Guillaume Basquin, L’Histoire splendide, éditions Tinbad, coll. « Chant », 2022, 344 pages, 23 €, ISBN : 979-10-96415-43-4.
Dans diverses compositions phoniques et phonétiques mais où le sens est la seule marche à suivre, Guillaume Basquin rappelle que la parole – comme une robe – est inséparable de son contexte, du corps qu’elle contient. Mais comme elle habille ce corps jusqu’à le transformer.
Et ce dès la première partie du texte ; « Au commencement » possède les accents et la verve du Paradis de Sollers. Pour certains, cela peut paraître superfétatoire, mais l’auteur de ces lignes y voit une ambition – voire plus. L’auteur dans sa verve et dans l’écheveau des strates du livre, évacue, fait hygiène.
Contre la loi des grands nombres de la rationalité un impensé y perdure au sein de signes qui sortent de leurs gonds. Face à une tradition basée sur une sémiotique de l’être se confondant avec son dire, Basquin montre comment le langage fait pression quand il n’est juste qu’un « pour faire en sorte que ».
L’injonction que propose l’auteur ne semble demander, ni acquiescement ni réfutation. Elle devient au besoin la volontaire « exagération du mal » pour qu’il sue, voire rende l’âme, au sein des fragments de celui qui se présente comme « un faiseur de notes invétéré » et « Roi livre » qui par les marges qu’il ouvre devient une sorte de mise au tombeau de bien des écritures pré-formatées.
Chaque partie suscite l’énigme. La verbalisation n’y est que pour une part un acte de foi. Car au « J’ai cru et j’ai parlé » de Saint-Paul (Seconde lettre aux Corinthiens), Basquin sait que passé un certain point « il n’y a que la rigolade et le cimetière ». Si bien que l’action de parler, si elle semble s’adresser à quelqu’un, demeure une articulation intransitive. En effet plus que parler à l’autre, soudain « lalangue » chère à Lacan feint de parler aux anges là où la patience et le calme jouxtent la colère et une absence de clémence à ceux qui nous ont fourvoyés depuis quarante siècles et ce jusqu’à la pandémie. Ce qui fait une éternité.
L’auteur rappelle que chercher à savoir ce que parler veut dire fait est l’essence de l’écriture. Pour autant beaucoup par peur ou politesse du rituel ou d’autres fonctions relationnelles ou sécurisantes feignent d’enregistrer ce qui est, et ce, dans le simple objectif de montrer des « situations » comme le fit Sartre en son temps – et il n’est pas le seul.
Guillaume Basquin prétend à mieux : à la parole dans la parole. Et au besoin le contenu verbal peut se trouver démenti au direct de son énonciation. Mais l’auteur ne se prétend en rien un de ces prêcheurs qui dans un dîner de têtes ou de cons s’éprend tellement de ce qu’il dit et qu’il estime si délicieux, que les autres mangent tandis que son assiette pleine restera intouchée.
Dans un tel corpus-monde se pose le problème du langage en tant que séparation, distance et interruption du monde tel qu’il est donné à lire. Dans leur pivotement les chapitres du livre expriment de l’inédit. C’est pourquoi parler est un procès qui se conjugue dans un futur toujours inaccompli (comme le prouve la fin du chapitre 5).
C’est un passage limite entre une impossibilité de parler et en même temps sa pressante nécessité. Face à la parole assoupie dans ce qui n’est pas encore dit, reste une urgence. L’ultime recours est de l’animer et de la déployer dans la souveraineté du je-parle-pas-encore : » Parole qu’il faut répéter avant de l’avoir entendue » , comme disait Blanchot.
Cela appelle à la veille incessante que l’auteur déploie dans cette masse en fragments. Dès lors, penser chez Basquin connaît un bouleversement ; bien des concepts se trouvent renversés en leur contraire : la communication est l’incommunicable, la communauté une absence de communauté et la parole sa propre négativité. Autrement dit une radicalité est en mouvement.