Et si la volupté c’était le vol… Petit manifeste anticonformiste signé Mathias Richard – que l’on connaît bien maintenant sur Libr-critique.
Je porte des vêtements volés avec dedans de l’argent volé. Je mange de la nourriture volée et bois de l’eau volée, et du vin volé. A mon poignet, une montre volée ; dans mes mains, un livre volé ; sous mes pieds un bateau volé aux voiles volées.
Je suis dans une voiture volée avec des chaussures volées, un téléphone volé et des lunettes volées.
A côté de moi, une femme volée. Nous partageons des moments volés. Dans ma tête, il y a des mots volés et des pensées volées.
Je vole dans un avion volé aux ailes volées. Tout est volé sur moi, tout est volé en moi, tout ce que j’ai est volé, tout ce que j’ai, je ne l’ai pas, tout ce que j’ai, n’est pas à moi, j’ai volé, je vole, je volerai, l’air que je respire est volé, chaque instant est volé, le passé est volé, le futur est volé, le présent est volé, mon futur je dois le voler, mon présent je dois le voler, mon passé j’ai dû le voler, j’ai volé ce sourire, ces mimiques, ces expressions. J’ai volé ce langage et ces idées et ce clin d’œil.
Mes chaussettes sont volées, mon slip est volé, ma chemise est volée, mon pantalon est volé, tout est volé en moi, sur moi, tout est volé partout, tout se vole, tout se vole, tout est à voler, même le rien j’ai dû le voler, rien n’est à moi, et il faut constamment le revoler, je tiens dans ma main des fleurs volées, des violettes volées, des œufs volés, et pars sur un vélo volé, avec une valise volée, j’aurais voulu ne pas voler, mais rien n’est à moi et rien ne le sera jamais, tout s’échappe de mes mains, tout se refuse je ne possède rien, tout est à, pas à moi, alors j’ai volé une voix, et j’ai volé la clé d’un appartement, et j’ai volé un matelas, et j’ai volé un ordinateur, et j’ai volé du temps, et j’ai écrit ça, c’est bien volé hein, je ne pourrai pas continuer à voler encore longtemps comme ça, à ce rythme, alors volez pour moi, s’il vous plaît, volez, volez pour moi, et volez bien, et volez tout, merci, il faut voler, on ne devrait pas avoir à le faire, mais il faut savoir voler, tu ne dois pas le faire mais tu dois savoir le faire, c’est comme ça, alors vole une bière, vole un baiser, vole une cigarette, vole une carte d’identité, vole un appareil photo, pour continuer, un peu plus loin, à voler un peu plus de vie, à voler un peu plus de temps, à voler des émotions, à voler de la joie, à voler de l’aventure, à voler des galères, à voler de la vie, encore un peu de vie, de carburant, et tout ce que j’ai donné, je l’ai volé, tout ça est volé, tout ça est entièrement volé, alors vole pour donner et revole pour donner plus encore, car tout est volé en moi et il faut que je vole pour me dévoler et plus je me dévole et plus je vole et il n’y aura que la mort que je n’aurai pas volée, celle-là je ne veux pas la voler, je la laisse à tout le monde, mais on n’est jamais à l’abri de la voler par inadvertance, on croit qu’on vole un truc sans importance et hop j’ai la mort, (merde) c’est le seul truc qu’on vole dont on peut plus se débarrasser, la mort, alors volez tout mais évitez de voler la mort quand même ou c’est elle qui vous volera pour de bon. Sur ce je m’en vais entièrement volé et volant pour me dévoler au fur et à mesure que les vols sortent de moi, je vole et vole et revole encore juste pour rester vivant encore un peu, juste pour rester stabilisé quelques instants, je vole un toit, je vole un plat, je vole de la chaleur, je vole un jour de plus, je vole une nuit de plus, et demain je réessaierai de voler encore un peu, quelques brins d’herbe, quelques trous dans la terre, pour continuer encore un peu. Les violons volés jouent des airs volés dans ce lieu volé où même la lumière est volée et le son aussi bien sûr, et ma présence est volée et vos yeux sont volés et votre esprit est volé et hop il n’y a plus rien.
Très embarqué ce texte; bravo. Comme si on était au volant, ça brasse dans les tours … Dans un autre lyrisme aussi « la poésie me volera ma mort » R. Char.