En parallèle à la publication sur Libr-critique de quelques-uns de ses collages poétiques, nous avons fait un petit entretien avec Cécile Richard afin de percevoir les enjeux de sa pratique.
Philippe Boisnard : Comment t’est venue l’idée ou la nécessité de composer des poésies par collage, des poésies cut’up ? Depuis quand crées-tu ces formes, puisque tu publies sur Facebook, des poèmes cut-up qui datent des années 2000 ?
Cécile Richard : Au moment des premiers collages type cut-up, j’étais à la fois attirée par l’expérience et éprouvée par l’impression de « manquer de mots », ce défaut de langue me poussait alors à aller chercher celle des autres et à la remanier par montages pour retrouver la mienne et la revisiter. Je viens des arts plastiques et j’ai aussi une grande appétence pour les manipulations. Ainsi je conciliais les deux.
Plus récemment, c’est le premier confinement qui a réactivé ce « défaut de langue », tout était commenté, tout le monde avait son avis, et les nombreuses injonctions contradictoires annulaient tout discours, la langue courante et médiatique semblaient encore plus vidée de sens qu’avant cette crise, en fait c’était aussi à la mesure du choc et de la sidération, je n’avais rien de plus à dire ! J’ai alors commencé la série avec les adverbes auxquels je dissociais la dernière syllabe « Ment », cela s’est imposé !
PB : Tu emploies le mot cut up, comment te situes-tu par rapport à Gysin ou Burroughs ? Y a-t-il pour toi une forme de continuité ?
CR : Il me plait d’employer ce terme à la fois pour le clin d’œil historique et ce qu’il qualifie au sens propre. A la fin des années 50, désacraliser ainsi le livre était lourd de sens, un geste subversif, c’est certainement moins le cas aujourd’hui mais ça raisonne tout de même pour moi. De fait, je prélève directement dans les livres.
Depuis Gysin et Burroughs il y a tant de pratiques de collages ou emprunts, et autres «pillages», c’est très usité en poésie, à la différence des premières expériences des deux protagonistes, je n’en fais pas des livres, des publications mais des objets plastiques.
Cependant dans mes projets d’écriture destinés à la publication, je pratique le montage de textes existants ou paroles (notamment radiophoniques), c’était en partie le cas pour Madame Nane publié chez Dernier Télégramme en 2019 et dans un chantier en cours.
Les filiations sont nombreuses si l’on veut en chercher, le travail de Michèle Métail m’intéresse beaucoup, en ce qu’il fouille et dissèque la langue institutionnelle, familière ou technique.
PB : S’il y a une évidente recherche de sens dans ces créations, ce qui se remarque tout de suite, c’est la recherche d’espace, de constituer une dimension esthétique spatiale. Comment envisages-tu cela ? Est-ce que c’est la même approche qui détermine des installations comme « Poésie à bras le corps » à Brie Comte Robert ?
CR : Bien sûr la dimension spatiale est importante, même si je ne suis pas dans la lignée des spatialistes ; en lecture-action et installation, je fais de plus en plus avec l’espace et pour l’espace ; dans le cadre du collage, il en est de même dans la page. Je pense à la circulation du regard comme à celle du corps.
A Brie Comte Robert, confrontée à un espace de plus de 10 mètres de hauteur (Hôtel Dieu) je ne pouvais ignorer cette contrainte et je me sentais en même temps écrasée, j’ai donc choisi de l’utiliser en écrivant sur place et au pinceau un texte sur un papier de 10 mètres, éprouvant ainsi mon corps sur le support et dans l’espace, le grand papier fut ensuite érigé.
Dans le collage type cut-up, ma matière étant celle des livres, je recherche de préférence des ouvrages à gros caractères, mais ma proposition est tout de même déterminée par la dimension des mots imprimés et s’inscrit ainsi dans l’espace de la page, une échelle donc proche de celle du livre.
PB : Mais aussi, de 2007 au feu du Lac de 2021, s’inscrit dans tes créations l’insistance de la répétition. Comment conçois-tu cela ? En quel sens la répétition, la combinatoire constitue dans le sens une forme de pression de la langue sur la conscience ?
CR : La répétition au départ apparaît comme scansion. Dans les derniers collages depuis 2020, elle vient marteler la langue et rappeler parfois les injonctions langagières que j’évoquais plus haut, celles qui nous sont si violentes, ceci dit je ne prétends pas exercer quelques « pressions sur les consciences » mais plutôt révéler les procédés qui sont à l’œuvre et jouer avec. Une série en cours que j’intitule « Impératif » met clairement ça en exergue. La combinatoire comme multiplication des sens de lecture m’intéresse beaucoup, et si elle paraît simple dans sa facture, c’est parfois ardu à articuler visuellement !
Je tiens à rajouter que lorsque je cherche certains mots dans un livre pour concevoir un poème cut-up, si je cherche des infinitifs, je vais traverser le livre avec les infinitifs, s’il s’agit d’adverbes ou d’impératifs, je n’en aurai pas la même lecture, j’ai lu ainsi le Dernier des Mohicans de Fenimore Cooper plusieurs fois avec différentes entrées et ce n’est jamais le même livre !