« Un accident… »), Michèle Cohen-Halimi (« IA »), Gérard Garouste (« Le Compas et l’Entonnoir »), Lorine Niedecker et Jean Daive (« Van Gogh discernait… ») et Gérard Garouste (« La Peinture est un autoportrait »).
Si nombre de revues arborent un titre singulier, celui-ci n’est pas en reste… K.O.S.H.K.O.N.O.N.G… « Koshkonong » est un terme indien qui, donnant son nom à un lac du Wisconsin – là même où vécut Lorine Niedecker, qui partage avec Jean Daive et Claude Royet-Journoud une proximité certaine avec les objectivistes américains -, signifie « le lac qui est la vie. » Rien d’étonnant, donc, à ce que Gérard Garouste nous conte une minuscule fable tout à fait suggestive : « Un Indien ne se déplace jamais sans son Classique de même que l’intuition ne peut se passer de la raison »… Ainsi, dans le lac de la vie, l’Indien oscille-t-il entre extravagance et banalité quotidienne.
Outre le titre, fait sens dès la page de garde le reste du texte raturé de Wittgenstein : l’art poétique que défend la revue est à chercher dans l’inventaire des « états de choses. » Celui de Luc Bénazet, qui ressortit à la poésie sonore/concrète (texte que sa matière lexicale et phonique oriente vers la dimension performative), est régi par la tension entre texte et partition, parole et silence, lisible et illisible.
Pour ce qui est de Claude Royet-Journoud, dans ses assemblages d’unités sémantiques minimales, il considère la langue à fleur de mots, démétaphorisant et démétaphysiquant Mallarmé. Si énigme il y a, elle n’a rien de métaphysique : « il n’y a de sauvagerie que dans l’énigme. » On sait maintenant à quoi s’en tenir quant au titre énigmatique de la revue. [Chronique complète dans le prochain numéro de La Revue des revues, qui paraîtra en octobre – c’est-à-dire en même temps que le Salon des revues]
► AKA (Stéphane Korvin ; revue.ak@hotmail.fr), n°1, printemps 2013, 48 pages non numérotées.
Voici la présentation qu’en fait son créateur, Stéphane Korvin, bien connu des Libr-lecteurs, puisque Libr-critique fait partie des premiers lieux à l’avoir accueilli comme jeune talent prometteur : "Sur la forme, la revue sera d’un format de 14 x 20cm, d’une quarantaine de pages, fabriqué et relié par mes soins, avec une couverture par numéro et un dessin sur calque.
Sur le fond, revue de création littéraire, chaque numéro retentira autour d’une proposition d’une page (poème, essai, page de roman…). Les textes proposés seront inédits et ne devront pas dépasser 5.000 signes. Chaque lancement donnera lieu à une lecture.
A la question pourquoi une nouvelle revue ? Question légitime évidemment, j’aimerais dire ici que cette revue veut renouer avec une forme artisanale et simple, tout sera fait par mes petits mains, une embarcation légère qui ne nécessite aucun financement extérieur, un espace tourné résolument vers les nouvelles écritures, avec une envie de créer une plateforme de rencontres entre les auteurs autour d’un objet, pensant la revue comme un lieu de création et d’expérimentation hors chapelles."
Faite main, AKA a du chien, AKA a du charme. Et elle a de quoi attirer l’attention : outre "les rêves globalement idiots d’Ernest Folkarévitch" (Arnaud Ducharme), on retiendra les violents agencements répétitifs de Laura Lisa Vazquez et les séquences fléchées de Marc Perrin… Et les listes elliptiques de Claude Favre dans "Borderlines" : dessiner les bords, les limites… écrire entre mots et choses, monter jusqu’à la phrase dans le poème… Avec Claude Favre, foutraque, "le présent braque sous le sens"…
► Larevue* des arts du langage, et quelques autres, Paris, Julien Nègre éditeur, été 2013, 150 pages, 18, ISBN : 979-10-92464-00-9.
"Parlant, qu’est-ce qu’on restitue ? Ecrivant, que substitue-t-on ?" Christian Hubin, p. 115).
L’astérisque, auquel fait écho le sigle de la couverture, vient enlever au titre son caractère totalisant. Voici donc une revue au grand format et au papier élégants qui porte beau.
On y appréciera les réécritures aphoristiques de Jean-Michel Binsse, le narré-troué de Daniel Pozner, les jeux graphiques de Frédéric Forte… Le texte de Mathieu Nuss sur le peintre Georges Ball (1929-2009) : "à supposer que l’intensité des blancs et des noirs montre sous le burin l’exaltation géologique, les mains artisanes de Georges Ball réveillent des feuilletages enfouis, révèlent la dynamique ancrée dans les roches -"… Les deux lignes de Bruno Fern, l’auteur de Des figures : le texte est généré par le découpage syllabique de deux énoncés emblématiques ("Toute l’écriture est de la cochonnerie" d’Artaud et "subdivisions prismatiques" de Mallarmé), chaque syllabe servant d’embrayeur à un nouvel énoncé.
Pour précision, mes borderlines ne sont en rien une tentative d’élucidation des processus d’écriture mais de simples intuitions, hypothèses, flèches. Raidie du désir d’écrire, toujours cette phrase préalable : monter à la phrase. Je reconnus la montée dans le poème à plusieurs reprises plus tard chez Guillevic à chaque fois que je chutais. Comme quoi rater mieux déplace pas mal les lignes