[Chronique] Isabelle Lévesque, Je souffle, et rien, par CHRISTOPHE STOLOWICKI

[Chronique] Isabelle Lévesque, Je souffle, et rien, par CHRISTOPHE STOLOWICKI

août 16, 2022
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Chronique] Isabelle Lévesque, Je souffle, et rien, par CHRISTOPHE STOLOWICKI

Isabelle Lévesque, Je souffle, et rien, peintures de Fabrice Rebeyrolle, postface de Jean-Marc Sourdillon, L’herbe qui tremble, 2è trimestre 2022, 150 pages, 18 €, ISBN : 978-2-491462-20-8.

 

Qu’est-ce qui distingue un(e) authentique poète ? Le phrasé, une musique intérieure reconnaissable entre tous, la relation à la langue ? C’est peu sans l’infusion d’une vie dans l’œuvre. Chez Isabelle Lévesque le codage étire ses longs fils d’enfant sage folle au revers déguisé de ses rêves, plongeant en Seine ses antennes. Toutes les petites énigmes insolubles dont est semé ce livre sont les secrets d’enfance codés, chiffrés, d’une poète qui en notre temps de mondialisation et de poésie-spectacle, vit toujours dans sa petite ville natale, Les Andelys, dont d’une falaise sur Seine, « pente de craie aux marches devinées, / clavier du vide », la vue est intérieure, intériorisée, la vision plus enfantine encore d’être adulte, réfléchie, concise, mise « l’âme en scène où tu ravis la mise // des noyés du fleuve », d’un « poème enfanté par le fleuve. » « En bas la Seine, en bas le vide / accomode au méandre / sa destinée plurielle. »

Je souffle, et rien. Acquis un temps retrouvé, un livre de deuil à l’âge de La fugitive lutte contre l’oubli dont s’avive le chagrin. Avec rudesse, rigueur, lucidité, concision : « Stratège, j’évalue les chances » ; ou « Force / engloutie dans l’eau douce des rigoles du présent » ; ou « Tu t’éloignes / et je cours, je sais que tu vas plus vite. / Le paysage s’est accru avant de disparaître. » Avec toute l’intensité lapidaire du vécu : « Ne t’encombre pas de la nuit » ; ou « Ton ombre m’amenuise encore » ; ou « Tu n’as pas quitté la périphérie du temps qui court » ; ou « nous sommes / les laissés pour compte d’une histoire interrompue », qui « feuilletons ce qui n’existe plus / déjà. // (La falaise a dépassé mon enfance.) »

« Tu marches sur les nuages / d’une pluie qui n’est plus. » À hauteur, à étiage de nuages et de rêve. De plain-pied avec le rêve réparateur.

Accomplissant en solitaire intempestive (un temps paix, estive, un temps estran) ce travail quand la psychanalyse n’est qu’un jeu de dupes – à grand avers de poésie, de vers en prose (ici les vers ont gardé toute la ponctuation de la prose, virgulent et pointent au final), de brèves en longues, de rejets en enjambements Isabelle Lévesque délie une langue, en images denses d’une traque.

Comme dans le rêve, les mots souvent à prendre par antiphrase, à contre-allée, en inversion (« Tu es seul, je vis perdue »), en paronomase (« Falaise ! » pour fadaise).

« Le vide / entoure notre falaise, / la roche tendre de l’appel / multiplié de ta voix défaite. » Ou « la lettre précipitée / du haut de la falaise / creuse un sillon / profond » – la lettre ? Ou « Je recompose / le passage secret où te trouver. / Je l’appelle “coquelicot” (encore un mot codé, récurrent). » Ou « Je tombe, je frissonne, j’ai vu la Seine / au plus fort de février, j’ai chu. » Falaise percée de galeries crayeuses, friables, fiables à qui la mort, l’âme hors tient lieu de vie. Où de tous ses nombres (« La falaise / en 28 points secrets / s’effondre ») s’est chiffrée, préservée l’enfance. Dont le fa lèse (si peu), dièse de tous les bémols, d’un bécarre ce qui se carre en lucidité dans l’ondoiement, dans la matière (peu) liquide des poèmes. Dans une « cavalcade à cri nu ».

Y répondent les falaises tout en strates de Fabrice Rebeyrolle, mer intérieure, montagne interne, peintures abstraites parcourues de concrétions, la violence de l’expressionnisme abstrait de Jackson Pollock intériorisée, réfléchie, assourdie. Dans l’étagement sombre surnagent des bribes de couleur.

Est-il besoin de préciser qu’Isabelle Lévesque est une grande lectrice de poètes qu’elle commente sur plusieurs sites, revues, journal. L’acuité critique transperce, bouleverse, rend bouleversante à balles réelles sa poésie.

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