Un trou dans le monde de Lucien Suel, par P. Boisnard

Un trou dans le monde de Lucien Suel, par P. Boisnard

septembre 16, 2006
in Category: chroniques
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Lucien Suel, comme Ch’vavar, fait partie de ces poètes de la terre, de celle du nord et de la Picardie, de cette tradition de la pensée/corps qui s’imbrique au monde, au sol, aux éléments, à leur lourdeur : « mon âme chavire nue dans le courant permanent de la viande », et cette viande est celle qui gravite en aplat de campagne, se dresse à hauteur de terrils, traverse jardins ouvriers, car Suel, tout à la fois écrivain et jardinier le dit dans les Visions d’un jardin ordinaire (éditions du marais, 2000) réalisé en collaboration avec sa femme Josiane, photographe : « quotidiennement, longuement, souvent, le jardinier a pissé sur le compost ».

Ce trou dans le monde, cette présence trouante de soi dans le monde, est celle d’un témoignage d’être, de cette simplicité d’une existence qui loin de produire comme « les robots transformateurs en plastique, goldoraks de pacotille » devine à travers les éléments et le corps qui s’y mêle que « la vraie condition de notre existence est que l’univers soit en expansion ». Expansion qui se fait à partir d’un néant originaire, expansion qui se fait au travers de ces trouées de vie qui déchirent les vides : « au commencement était le trou dans le trou. Le vagin du néant ». Ce livre de Suel, reprend le même principe d’écriture que celui de Canal mémoire (édition Marais du Livre, 2004) : mélange, échange, tissage entre une prose riche en mots et rythmées et une poésie arithmogrammatique. D’ailleurs, les textes qui les constituent se croisent sur une même période de la fin des années 80 jusqu’à 2004, et répondent d’une même nécessité que celle marquée en 4ème de couverture de Canal Mémoire : « les textes proposés ici vont du récit personnel au pamphlet visant différents aspects de notre modernité ». Et déjà dans ce livre de 2004, la pensée du trou habitait l’écriture : « toute la douleur à venir s’entasse au fond des trous noirs ». Ainsi, Un trou dans le monde, explore la modernité, mais loin de tomber dans le nihilisme, qui est cependant mis en perspective, ce trou ouvre justement au-delà, dans le rapport entre ciel et terre qui s’effectue par le corps. L’une des particularités justement des poètes du nord, des poètes qui ont pu être défendus par Ivar Ch’vavar dans la revue Le jardin ouvrier, tient à une forme de transcendance qui s’effectue non pas à partir de l’envolée lyrique, légère, qui recherche l’élévation et les grands sentiments, mais une transcendance dans l’intime matière souffrante et qui jubile de sa finitude d’être : « dans la pénombre, embusqué derrière un sac de glandes prélevées dans la viande mammifère, le rescapé de mes suaves tentations veille pieusement les reliques dont je suis l’humoral tabernacle, Saint d’où sort le gras suint. L’angle de mes cuisses happe les phalanges des ordres sacrés. La vertèbre arrondit le dos. Le ventre ouvre la voie. Le boyau noir parle ». Le sacré n’est pas nié, il est posé à même l’existence et ses turpitudes : aussi bien folie, douleur, simplicité d’être mortel sur cette terre. »Chair se fait verbe en moi, entre nourriture et pourriture. »

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Philippe Boisnard

Co-fondateur de Libr-critique.com et administrateur du site. Publie en revue (JAVA, DOC(K)S, Fusees, Action Poetique, Talkie-Walkie ...). Fait de nombreuses lectures et performances videos/sonores. Vient de paraitre [+]decembre 2006 Anthologie aux editions bleu du ciel, sous la direction d'Henri Deluy. a paraitre : [+] mars 2007 : Pan Cake aux éditions Hermaphrodites.[roman] [+]mars 2007 : 22 avril, livre collectif, sous la direction d'Alain Jugnon, editions Le grand souffle [philosophie politique] [+]mai 2007 : c'est-à-dire, aux éditions L'ane qui butine [poesie] [+] juin 2007 : C.L.O.M (Joel Hubaut), aux éditions Le clou dans le fer [essai ethico-esthétique].

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