Les temps sont revenus pour tout écrivain ou citoyen qui se respecte, non pour jouer aux bêle-âmes, mais parce que l’heure est grave, de sortir de ses gonds comme de son confort.
C’est ce qu’a choisi de faire Fred Griot – dont nous avons présenté récemment le dernier livre, Cabane d’hiver -, à la fois sur son blog et pour Libr-critique : comme toutes les autres contributions à Libr-@ction, "Je ne me tairai plus" vise à être lu, partagé, tonné, échangé, commenté. Un grand merci au satiriste Joël Heirman d’avoir accompagné de son talent ce texte que vous gagnerez à lire, relire et clamer. [Lire Libr-@ction 11 : texte de Thierry Rat]
Frères humains qui avec nous vivez,
et après nous vivrez encore,
Il est temps.
Aujourd’hui une gangrène, majeure, historiquement récurrente, à nouveau essaime : celle de la montée des mouvements identitaires, excluants par nature…
Il est temps alors de prendre voix, temps de dire avec force, publiquement et non plus seulement dans un entre-soi. Temps de ne plus se taire.
Il est temps, temps de se mettre debout, de lever la tête, de se soulever, de s’indigner. Temps d’hurler même, si nécessaire.
Il est temps de lutter, pied à pied, détail par détail.
Temps de dire notre opposition radicale, inébranlable, définitive.
Je n’aime guère cette expression préconisant qu’il est le moment de se compter, car il ne s’agit pas d’exclure à notre tour, mais il est toutefois temps d’avancer, de lutter, de s’opposer d’une voix commune contre cette nécrose, cette lèpre de la vie sociale libre, fraternelle.
Il est temps de parler.
Et parler commence par témoigner.
Longtemps je me suis tu… observant, silencieux… et pourtant voilà près de trente-cinq ans que ces périodes historiques de montée ou d’avènement des mouvements autoritaires me hantent, et que cette tentative de compréhension, fleuretant parfois avec les limites du dicible, m’a amené à me documenter consciencieusement sur le sujet.
Que cette conscience ait commencé par l’incapacité viscérale à supporter et à assister aux moqueries des cours d’école, aux jeux idiots de ceux qui tiraient plaisir de leur cruauté envers leurs camarades, cela est à peu près certain.
Puis j’ai vu, gamin, en montagne, sur les hauts plateaux de maquis, les tombes de ceux crevés pour que mes concitoyens, mes proches, tout comme moi-même, plus tard, puissions être affranchis de la terreur, pour que je puisse exercer ma liberté permettant un épanouissement d’individu.
J’ai vu, approché, adolescent, des groupuscules néo-nazis, à « l’esthétique » de cuir et de Totenköpfe, et j’ai vu leurs départs en ratonnades…
J’ai vu, de nombreuses années, le travail social de fond mené dans la déshérence des « cités », qui n’avaient de cité que le nom, tant le lien global qui la constitue habituellement était dissous.
Tout cela évidemment m’a non seulement marqué durablement, mais a également participé à me préoccuper, autant que faire se peut, de l’autre, du vivre ensemble.
Mon souci constant, depuis toujours, probablement depuis ce sentiment de la prime enfance mais aussi par mon histoire familiale, de résistance, de combat contre les pensées, les élans, les actes de discrédit, de désignation à la vindicte, d’exclusion, de racisme, voire de fanatisme, de destruction, de délire fasciste, doit désormais s’exprimer là, aussi.
Il est alors ce sentiment fort de prendre ici relais de ces morts, de ces ascendants, qui ont lutté, parfois péri, pour qu’adviennent et perdurent les conditions d’une fraternité dont, aujourd’hui, nous bénéficions tous. Tous, oui, malgré ce sentiment actuel d’abandon éprouvé par beaucoup.
En ces périodes d’extrêmes rugosité sociale, économique, nous sommes nombreux à avoir ressenti ce que nous pourrions appeler une violence sociétale ou d’état, et, s’il est possible de comprendre le processus de la déshérence actuelle de la croyance aux principes d’humanité, il n’est pourtant aucune excuse pour basculer dans de désespérantes idéologies.
Dans ces moments-là il faut être bien solide, ferme en pensée, en valeurs, je sais, pour ne pas sombrer dans les idées faciles et puantes des extrêmes, comme tant sont ces temps-ci tentés.
Oui, parfois l’on se sent interdit.
Oui, l’on se sent la gorge serrée, muette, ne sachant que dire, la langue nous en tombant d’ahurissement… Mais il faut désormais, à nouveau, et il y aura à le faire continuellement, dépasser cette sidération.
Nous sommes souvent dans une apathie, une aphasie d’abord. Quelle est donc cette angoisse, cette peur, cette paralysie qui nous poussent au calfeutrage, au silence, que nous n’arriverions à dépasser ?
Les idées nauséabondes ne se discutent pas, elles se combattent. L’histoire, récurrente souvenons-nous en, nous l’apprend.
Car c’est, bien malheureusement, bien tristement, bien résolument, tout d’une guerre dont il s’agit là… Et rien de l’histoire encore une fois ne nous a démontré les facultés de persuasion de la discussion, les capacités de conviction de la rhétorique pour avancer sur ce terrain-là.
On ne parlemente pas avec ces gens-là, on lutte. Ils nous y forcent.
Nous avons voulu encore un peu temporiser peut-être, ne pas rentrer dans la bagarre de suite. Ils voulaient dédiaboliser, continuer à nous faire croire à l’agneau qui déguiserait le loup… C’en est fini, le loup à nouveau a surgi, crocs et babines devant, il n’a pu recéler, réfréner sa nature plus longtemps. Il ressort, séduit, enivré.
Il est temps de dire comme Badinter en son époque, même si cela fut dans un contexte certes différent : « Taisez-vous ! Les morts vous écoutent. Je ne demande que le silence que les morts appellent ! Taisez-vous ! »
Il est, nous le savons, en l’homo sapiens la pulsion d’agressivité, de rejet, tout à côté de la pulsion d’empathie, car la pulsion d’empathie est elle aussi propre à l’homme et n’est pas qu’une « éducation ».
Il ne s’agit pas ici seulement de ce qui serait une lutte de la nature contre la culture. De la facilité, la pente de l’instinct, voire in fine de l’animalité parfois, contre la vision claire, réfléchie, compassionnelle, attentive, ouverte… Ceci dit nombre de citoyens tout de même, par souffrance, mais pas uniquement, par facilité de réflexion également, perte de mémoire historique, se mettent aujourd’hui, comme par le passé, à suivre en bêlant ce qui devient désormais un grand nombre, un trop grand nombre, si ce n’est le plus grand, et où le pulsionnel, le passionnel mènent la danse vers la pente la plus aisée, la plus abjecte…
C’est une libération de la pensée sordide, immonde qui, toujours, a poussé sur l’humus, le fumier, la merde des périodes âpres.
Mais pour que cette empathie puisse fleurir contre le rejet, encore faut-il ressentir pouvoir faire confiance en l’autre, pouvoir compter sur autrui, en avoir l’espace social… car en amont de la morbidité de la pulsion, de l’idéologie radicalisée, il y a un sentiment profond d’abandon…
Je pense ici, d’abord, surtout, à ceux qui ont basculé… à ceux-là, isolés, coupés du tissu d’épanouissement que devrait leur apporter la communauté… Oui je pense à eux dans leur sensation de délaissement, leur ressentiment qui les amènent à chercher, en désespoir, un lien identitaire qui pallierait une absence de lien social.
Mais il ne peut être acceptable qu’une sociabilisation se fasse, se construise sur l’exclusion, la ségrégation.
Le processus est le même toujours : appauvrie, déçue, se sentant déconsidérée, exténuée, dépouillée de ses anciens espoirs, donc malléable, entraînable, ce qui devient peu à peu une majorité est alors prête à suivre même les plus grossiers mensonges… Mensonges faisant miroiter à ces désespérés leur propre avènement, ils sont mûrs, prêts, prêts à suivre… Cela tourne alors en une agrégation massive parce qu’on leurs promet une socialisation nouvelle, qu’ils n’ont plus, qui historiquement dans ces mouvements ne pourrait leur être soi-disant donnée que par le rejet du différent, de la dissemblance… Et c’est une place frelatée, volée en définitive, que leurs chefs leurs voleront ensuite à leur tour quand il sera nécessaire. Mais cela, par presque tous, sera toujours consciencieusement occulté.
Le signe le plus alarmant c’est, qu’au-delà des leaders les plus convaincus, les plus durs, qui n’ont jamais eu honte eux de leur pensée puante, les suiveurs aussi, désormais, n’ont plus honte de se vautrer dans les plus basses idées, pleines de fange et de mépris, déconsidérant ce qui fait une partie de la noblesse de notre humanité, à savoir la compassion, l’attention, la concordance avec autrui, et osent même désormais afficher, revendiquer, se faire une fierté de leurs tentations morbides… Il n’est que d’écouter les discussions de comptoirs actuelles pour se rendre compte à quel point ce fléau, récurrent, répétitif, est revenu, à quel point « des inhibitions disparaissent, des digues sont éventrées » comme l’a dit notre Garde des Sceaux, avec grand recul sur les attaques personnelles dont elle a été l’objet…
S’il faut donc non seulement parler, il faut aussi agir, maintenant, tout autant. Construire ce lien, la condition du vivre ensemble, car il n’y a que cela qui puisse transformer les circonstances d’émergence, d’extension de ces mouvements nationaux, populistes, autoritaires, oppressifs.
Et si l’on peut, peut-être, pour certains, désespérer en un type de gouvernance, en les capacités de rémission d’une société fatiguée, on ne peut, on ne doit désespérer en ces valeurs-là !
Et l’on ne fait pas là de la politique mais de l’humanité !
Il est temps… Il y a des urgences. Demain il sera trop tard.
À nous de voir quel monde, quelle organisation humaine nous voulons affirmer, poursuivre, construire… celle de l’attention à l’autre, et nous ne sommes pas constitués d’autre chose que de l’altérité, nourricière, constitutive de l’individu ; ou bien celle de la trouille, de la peur, et donc de la défiance, de la volonté d’effacement d’une partie de la population que nous estimerions comme indésirable… alors, alors qu’elle est homme comme chacun de nous !
Je connais trop de familles proches dont la généalogie est peuplée de morts assassinés, de morts violentes, de meurtres lâches le long d’un fossé boueux ou au pied d’un wagon à bestiaux en route pour les camps. Et mes filles même en sont la miraculeuse, l’inespérée continuation. Je me souviens du sens vital, quasi résurrectionnel, qu’avait alors pris leur venue, leur naissance pour leur arrière-grand-mère, réchappée. Ainsi elles aussi sont, encore, des rescapées.
Car nous sommes des hommes, et d’une indivisible espèce !
Une devant les bêtes, les plantes. Une, indivisible, quelles que soient les couleurs. Une, née sur la terre africaine, mais capable visiblement aussi de s’inventer parfois un déni de cette unité fondamentale dans un délire singulier.
Et si les nazis, qui ont tenté de dénier à certains cette qualité d’homme, tenté de les expulser de la famille humaine, ont échoué, c’est que cette qualité est indéniable, irréfutable, irrécusable, ontologique. Qu’elle est.
Alors la colère !
La colère depuis trop longtemps face à ces montées de propos orduriers… Je n’ai aujourd’hui que la plume, la voix comme arme, et je souhaite n’avoir que celle-ci à prendre le plus longtemps possible, je décide donc désormais de m’en servir.
Il est temps.
Emparons-nous de ces outils qui nous servent si bien lorsque nous souhaitons mettre en avant nos petites individualités, nos petites créations communes, élémentaires, nos narcissismes dont nous sommes tous, on le sait porteurs…
Il y a une importance primordiale à s’emparer aujourd’hui du langage, et en particulier du nouveau, j’entends le langage numérique social, qui véhicule en l’époque une grande part de nos idées, de nos connaissances et de notre imaginaire. Car nous sommes là tous émetteurs, et qu’en tant que tels nous avons pour charge et responsabilité de transmettre ici de l’information et du savoir pertinents, attentifs, respectueux de l’autre, bien au-delà du simple média de divertissement… Ce sont ici, aujourd’hui, l’un des véhicules majeurs des bases, des outils de notre conscience, de notre lecture du monde, et par conséquence de notre liberté, personnelle, citoyenne, démocratique.
Alors utilisons-le.
Emettre ainsi publiquement son avis, sa conviction, a évidemment une portée politique, mais tout autant une portée poétique, celle de transporter le monde de l’autre avec soi, dans une communion, non pas idéale, idéalisée, mais possible, souhaitable, réalisable, améliorable en partie. Et cette partie-là, souhaitable, améliorable, humaine, suffit pour se lever, et parler dans une résistance ferme, écharnée.
J’ai donc décidé d’ouvrir ma gueule, de me servir de ce petit outil que j’ai depuis de nombreuses années, d’écrire, de savoir faire passer un peu la voix, qui est une tentative de nous dire, de nous comprendre, pour une cause plus vaste que la simple diffusion de mes petites constructions.
Et cet effort nous pouvons le porter, constant, tous.
Il n’est plus temps du silence, ou du souci exclusif de soi.
Dans toute la complexité de tels phénomènes, le geste ici est maladroit, imprécis peut-être, dérisoire, petit éventuellement, d’une portée bien modeste, mais le geste est nécessaire. Absolument nécessaire.
Je ne serai plus de ceux qui se taisent !
Alors à ceux qui seraient tentés au moment de voter pour des partis aux racines brunes, j’aimerais encore oser leurs demander de réfléchir, réfléchir quelques instants… seulement quelques instants… au-delà du ressenti… Voter c’est aller « donner sa voix », littéralement, alors ne la donnez pas aux bouches qui hurlent à la haine, n’allez pas vous jeter dans la gueule du loup. Cela n’a jamais, jamais, jamais sauvé quiconque.
Des lignées de morts, des « tas » de morts, des brouettes de morts, nous écoutent en silence… En leurs noms, en leurs mémoires, en leur humanité assassinée, saccagée, torturée, en leur ascendance dont nous sommes issus, qu’allons-nous dire, qu’allons-nous faire, qu’allons-nous mener comme rêve pour cette terre où il nous a été échu de vivre… et de vivre ensemble ?
Nous ne nous tairons plus.
J’ai assez tôt combattue ce genre d’idées (vers mes 15 ans, j’en ai maintenant 53), je me suis moi-même retrouvé dans la misère noire (SDF), depouillé de tout, et si j’en ai voulu à quelque chose, ce fut plutôt au système qui m’avait mis à bas, car pendant cette periode sombre de ma vie, j’ai pu rencontrer des gens de toute nationalité (car parler de race pour le genre humain est complètement inadapté) et si dans le tas il y a forcément des salopards, j’y ai retrouvé le sens du mot Solidarité, la solidarité des gueux et des exclus… et j’en suis venu à penser, que les gens qui nous montraient leur mépris et leur dédain, avaient en fait une peur atroce de sombrer comme nous…et toute l’ingéniosité de la machine à exclure fut de trouver un bouc émissaire; l’Arabe pour beaucoup, et dans les zones urbaines où il y en a peu, le Rom ou, comme à Calais, le migrant…je ne parle evidemment pas des fachos convaicus, qui sont mes ennemis de classe, mais des citoyens lambdas qui se font manipuler par la peur et l’angoisse du lendemain…OUI, bien sûr qu’il est temps de hausser la voix….en tous cas, je n’ai jamais baissé la mienne
Que les actes alors soient conformes aux paroles (vivre « ensemble »…accepter l’autre qui ne pense pas pareil, accepter la discussion, le désaccord, ne pas faire semblant…ne pas nier l’existence d’un autre qui dérange…) sinon on fait le jeu des salauds qui se jouent du langage pour leur profit, se hausser du col, et augmenter la déchirure du monde.
Sinon on reconduit le monde comme il ne va pas.
Dont acte.