[Texte] Stéphane Rouzé, <em><strong>L'Arche de Moinous</em></strong> (3)

[Texte] Stéphane Rouzé, L’Arche de Moinous (3)

août 21, 2009
in Category: créations, UNE
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Voici la troisième livraison (lire la deuxième) de l’hommage que Stéphane Rouzé a souhaité rendre à son ami Raymond Federman pour ses 81 ans. Avant que ne soient (ré)édités chez Léo Scheer, le 9 septembre exactement, Les Carcasses et La Fourrure de ma tante Rachel, celui qui a traduit À la queue leu leu et anime le site Lelem nous offre ce "récit qui avance tant bien que mal", dans lequel on retrouve les caractéristiques formelles (oralité, désinvolture narrative, art de la digression, phrasé syncopé) et thématiques (blagues, histoires de nouilles, de mouches, de culs) de l’incomparable écrivain…

HAUT HAUT HAUT HAUT HAUT HAUT HAUT HAUT HAUT
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D’autres animaux plus sympathiques pourraient aussi être les hôtes de l’Arche – comme les chevaux volants [marron sur fond blanc] sur le papier peint — car tout être volatile a sa place sur l’Arche de Moinous — les oiseaux — les abeilles et les pruneaux d’Agen — les mouches — soit dit en passant — quelle vie de con que la vie d’une mouche — une vie passée à becqueter la merde des autres – et bourdonner — bourdonner autour des yeux des vaches qui essayeront de lui foutre une bonne claque avec leur queue — ou bourdonner autour des humains — à chercher la merde sur les vitres des fenêtres ou sur les écrans de TV — mais un jour tandis que la mouche atterrira sur le bras ou le sommet du crâne d’un homme — bang — il la giflera — et l’écrasera — et elle sera morte — à moins qu’elle se frotte à un de ces disques colorés que tu colles sur les fenêtres — les mouches sont attirées par la couleur et par le parfum diffusé par le disque coloré — elles vont y goûter — et après elles meurent inexorablement — quelle vie de con — oui vraiment — quelle vie de con que la vie d’une mouche — quelle vie de con aussi que la vie d’une puce à bondir sans but — quelle vie de con — quelle vie de con que celle d’un teckel à poil ras perdue en aboiements étouffés dans les bras de maman — oui vraiment quelle vie — et puis quelle vie de con que celle d’un bousier à rouler sa boule de merde d’un château l’autre — quelle vie de merde vraiment — quelle vie de con perdue à vouloir la gagner — heureusement sur l’Arche de Moinous — il n’est pas question de cela — pour personne — ni pour Moinous — ni pour Gugusse — Loulou — Ernest — ni pour le pigeon unijambiste — ni pour Charlot le Taureau — ni pour Bigleux le chien borgne – ni pour les lions fainéants du zoo de San Diego – ni pour les lions de la savane Africaine qui baisent à l’ombre d’un baobab —

Il serait possible de pratiquer toute une série d’autres activités sur l’Arche – d’autres jeux que le poker – car on improviserait un casino sur l’Arche – un casino de fortune où il sera possible de jouer au black jack ou à la roulette – au craps — où il serait possible de perdre des $ — de perdre ou gagner énormément de $ –
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$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$ — puisque ce seront des $ imaginaires — et ce tout en écoutant les jazzmen noodler – car on pourrait aussi improviser des bœufs sur l’Arche de Moinous – noodler à l’infini dans toutes les directions – ou jouer une version jazzy de Ramona — Ramona je t’aimerai toute la vie Ramona je t’aimerai

les résidents organiseraient des conférences sur des sujets qui les préoccupent tout partiCULièrement — pendant lesquelles ils échafauderaient des hypothèses qui s’écrouleraient les unes après les autres — c’est humain — ils émettraient des réflexions — spéculeraient — et spéculeraient jusqu’à tomber sur la bonne spéculation — émettraient des opinions — seraient d’un côté de l’Arche puis hop soudain à gauche et puis hop puis ils passeraient de l’autre côté la queue basse — et puis au milieu ils deviendraient neutres– ils se poseraient des questions sur des sujets comme par exemple l’élasticité de la nouille – les rumeurs transmissibles à l’infini dans les deux sens – sur l’envers du loin — à propos des bienfaits l’adhérence de la bave de l’escargot – de l’irascibilité du poil — le réchauffement du climat sexuel — sur la durée de vie d’une brosse à dents — sur l’établissement de listes de listes — sur la valeur nutritive des nouilles — feraient des spéculations sur le temps nécessaire pour se familiariser à la vie sur l’Arche de Moinous — sur les manières possibles d’interrompre une situation — sur l’inconvénient de faire de la poésie — etc. — la liste pourrait être longue —

Et puis on se raconterait des histoires — on se raconterait par exemple la genèse de l’Arche de Moinous – oui comment tout cela s’est mis en branle — on évoquerait l’impardonnable énormité — un peu — pas trop — on scruterait l’Histoire de l’Homme avec deux grands H — mais la chute des reins romains — on se raconterait aussi des blagues — et d’autres foirades — ça tombe plutôt bien parce que Gugusse vient à l’instant de dire à Loulou — oh dis j’en ai une bien bonne à te raconter — bon lecteur tu vas pas nous croire — tu vas nous dire que dis-donc ça tombe drôlement bien — et que bien-sûr on avait anticipé — qu’on fait semblant — que tout cela était prévu depuis belle lurette — que ça fait partie d’un plan — d’un planning — que ça doit respecter un timing — un plan de narration — mais revenons-en à la blague que Gugusse veut raconter à Loulou — oui écoute bien — en fait c’est une devinette — bon bah ok dis-moi –lui répond Loulou — ok — quand sait-on que l’on a la maladie de la vache folle — bon attends que je réfléchisse — non je ne vois pas — dis-moi — je donne ma langue au chat comme disent les enfants — et bien on sait que l’on a la maladie de la vache folle quand on chasse les mouches avec sa queue — oh Gugusse t’es pas croyable toi avec tes blagues — oui c’est vrai que ce Gugusse est un sacré numéro — vous a-t’on déjà raconté cette fois où il a caché sa b…. — non cette histoire n’a rien à faire sur l’Arche de Moinous — c’est une autre histoire qui a déjà été racontée par ailleurs — Tiens je vais t’en raconter une autre — dit Gugusse à Loulou — Pourquoi dit-on que la branlette rend sourd — je sais pas lui répond l’autre — eh bien parce qu’on est tout le temps à tendre l’oreille pour guetter que personne n’arrive — dis Loulou tu la connais celle du restaurant — t’es sûr de ne pas me l’avoir déjà racontée — bon elle est pas très fine — bon ok — plutôt que de raconter cette blague vaseuse — racontons la plaisanterie qu’a faite Gugusse — voilà — à l’époque de l’anecdote — Gugusse était un sacré numéro comme on l’a déjà dit — une amusette — il pouvait pas s’empêcher de déconner — même au boulot — il bossait alors dans un de ces restaurants — peut-on appeler restaurant ces snacks où les clients peuvent se servir par eux-mêmes — en self-service — ouais — vous savez ces boîtes automatiques où il est écrit en caractères capitales — INSERT COINS — et en échange desquelles on peut choper la bouffe qui y est emprisonnée derrière la vitre qui s’ouvre une fois la monnaie insérée — oh il y a le choix — on pourrait dresser la liste des plats mis à disposition dans ces machines — soit dit en passant — ce serait bien de préciser qu’on adore dresser des listes sur l’Arche de Moinous — Listes des culs imaginaires — Des culs ténébreux de Rembrandt aux Culs minuscules des miniaturistes — Listes de listes — la liste des nourritures réelles ou imaginaires — Listes de réponses improbables à des questions stupides ou tout aussi improbables — listes de bons ou mauvais jeux de mots –mais bon on s’égare — revenons-en à nos salades — sandwiches — bananes et tartes vendues dans ces self-service — tu te doutes bien que cette machine n’est pas complètement automatique — et que la bouffe se fabrique pas toute seule — oui tu te doutes qu’il y a un gars — it’s obvious — oui un gars bien réel — en chair et en os — caché derrière la machine — qui les fabrique ces merdes mises à disposition du grand public– eh bien dans notre histoire — ce gars c’était Gugusse — déguisé en cuisinier — catastrophe réelle cachée derrière cette réalité faussement automatique — oui Gugusse qui pouvait mater les gueules ou les décolletés des clients qui se penchaient pour récupérer leur déjeuner — eh bien un jour ce gugusse — ce phénomène — il lui vient comme ça — d’un coup — une idée — sans coup férir — une idée pas préméditée du tout — une drôle d’idée tout de même — en lieu et place d’un sandwich — Gugusse a placé dans l’une des boîtes son sexe en érection — si — si — c’est vrai — on te l’assure — vérité pur jus si on peut dire — et puis il a attendu — mais pas bien longtemps — car c’était la rush-hour — une pièce a dégringolé dans la fente en ding-eu-ling-eu-long — et une main se glisse aussitôt pour récupérer le sandwich — la main — par chance féminine — dis ça tombe bien pour Gugusse – hein — la main tâte le sandwich — hésite — et pousse un grand cri de panique — suivi de peu du rire tonitruant de Gugusse — on te raconte pas le scandale que ça a fait — t’imagines déjà la scène — et ce à une heure de grande affluence — Ah la sale blague — ah cette atmosphère de plaisanterie qui règne au sein de l’Arche — pas rare que l’un des résidents de l’Arche ne fasse pas une blague à un autre résident — ah ce que le rire peut rire du rire sur l’Arche —

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