[Chronique] Christophe Stolowicki, Baudelaire critique

juin 9, 2020
in Category: chronique, UNE
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[Chronique] Christophe Stolowicki, Baudelaire critique

On ne relit pas Les Fleurs du mal ni Le Spleen de Paris, on les compulse seulement, et souvent, pour vérifier à la virgule près si ce qui s’est inscrit en nous et remonte à la moindre capillarité n’a pas été déformé par les ans et l’usage, et l’appropriation. Mais on peut relire d’affilée Les Paradis artificiels, ou Mon Cœur mis à nu, Pauvre Belgique, des Fuséesoubliées, et picorer dans les textes critiques d’un qui, et pour cause, « tutoyait le génie », comme a le modeste courage de l’écrire Hervé Falcou, son présentateur d’une édition de poche intitulée L’art romantique (1964).

Qui tutoyait d’un plain-pied de politesse de moindres génies, avec cette simple familiarité que n’a pas Nietzsche qui les surplombe de plus haut, toujours plus haut, de grotte en pic s’élevant avec ses seuls animaux héraldiques.

Il suffisait à Baudelaire de frotter la lampe pour qu’ils apparaissent – animaux de blason plutôt que djinns.

Avec une bonne pensée pour l’un de ses confrères en journalisme dont « le piétisme n’avait pas encore rogné les griffes [ni] les feuilles bigotes ouvert leurs bienheureux éteignoirs », parfait, en tout parfait, jusque dans les plus brèves notules, et l’insolence trempée dans le lait d’airain d’acier (Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques, / Et des parcelles d’or ainsi qu’un sable fin / Étoilent vaguement leurs prunelles mystiques).

Ou échotier rapportant Comment on paie ses dettes quand on a du génie – « l’anecdote [lui] a été contée avec prières de n’en parler à personne ; c’est pour cela [qu’il veut] la raconter à tout le monde ». À « sa large bouche moins distendue et moins lippue qu’à l’ordinaire » ornant « la plus forte tête commerciale et littéraire du XIXè siècle », on reconnaît aussitôt le commissaire Maigret de ce temps de duchesses et de crocheteurs sublimes se vautrant dans le Rubempré, « gros enfant bouffi de génie et de vanité ». Honorant cet honoré bourgeois des lettres, comme par nous autres un quelconque Houellebecq, de l’épithète épitaphe de « grand poète ».

On lit sourdre in petto plus d’esprit qu’il n’est déployé en répliques de table d’artistes de la langue festoyant de bons mots, de discours en dit court, entre les bouquets d’écrevisses et le rôt, toujours oiseuses pour le lecteur contemporain parce que les pointes s’en sont émoussées – par Balzac le susnommé poète ou l’antipoète Flaubert.

Ou prodigue de railleurs conseils aux jeunes littérateurs pour lesquels je donnerais toutes les prétentieuses niaiseries rilkiennes : « un succès est, dans une proportion arithmétique ou géométrique, suivant la force de l’écrivain, le résultat des succès antérieurs, souvent invisibles à l’œil nu. Il y a lente agrégation de succès moléculaires ; mais de générations miraculeuses et spontanées, jamais. / Ceux qui disent : J’ai du guignon, sont ceux qui n’ont pas encore eu assez de succès et qui l’ignorent ». Écrit fraternellement par « une Warens au cœur intelligent et bon », avec une verve de contrepoint de son propre guignon (Pour soulever un poids si lourd, / Sisyphe, il faudrait ton courage ! / Bien qu’on ait du cœur à l’ouvrage, / L’Art est long et le Temps est court. […] // – Maint joyau dort enseveli / Dans les ténèbres et l’oubli, / Bien loin des pioches et des sondes ; // Mainte fleur épanche à regret / Son parfum doux comme un secret / Dans les solitudes profondes).

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