[Texte] Marc Perrin, Spinoza in China, 11 novembre 2011- 26 décembre 2014 (1/2)

[Texte] Marc Perrin, Spinoza in China, 11 novembre 2011- 26 décembre 2014 (1/2)

mars 21, 2015
in Category: créations, UNE
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[Texte] Marc Perrin, Spinoza in China, 11 novembre 2011- 26 décembre 2014 (1/2)

C’est peu dire que nous nous réjouissons de publier ce feuilleton itinérant signé Marc Perrin en collaboration avec Hors-sol, Remue.net et La Vie manifeste. Vous retrouvez ci-dessous le personnage d’Ernesto, dont la dernière apparition sur Libre-critique remonte au 22 octobre 2013.

 

Spinoza in China | Novembre 2011 sera bientôt un livre. Il paraîtra cette année aux éditions Dernier Télégramme, et se présentera plus ou moins sous la forme d’un journal. Le journal d’Ernesto, âgé de 10 ans et quelques secondes ou et quelques siècles, lors de son premier voyage en Chine, en novembre 2011. Avec l’Éthique de Spinoza en poche.

 

Ce journal, poème, récit, commence le 0 novembre 2011, et s’arrête le 35 novembre 2011. À partir du 9 novembre 2011, la fin de l’année 2014 et le début de l’année 2015 et les jours qui suivent s’invitent dans le journal, poème, récit…

 

Il y a un blog, où l’on peut lire l’ensemble des textes du chantier en cours en leur état d’avancement, dont une présentation, ici.

 

Il y a des revues (Aka n°1 & n°4, Chimères n°81, La tête et les cornes, Multitudes n°57, Nioques n°13, Pli n°3, remue Général Instin) qui ont publié certaines formes de certains de ces textes.

 

Il y a eu des lectures, des performances en solo, ou en duo, avec le contrebassiste Benoit Cancoin. D’autres sont à venir.

 

Aujourd’hui, Hors-sol, La vie manifeste, Libr-critique, et remue.net s’associent pour publier Spinoza in China | Novembre 2011 en feuilleton itinérant, d’une revue l’autre, à partir de la journée du 9 novembre 2011.

 

Sommaire du feuilleton :

Spinoza in China, 9 novembre 2011

Spinoza in China, 10 novembre 2011

 

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SPINOZA IN CHINA / 11NOVEMBRE 2011 / 26 DÉCEMBRE 2014 [1/2]

 

 

      Spinoza in China est également un dialogue retranscrit sur un rouleau de papyrus de 3 mètres 60 de long sur 33 centimètres de large, avec Ernesto, et son maître Wang Taocheng, tous les deux, vivants, à la surface du rouleau. [*]

 

 

– Ernesto, tu n’es plus un gamin maintenant. Il serait peut-être temps que tu te décides à te trouver une femme. Te trouver une femme, et enfin avoir une vie normale, non ?

– Si vous le dites monsieur. Peut-être bien. Mais si je me trouve une femme comme vous dites je tiens à ce que les choses soient bien claires entre nous. Si je me trouve une femme moi je vous laisse tomber comme un vieux machin, je vous laisse tout seul, je vous laisser tomber, là, comme une veille serpillière, bien mouillée, bien trouée, bien sale et qui pue, je vous laisse tout seul crever dans votre coin. Avec plus personne pour s’occuper de vous. Est-ce que c’est ça que vous voulez ? Aujourd’hui ? Qui à part moi s’occupe de vous aujourd’hui ? Qui va s’occuper de vous si je me trouve une femme comme vous dites ? Est-ce que c’est le bon moment, vous croyez, pour vous ? Pour être tout seul. Crever tout seul. Est-ce que vous croyez que c’est le bon moment pour vous retrouver tout seul avec tout votre boulot, là, bien lourd, et votre cœur bien lourd aussi, et vous tout seul, à porter tout ça ? C’est ça que vous voulez ? J’ai l’impression que vous êtes super proche de trouver quelque chose. Vous avez vraiment envie de le trouver tout seul ? De vous retrouver tout seul à ce moment-là ? It’s up to you master.

– J’ai un putain de problème, Tony. Je peux t’appeler Tony ?

– Pourquoi pas.

 

 

      • 11 novembre 2011 • Ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Riyad Mansour → ambassadeur palestinien à l’organisation des nations unies → il comprend que le comité des admissions du conseil de sécurité de l’organisation prend acte de l’absence d’accord sur l’admission de la Palestine.      

 

 

– Tony. Je réalise chaque jour davantage que je ne suis pas grand chose d’autre qu’un putain de gros paquet plein de vide. Voilà. Je me sens plein de vide, et j’essaye de trouver un moyen pour produire une espèce de forme, une espèce de forme ou une espèce d’ensemble de formes, je ne sais pas, qui ressemblerait à ce putain de vide. Tu vois ? Mais rien ne vient, et surtout : ce que je comprends, ce que je comprends chaque jour un peu plus, en théorie, mais que je ne parviens pas à transformer en une réalisation concrète, c’est que plutôt que de produire une forme, une forme ou un ensemble de formes qui ressemblerait à quelque chose de l’ordre du vide, ce que je comprends, c’est qu’il est absolument vain de vouloir produire quoi que ce soit qui ressemble à. Ce qu’il me faudrait parvenir à faire : ce serait : ne plus produire, voilà. C’est ça en fait que j’essaye de faire, depuis plus de 30 ans : en essayant de produire quelque chose qui ressemble au vide. C’est ça qu’il faudrait que je parvienne à faire C’est arrêter de produire le truc que je veux faire. Mais j’y arrive pas Tony. Et au milieu de tout ça, je n’arrête pas de penser au boulot de Tuttle. Je sais pas si tu connais. J’arrête pas de penser à sa série Boys Let’s Be Bad Boys, tu vois ?

– Ce que je vois, monsieur, c’est qu’en effet je pense que vous seriez bien inspiré de ne rien faire qui puisse ressembler à quoi que ce soit qui soit en lien avec le vide. Je pense que vous avez tout simplement besoin d’une femme, vous aussi. D’une femme, ou d’un homme, en tout cas d’une compagnie, amoureuse ou et sexuelle. Et qu’en effet, il est temps que je parte, et peut-être je ne sais pas : il serait peut-être grand temps que vous vous trouviez une autre modalité d’existence, à la place de ce taf, que vous abattez, comme ça, toute la journée, 20 heures sur 24, à essayer tout seul de trouver une forme ou des formes pour produire quand c’est en effet arrêter de produire qui semble être votre souhait number one.

– Tony, est-ce que c’est ça que je t’ai enseigné ?

– Monsieur, vous m’avez enseigné ce que j’ai appris n’est-ce pas ? Très sincèrement : j’espère être l’un de vos super disciples.

– Tony….

– Oui monsieur ?

– C’est aujourd’hui le jour des célibataires, tu sais ?

– Oui je sais.

– C’est aujourd’hui le 11 novembre. Le 11.11. Un, un, un, un. Aujourd’hui c’est même comme tu dirais le super jour des célibataires. C’est le 11.11.11. Un, un, un, un, un, un. Tu peux t’en aller Tony.

– …

– …

– Je peux vous raconter un truc, avant de partir ?

– Si tu veux.

 

 

• 11 novembre 2011 • Ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage d’Antonio José Seguro → premier secrétaire du parti dit socialiste → portugais → il dit → relativement à l’abstention du parti dit socialiste → portugais → à l’occasion du vote du budget 2012 → budget d’une rigueur allant au-delà des mesures recommandées par la commission européenne → + → la banque centrale européenne → + → le fonds monétaire international → en échange d’un plan d’aide de 78 milliards d’euros → il dit → avant que le budget ne soit adopté sans problème en première lecture → le gouvernement de centre-droit du premier ministre Passos Coelho disposant d’une confortable majorité → il dit → relativement à l’abstention du parti → dit socialiste → portugais → il dit → l’abstention → du parti dit socialiste → est un vote pour la continuité du Portugal → dans la zone euro → est un vote pour la continuité.      

 

 

– J’ai envie de vous raconter ce qui m’est arrivé il y a exactement 74 ans. Le 11 novembre 1937. J’avais 10 ans et 3 secondes ce jour-là. Je vivais à Chantelle, dans le département de l’Allier, en France, et ce jour-là à Chantelle c’était le jour du marché de la loue, sur le champ de foire. Le 11 novembre, en 1937, c’était un jour où les propriétaires des fermes venaient pour louer des fermiers et des ouvriers. Et en même temps qu’ils louaient les fermiers et les ouvriers, ils louaient chaque famille qui allait avec. Moi, ce jour-là, pour mes 10 ans et 3 secondes, j’ai voulu qu’on m’achète un accordéon. Il y avait des gitans qui étaient passés dans le village juste la semaine d’avant. Ils étaient arrivés sur une carriole, ils étaient 4, 5, ils s’étaient arrêtés au carrefour, juste à côté de notre maison. Le même carrefour où mon brother Andrea ira tous les matins serrer la paluche du vieux soldat allemand affecté à la surveillance de cette intersection de routes-ci, tout le printemps 44. Là, à ce même endroit, sept ans plus tôt, donc, les gitans s’étaient arrêtés, une heure ou deux heures, pas plus. Ils s’étaient arrêtés parce qu’il y avait un puits à cet endroit, avec de l’eau. Ils se sont lavés. Ils ont rempli quelques seaux. Et puis ils sont repartis. Pendant tout le temps qu’ils étaient là, l’un d’entre eux jouait de l’accordéon, et une jeune femme, parfois, chantait avec lui. Je m’étais approché un petit peu d’eux, pas trop, je m’étais positionné plus ou moins à mi-distance, entre là où ils étaient, et la maison où on vivait, avec la family, derrière moi. Je m’étais assis sur un seau en métal, renversé, et j’écoutais le gars qui jouait, et la fille qui parfois chantait avec lui. Quand ils sont partis, ils m’ont fait des grands signes de la main, en riant très fort. C’est ça qui m’a donné envie d’un accordéon. Tout ce moment-là. J’ai pas arrêté d’y penser, pendant une semaine, et le 11 novembre 1937 au petit déj j’ai dit à mes parents : je veux un accordéon. Je veux jouer de l’accordéon. Mes parents, ils m’ont tout de suite arrêté. Ils m’ont dit que ça coûtait trop cher. Ça coûtait quelque chose comme plus de 10 fois ce qu’ils gagnaient en un mois ou une année de travail, je ne sais plus. Je me souviens juste que c’était une somme d’argent énorme, et l’accordéon, ça n’a pas été possible. Mais j’avais envie de faire quelque chose avec mes doigts, avec mes mains. Je me suis rendu compte de ça illico, ce n’était pas tant l’accordéon ou la musique dont j’avais besoin, mais de faire quelque chose avec les mains. Et comme il y avait des œufs durs sur la table, je me suis dit : tiens, je vais jongler avec les œufs. Jongler avec des œufs : ça coûte presque rien, il suffit d’avoir des œufs. Et c’est comme ça que j’ai laissé tomber l’idée de l’accordéon et que j’ai commencé l’apprentissage du jonglage, sur le trottoir, devant la maison. Ça, c’était en 1937, le 11 novembre 1937. À une époque, comme je vous dis, où le 11 novembre, c’était le jour du marché de la loue. Le jour de la loue humaine. Un jour, donc, avec un marché, sur la place du village. Un jour où on loue des êtres humains, pour le travail de l’année à venir. Et en même temps, un jour de foire au bétail. Un jour, avec des propriétaires qui font leur marché et qui achètent et vendent des animaux et qui louent en même temps des êtres humains avec toute leur famille, pour l’année à venir. C’est pratique et rapide. C’est le 11 novembre. C’est le jour de la Saint-Martin. On te loue, le matin, et dans la journée, tu déménages avec toute ta petite famille en direction de la ferme où tu vas bosser, et vivre, pendant toute une année. Ce jour-là, le 11 novembre, c’est aussi le grand jour des déménagements pour tous ceux qui ont été loués. Depuis que la loue humaine a commencé d’exister, bien avant 1937, le 11 novembre, c’est le jour des déménagements. Et je me suis longtemps demandé, d’ailleurs, si l’inconscient des militaires avait voulu associer cette tradition de la loue humaine, avec déménagement – c’est-à-dire cette mobilité humaine associée au travail – , je me suis longtemps demandé si l’inconscient des militaires avait voulu associer cette loue avec déménagement à la signature de l’armistice, Le 11 novembre, en 1918. Je me suis longtemps demandé si l’inconscient des militaires avait voulu associer cette tradition de la loue humaine avec déménagement, mobilité, travail : à une signature de paix. Et je me suis demandé s’il y avait d’autres dates, comme ça, qu’on pouvait associer. Avec d’un côté : une location humaine, avec travail plus ou moins rémunéré associé à délocalisation du lieu d’habitation. Et de l’autre côté : signature d’un armistice. Ou d’un traité mettant fin à quelque combat, et déclarant plus ou moins l’existence d’une paix. Comme je ne suis pas très fort en histoire, j’ai rien trouvé. J’ai pas cherché. Par contre, comme n’importe qui j’ai un inconscient avec plein de trucs dedans, et dedans : je suis allé chercher une date. J’ai choisi le 22 mars 1968. Et alors ? Et alors je me suis demandé si un jour des militaires, ou quelques autres humaines ou humains armés, armées, d’une manière ou d’une autre, associeraient cette date de 1968 à la signature d’une paix quelconque, ou bien au contraire si cette date serait un jour associée à quelque déclaration d’une hostilité nouvelle, ou au renforcement d’une hostilité déjà existante, par exemple je ne sais pas, comme si, dans 3 ans, le 22 mars, dans la nuit du 21 au 22 mars, par exemple, des syndicats dits majoritaires et une organisation patronale signaient quelque chose comme un accord national et interprofessionnel relatif à l’indemnisation du chômage, un accord qui par exemple aurait pour conséquence, en douce, d’empêcher tout gamin de 10 ans et 3 secondes de jongler sur les trottoirs, ou de demander un peu d’argent à un président de la république, comme ça m’est arrivé, à moi, en 1972, quand j’avais 10 ans et 4 secondes et que j’étais arrivé à un certain niveau dans ma pratique du jonglage, et qu’alors j’avais ressenti le besoin de découvrir d’autres techniques qui me permettraient par exemple de jongler avec des œufs plus gros, plus denses, ou plus intenses, je ne savais pas exactement, mais ce que je me disais alors c’était que le bon endroit pour continuer, ça pouvait être les états unis d’Amérique du nord. Pour découvrir de nouvelles techniques, avec des œufs beaucoup plus gros, beaucoup plus denses, beaucoup plus intenses, les étais unis d’Amérique du nord je me disais que ça pouvait être un endroit intéressant pour ma pratique du jonglage. Mais. Les états unis d’Amérique du nord, comme mes parents entre 1937 et 1972 n’étaient pas devenus spécialement super riches, il a encore été question d’impossibilité, à cause de l’argent qu’il n’y avait pas, pour payer le voyage. Mais là moi j’avais trop la nécessité du cirque et du jonglage en moi alors j’ai inventé un nouveau numéro de jonglerie sous forme d’un dossier super cirque que j’ai envoyé au président de la république d’alors qui s’appelait Georges Pompidou et qui avait écrit une anthologie de la poésie française pas super contemporaine mais quand même une anthologie de poésie, ce qui n’était jamais arrivé avant – pas certain – , et qui en tout cas n’est jamais arrivé depuis – ça, c’est sûr – , et je me suis dit que ce type pouvait être sensible à ma demande et ça a pas manqué il a été sensible à ma demande et il a traduit sa sensibilité en me filant un peu d’argent pour que je m’achète un billet d’avion et j’ai pu aller aux états unis d’Amérique du nord pour continuer ma recherche avec le jonglage et des œufs gros et denses et intenses et alors j’ai été loin de mes parents pendant dix ans, sauf une fois, je suis revenu, une seule fois, pour des vacances, en 74, et là, quand je suis revenu, à Chantelle, j’ai d’abord vu ma mère et quand je l’ai vue I suddenly found that she became old, et, mon père, je sais pas où il était à ce moment-là et je suis retourné aux états unis d’Amérique du nord et j’y suis resté jusqu’en 1981, et quand je suis revenu en France ma mère avait continué de vieillir, je comprenais toujours pas où était mon père et vous quand je vous ai vu la première fois je veux pas dire que j’ai compris davantage où il était ni comment ma mère avait vieilli, mais c’est vrai que j’ai pensé à eux deux très fort en vous voyant. Et vous, votre enfance, ça s’est passé comment ? [**]                    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[*] • [D’après A Person Who Has Never Seen the Ocean. Ink, mineral pigment, pencil, acrylic, 360 x 33cm, 2010. Wang Taocheng; http://www.ovgallery.com/artist/wang-taocheng/#art ]

 

 

[**] • [Très librement inspiré de la vidéo From No.4 Pingyuanli to No.4 Tianqiaobeili, 2007. Ma Qiusha; http://www.maqiusha.com/en]                                                 11.11.2011 http://www.liberation.fr/monde/2011/11/11/adhesion-palestinienne-constat-d-un-desaccord-au-conseil-de-securite_774102 http://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20111111.OBS4333/plan-de-rigueur-draconien-pour-le-portugal.html                  

 

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rédaction

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