Dans "Terminal Eurostar", qui fait suite à ses "Déclinaisons" et écho à Vivre et penser comme des porcs du regretté Gilles Châtelet (1998), nous retrouvons le regard caustique du GéoGrave sur notre société secturitaire et beaufbarbare…
La scène pourrait se dérouler n’importe où, malheureusement. Mais c’est Gare du Midi. Terminal Eurostar. Bruxelles. Quartier Saint-Gilles. 50°50’6.31"N/ 4°20’10.86"E. Tous les soirs.
Salle d’attente. Son et lumière de merde. Blanc trash, gris costumes, noires godasses. Les costumés défilent. Billets en main. Premier contrôle. Une salope de machine avale le billet qui gerbe cinquante centimètres plus loin. Croix rouge, rond vert. T’es rouge t’es mort, t’es vert tu passes. Tout de même un enfoiré de d’agent SNCB à côté de la machine. Il n’est pas là pour aider, il contrôle. Prend le billet des mains, demande la direction. Premier sas. Edulcoré. Simple uniforme service public. Gris jaune. Prénom sur le badge. Jos a l’air d’être sympa derrière ses lunettes modernes. London. No Lille. Deux mètres, puis le zigzag avant le contrôle fliquesque. Douanes belges. Habitués les navetteurs, fine bande de navets justement. Passent, coup d’œil automatique sur la Carte Nationale d’Identité, le Passeport. Douanier passe-porc, gros porcs suintants de travail important. Deux types de porcs. Les vieux, gras, chemise qui dépasse du pantalon de costume. Blafards. Les jeunes porcs. Plutôt bronzés lampe. Puent eux l’after-shave même à 19h après le boulot. La plupart sont habitués, London/Brussels, vive l’Europe. Les stars de l’Europe, Eurostarisées. Font du business, markettent, gèrent, vendent, achètent. Il existe une autre caste, moindre niveau, informaticiens, Commission européenne, importance plus basse. Dans la file, les porcs attendent. Nous attendons comme des porcs. Bêtement. Eux, en face derrière leur bureau, c’est l’identité et son contrôle. Mon identité change selon les jours. Regard fuyant, jean’s, baskets, classique, identité correcte. Regard direct, yeux dans les yeux, murmure « faites pas de zèle je passe tous les jours », identité incorrecte. Scan C.N.I. Manteau énorme, bonnet, identité incorrecte, « vous voulez me suivre s’il vous plaît ». Sans l’accent belge ce serait moins drôle. « Vidévopoch », etc. Couloir. Vingt mètres, le temps de ficher le fatras métallique clés, monnaie, le bling-bling classique dans le manteau qui lui passe avec le sac dans le scanner de sécurité. Porcs, nous passons sous le portique de sécurité. Autres agents. On passe du bleu/gris aux petits rouges, souvent flamands balèzes, rougeauds ou très costauds, agents de sécurité. Le crétin qui oublie sa ceinture est passé au détecteur manuel. Récupérer bordel pour refoutre dans les poches. Dernière épreuve. Douane anglaise. Ridicule. « Liwlle », disent-ils en souriant et sans vérifier le ticket. Oui. Ok, merci, cass’toi pôv con de french-man. C’est là que c’est long parfois. Frontière externalisée dit-on. C’est-à-dire que sur le territoire belge, les anglais font leur tri sélectif. Bronzés-suspects, on évite tout de suite qu’ils montent dans le rot-star. Sur le côté. Puis, grande salle d’attente. Rangées de sièges dirigés vers le fond, vers la sortie vers les quais. Là encore, bloqués comme des porcs. Attendre l’annonce en trois langues « L’embarquement à bord de l’Eurostar est ouvert ». Même gueule de porcs qui font l’aller-retour, tous les jours. Assis sur les mêmes sièges, tous les jours. Eux ont l’identité convenue, ils bossent. Des gens bien. Ca aïpod, podcast, fluîît avec les doigts sur les écrans tactiles, portables ultra-modernes qui semblent porter l’esprit des porcs. Au milieu de cette salle d’attente trône une sorte de caisse en pévécé transparent, destinée à récolter des fonds pour les pandas et les gosses malheureux (pour les pandas je ne me trompe pas, les gosses je doute, malheureux, handicapés, malades, les pandas sont plus marquants). Devrait y avoir un décompte pour que les porcs claquent leur fric pour les enfants. Billets de 50, 100, 500 !!!!! euros pour les pandas. Fuck off les pandas. Bouffez du bambou et arrêtez de nous faire chialer, vulgaires peluches. Un endroit qui aurait pu être salvateur, le bar. Mais à l’image du reste. Terne, esthétique Eurostarienne, la bière est Leffe, c’est triste à donner envie de boire l’eau des chiottes. Dans la salle, les porcs interagissent comme on dit. Se parlent, bougent, s’évitent. La modernité, c’est le porc qui ne porte plus sa valise, il n’utilise plus son corps, mais qui la traîne prenant deux fois et demie plus de place que d’habitude. Incapable de négocier les virages. Incapable de surmonter l’épreuve de l’escalator sans chavirer. 21ème siècle de merde. Il ne reste plus qu’à attendre l’ouverture de l’accès aux quais, s’affaler merdiquement sur son siège et dormir pour échapper à l’eurostarisation du monde.
Le porc (du latin porcus), qui se dit aussi cochon domestique (Sus scrofa domesticus) ou cochon des villes, est un mammifère domestique omnivore de la famille des porcins.