[Chronique] Perrine Le Querrec, Warglyphes, par Fabrice Thumerel

[Chronique] Perrine Le Querrec, Warglyphes, par Fabrice Thumerel

janvier 11, 2023
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Chronique] Perrine Le Querrec, Warglyphes, par Fabrice Thumerel

Perrine LE QUERREC, Warglyphes, éditions Doucey, coll. « Soleil noir », en librairie depuis le 6 janvier 2023, 84 pages, 14 €, ISBN : 978-2-36229-436-5.

 

Présentation éditoriale

« Cette guerre comment l’écrire ? » Les mots par lesquels s’ouvre Warglyphes en disent long sur les intentions de Perrine Le Querrec. Face à la sidération dans laquelle nous plonge la guerre, face aux silences de l’Histoire et à la tentation de l’oubli, l’écrivaine tente de décoder le langage de la guerre. Elle analyse sa grammaire, scrute ses manifestations, inventorie ses formes, parcourt son atlas, et déchiffre une partition que la folie meurtrière des hommes interprète avec d’infinies variations. Si les décors et les acteurs changent, le scénario de cette tragédie constamment répétée est presque toujours le même : agression, chaos, exil, ruines, reconstruction. Et l’on sent, parcourant ces pages, qu’il est illusoire de vouloir changer le monde si l’on se montre incapable de le comprendre. Un livre nécessaire à notre temps.

 

Note de lecture / Fabrice Thumerel/

Décomposer la moralité
Décomposer les corps
Compte les jours
C’est la guerre.

Warglyphes : Les multiples représentations de la guerre, ses traits les plus divers. La guerre, cette « grande lessive » : « Rue de la mort le linge brûle sur les fils »… Mais « cette guerre comment l’écrire ? » En faisant parler les langues de la guerre :

La langue des tranchées la langues des planques la langue de la résistance la langue de la collaboration la langue du crime la langue des morts la langue des tortures la langue inconnue la langue de la fuite la langue du combat la langue du repli la langue d’espion la langue des traîtres la langue des pourparlers la langue des feux la langue défaite la langue de la victoire la langue de l’autorité la langue de l’obéissance la langue barbelée la langue des conspirations la langue du plan la langue des corvées la langue imposée la langue détournée la langue interdite la langue nouvelle la langue morte la langue murmurée la langue codée la langue exploitée la langue lamentée la langue de la faim la langue perdue la langue crachée la langue des lendemains la langue des ancêtres la langue à l’assaut la langue mitraillée la langue des mensonges la langue des promesses la langue de l’expérience la langue témoin la langue du repli la langue intime la langue populaire la langue de la peur la langue pute la langue servile la langue dominante la langue dominée la langue massacrée la langue de circonstance la langue du terrain la langue nue la dernière langue la langue tranchée

Perrine Le Querrec recourt à ce que l’on pourrait appeler des Agencements Répétitifs Névralgiques (ARN) pour évoquer le fléau de la guerre dans tous ses éclats. Laquelle évocation est polyfocalisée et polymodalisée. Les angles d’approche sont variés, avant tout cinématographique (« L’œil de la caméra ») – avec le vocabulaire adéquat (panoramique, travelling, gros plan, etc.) –, et même mathématique à plusieurs reprises, comme dans cet extrait qui porte sur un tireur d’élite :

Tireur vertical
À l’à-pic l’ennemi
Pions de chair […]
Pauvre peau
De rien du tout
Cadavre flotte à la surface
Distance éloignée

Le texte excelle à passer d’une personne grammaticale à l’autre, et même à l’impersonnel « on », à mêler le narratif au descriptif, le pathétique au tragique ou au satirique, à lister les faits de guerre afin de construire l’archéologie de ce fléau. Parfois le flash se fait vision apocalyptique : « Pluie d’hommes sur ciel rouge / Il ne reste que des dents / le sol jonché d’ivoire ».

Perrine Le Querrec, dont les précédents livres ont été remarqués, a mis six ans pour élaborer cette « archéologie de la guerre », cette polyphonie/polygraphie/polychromie de la guerre, explorant de nombreuses archives audiovisuelles.
En ces temps troublés, on peut se réjouir que ce travail à visée universelle puisse bénéficier d’une édition aussi soignée que d’habitude.

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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1 comment

  1. Minière
    Reply

    Belle tentative (et tentation). Merci, Fabrice Thumerel : je place ce livre à côté de LE CIEL DU CIEL.

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