[Chronique] Christophe Stolowicki, Le Parfait Honnête Homme

juillet 17, 2020
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[Chronique] Christophe Stolowicki, Le Parfait Honnête Homme

« L’extrême plaisir que nous prenons à parler de nous-mêmes doit nous faire craindre de n’en donner guère à ceux qui nous écoutent. » S’il n’était aussi poli – d’éducation aristocratique et comme une galerie des glaces – La Rochefoucauld eût fait un excellent psychanalyste, bien taiseux.

Poli et repoli, tourné et retourné sur la grille de décodage d’une vie, aussi intérieure qu’illustre – hors métier, hors ouvrage incompatibles avec la noblesse.

« Les personnes foibles ne peuvent être sincères. » Sur une aussi brève évidence, œuf d’oiseau roc plutôt que pavé dans la mare contemporaine, que de gloses superflues signées Nietzsche.

Hormis les coups redoublés dont il accable à plaisir l’amour-propre et dont la redondance peut déplaire, il est parfait, autant grand seigneur d’esprit que de naissance et de fortune, une douceur acquise et son grand classicisme le gardant d’abuser de la concision et le préservant de tournures abruptes. Il est ce vrai grand seigneur que n’est pas Saint-Simon dont la prétention ducale, le projet de sa vie d’étudier les rangs me détournent de m’enducailler. 

« Louer les princes de la vertu qu’ils n’ont pas, c’est leur dire impunément des injures. » Où le frondeur qui a défié Mazarin et y a perdu un château, rasé de fond en comble (il l’a fait reconstruire), balance de son arbre à lettres un trait vengeur. On comprend mieux que Sade préfère le second rang au premier.

Maximes, réflexions, sentences peu sentencieuses, nulle aporie ni paradoxe, rien qui n’aiguise ni n’épointe la pensée, mais un âge d’or de la mesure, où l’υβρις est une inconvenance de fond plutôt que ce que dénonce le proverbe quos vult Jupiter perdere dementat. Brèves, d’expérience assourdie. – La plupart des contemporains qui s’essaient à l’aphorisme sont ridicules ou exaspérants de suffisance.

« Il arrive quelquefois des accidents dans la vie d’où il faut être un peu fou pour se bien tirer » – la notion d’inconscient soufflée par Freud en enjambant les siècles.

« Il y a des gens destinés à être sots qui ne font pas seulement des sottises par leur choix mais que la fortune contraint d’en faire. » A-t-il de la chance ? demandait d’un officier Napoléon.

« Presque tout le monde prend plaisir à s’acquitter de petites obligations, beaucoup de gens ont de la reconnaissance pour les médiocres [moyennes], mais il n’y a quasi personne qui n’ait de l’ingratitude pour les grandes. » Sade n’a rien inventé, qui fait de l’ingratitude vertu.

« Il est aussi honnête d’être glorieux avec soi-même qu’il est ridicule de l’être avec les autres » : une éthique lui tenant avantageusement lieu de morale et dispensant de se tenir prétentieusement par delà le bien et le mal ; celle de Montaigne, de Marc-Aurèle, ce que l’on se doit à soi-même d’abord.

« C’est être véritablement honnête que de vouloir être toujours exposé à la vue des honnêtes gens. » Marc-Aurèle lui aussi prenait soin de ne pas se dérober à ses obligations sociales.  Mais La Rochefoucauld a fini seul, jouant aux cartes avec son valet.

Ou la maison de verre d’André Breton, mais aristocratique.

Oui, le parfait honnête homme, par qui tout est dit en si peu de mots, tous d’intelligibilité facile, de vocabulaire plus succinct que Racine. Transparaît dans son honnêteté le goût de la conversation avec des femmes d’esprit. Pascal qui pourrait lui en disputer la palme, Pascal qui n’a rien vécu mais dont l’intelligence plus universelle embrasse les chiffres et les lettres – comparé à La Rochefoucauld se pique trop de bien écrire.

Quel dommage que dans sa débauche d’antiphrases d’un romantisme flamboyant chevelé, Isidore Ducasse, ne lui empruntant que trois petits coups de griffe, lui ait préféré Vauvenargues et Pascal.

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