Jusqu’au 3 mars 2007, à la galerie Chappe (4, rue André Barsacq à Paris – 18e), empressez-vous d’aller découvrir une partie du trés beau et étrange travail de Magali Daniaux et Cédric Pigot ou LO MOTH ou Timothy Schulz et Bruno Leary, artistes au-delà des genres et des disciplines, qui développent depuis 2002 le projet « Drohobycz », une fiction enigmatique et expérimentale, au sens où elle se veut être une véritable expèrience et expérimentation mentale, sensorielle, mystique. Cet univers narratif et poétique, entre « ExistenZ », Bilal, Tarkoski, ou Bruno Schulz, est un espace matériel et immatériel, ouvert et mouvant, qui se déploie à travers le dessin, le son, la sculpture, l’installation, la vidéo, le web (Lo Moth), la poésie (cf. texte-supplément dans la revue Talkie-Walkie) …
« Alors parmi cette armée baisera le nécrophorus », derrrière cette sentence bizarre, on découvre tout d’abord un oppressant « murmure » (nom de l’insatallation) : une pièce remplie de 300 monochromes noirs de 20 x 20 cm, sur chacun, des petites incisions régulières qui semblent établir un code, former une sorte d’écriture au sens caché. Qu’est-ce que ces incisions, dont la rythmique a été tirée aux dés par les auteurs, dessinent-elles sur cette surface murale en jeu d’échec ? Ont-elles une signification ésotérique, ou ne sont-elles que des interstices de lumière, perçant l’opacité noire, qui laisseraient à peine échapper un souffle ? Les interprétations peuvent être nombreuses, et ce travail radical et austère, qui pourrait sembler proche de l’art conceptuel, excite l’imagination, procure un intense ressenti, un inquiétant effet vibratoire se dégage de cet ensemble noir et produit même une sorte de malaise, sensations rares en art contemporain, qui considère trop souvent avec défiance ce qui touche à l’imaginaire et à l’émotionnel. En effet, il y a dans les pièces de Pigot et Daniaux une prégnance de la matière, et un jeu sur l’ambiguité et avec le spectateur, entre envoûtement et répulsion, immersion et étrangeté, ils nous poussent à des seuils-limites de la perception et de la compréhension rationnelle. Surtout lorsque l’on rentre dans la seconde pièce et qu’au milieu d’une odeur doucereuse et animale (parfum crée par les artistes), on trouve plantées dans un bloc cristal de sel des chaînes et deux poignets de cuir, bijou-sculpture pour une torture jouissive ? rocher de Sysiphe pour un érotisme du supplice ? là encore un magnétisme puissant empli l’atmosphère, habité par sept dessins de Cédric Pigot, indescriptible magma organique et machinique, et que je ne définirais pas plus, il faut aller les voir …
Mais au-delà de la force plastique de ces travaux, c’est la façon dont Pigot et Daniaux construisent et décontruisent cet espace fictionnel « Drohobyzc » qui est fascinant, comment ils réunissent, en archéologues du futur, indices et hypothèses de cette histoire utopique et cauchemardesque. Ils nous en présentent ici seulement des traces, des fragments, et nous invitent à participer en construisant aussi nous-mêmes ce que pourrait être une expérience …
Lire le texte de présentation de l’exposition, écrit par Philippe Boisnard