[Chronique] Le narrateur perfide (à propos de Mathias Lair, Aucune histoire, jamais), par Jean-Paul Gavard-Perret

mars 19, 2021
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[Chronique] Le narrateur perfide (à propos de Mathias Lair, Aucune histoire, jamais), par Jean-Paul Gavard-Perret

Mathias Lair, Aucune histoire, jamais, Les éditions Sans Escale, 2021, 166 pages, 13 €, ISBN : 978-2-95643-049-0.

Mathias Lair a choisi un narrateur idéal (nul en effet n’est jamais mieux servi que par soi-même). Non seulement il devient le contradicteur obligé mais satisfait du « Vieux » (pas n’importe lequel) mais il permet de faire bouillir la machine romanesque selon des circuits aussi intégrés que déphasés.

Dans de telles histoires sans histoire ou en cent histoires (à vue de nez) qui n’en seraient pas, le « Vieux » possède un rôle majeur. Sparring-partner il devient le dindon d’une farce qui qui à mal autant la psychanalyse que le roman.

Un tel coup double est parfait. En un fantastique retour de langue et de la fiction, Lair engage et propose un « dialogue » entre deux zigomars qui sont – chacun à leur manière – de fieffés menteurs. Le narrateur, énivré d’histoires qui en principe n’en sont pas, espère « châtrer de partout » et laisser K.O. « sans descendance et sans voix » son contradicteur.

Si bien qu’une telle fiction interroge le roman comme la cure psychanalytique dans ce qui s’impose par l’échange des deux lascars dont le dialogue n’est pas toujours amène. Chacun estime ce dialogue provisoire et qu’ils ne s’y croisent jamais deux fois au même point. Voire…  Mais cela permet au discours de se poursuivre. Des questions s’élargissent. Elles-mêmes ouvrent la fiction et la cure à l’épreuve du temps.

Le narrateur au soliloque préfère le duo ou le duel dans un dialogue particulier au nom de « L’Echange » cher à Claudel au moment où autour des deux auteurs le silence devient le plus profond. Mais ce qui ne les empêche pas de poursuivre d’autant que « jamais aucune histoire n’aurait convenu ». Mais le mal est fait au grand profit du lecteur. L’objet fiction donne au roman une autre manière d’être vécue dans cette marche commune dont la communication restera douteuse.

Mais c’est par le deux que le un progresse et que sa fiction avance, même si l’auteur fait figure de traîner les pieds. Même si l’histoire se disperse en fragments. Dès lors, que pourrait-on reprocher à l’auteur ? Tout semble prêcher en sa faveur.  Ce n’est pas de sa faute s’il doit travestir la fiction et faire porter une perruque à la réalité de son entretien avec ce « vieux » plus roué que sage mais qui finit par rester sans voix.

Le narrateur lui aussi semble avoir perdu la partie puisque son « personnage retourne d’où il ne vient pas ». Mais la chose est entendue. L’entendant est roulé dans la farine et le parlant aura fait le ménage dans ce dérangement où la fiction est bien moins avare et obstruée que Lair veut nous le faire penser.

Reprenant en filigrane la fameuse formule de Lacan « Là où ça parle, ça jouit, et ça sait rien », le romancier prouve que si parler au « vieux » est un martyr, écrire leur aventure n’a rien d’une radicale ascèse. Peu ou prou la partie de plaisir n’est jamais loin et elle offre au roman un moyen de sortir d’une expérience mélancolique au moment où son porte-voix plutôt que de s’ouvrir à perte-pied sur la rumeur de l’inconscient, pulvérise les histoires quelle qu’en soit la nature.

Voilà ce sur quoi l’auteur appuie sa morale – si morale il y a. La fiction quoique pas vraiment hédoniste – voire un tant soit peu masochiste – crée une ligne de vie tendue par l’exigence d’un gai savoir lucide qui fait tomber au fur et à mesure bien des illusions qui nous habitent tant sur le plan littéraire, affectif, idéologique, épistémologique et psychanalytique, là où jaillit le seul hubris possible, celui de la liberté.

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Jean-Paul Gavard-Perret

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