C’est à La Guillotine, salle underground de la bien nommée rue Robespierre, à Montreuil, que j’ai découvert Tristan Felix, sur scène / en scène. Elle y donnait un spectacle très représentatif de son art (mais je ne la savais pas encore), Enfantômes 2 : seule sur scène, elle fait tout, règle tout — la régie, le son, même l’éclairage, de façon artisanale, par commande parlée au directeur de la salle. Elle écrit ses propres textes, qui sont de la haute poésie — tous ! (Y’a qu’à lire… Allez-y voir par vous-même si vous ne voulez pas me croire !) Elle trouve elle-même (ou les fabrique, s’ils viennent à manquer) les outils/ustensiles de son petit théâtre d’objets. Elle illustre certains de ses recueils de ses propres dessins qu’elle qualifie elle-même de médiumniques (dans le sens où c’est plus la rêverie que l’œil albertien qui décide du trait), d’autres de ses propres photographies. Elle est à la fois scribe et dessinatrice. Ses recueils sont comme des hiéroglyphes égyptiens : on ne peut se passer ni du texte inscrit ni du dessin tracé.
Elle a même refait le Livre des morts — pour les animaux, cette fois : À l’ombre des animaux (éd. l’Arbre, 2006), livre composé en véritable typographie — dernière trace (analogique) de la souffrance des protes. Parfois, elle fait appel à un artiste extérieur (comme Donat Charabot dans un manuscrit encore inédit, En pays d’om et d’âme) ; ou bien elle collabore avec un autre poète (Maurice Mourier dans Bruts de volière, éd. L’improviste, 2015), ou avec une jeune fille de 13 ans pour des dessins à 2 x 1 main mis en regard sur les planches d’un (beau) livre qui lui a pris quatre années de composition (Volée de Plumes, avec Gabrielle B. Peslier, éd. L’Atelier de l’Agneau, 2013). C’est Christophe Esnault qui, le premier, m’a mis sur les traces de cette artiste dont le trait lui faisait penser à Unica Zürn : qu’il en soit ici remercié. Unica Zürn ? Voyons ça : voici une reproduction de l’un de ses dessins.
C’est indéniable. Ce dire est (dé)montré.
Dire que l’art de Tristan Felix est un théâtre de la cruauté ; mais une cruauté tournée essentiellement contre elle-même performeuse, tellement elle se donne au public (auquel elle dit pourtant ne pas penser du tout quand elle imagine et compose ses « spectacles »). Son art est un don. Don de soi. Sortie hors du moi : tout sauf de l’autofiction, cette tarte à la crème de la littérature contente pour rien. Extase, du grec ecclésiastique extasis, « action d’être hors de soi ». Consumation de l’acteur dans sa confrontation aux spectateurs. Art de la dépense. (Elle m’a dit beaucoup admirer Edith Piaf et Jacques Brel pour cette raison-là même.) Et puis : renaissance, résurrection — chaque matin que Dieu fait. Tristan Felix ne peut pas perdre une seule matinée chez les muses car sa poésie coule toute seule, elle me l’a dit. Comme les larmes (ou le sang ?) de certains saints.
De la cruauté ? de l’amour ! des humeurs.
J’ai dit que Tristan Felix était cruelle (vis-à-vis d’elle-même, en étant à la fois clown et poète) ; pourtant personne n’est plus chaleureux qu’elle, et ce au premier contact. Tristan Felix est humaine, ô trop humaine ! Elle n’est marionnette (manipulée par elle-même) ou clown que pendant ses performances. Le reste du temps, elle est scribe, ou bien elle enseigne (autre forme du don), et même elle anime une revue, La Passe (en pause pour le moment, mais une renaissance via Radio Libertaire est envisagée — tout bouge — rien n’est gelé — nous sommes ici dans l’Art, pas dans la culture) : quel nom ! Passe. Passer : la parole aux autres (parfois de simples hétéronymes) poètes / entre image et texte. Passages de l’image… Elle ne s’interdit rien ; d’ailleurs son site Internet nous prévient qu’il est un chantier « interdit au concept »… Entrée des médiums !
J’allais oublier de dire que Tristan Felix semble parler toutes les langues, et même celle des oiseaux et autres volatiles de sa volière de sons — sainte Felix de Saint-Denis !
Vous l’aurez compris, Tristan Felix est une artiste totale : poésie, chant, mime, théâtre de marionnettes et d’ombre, art vidéo, performance, photographie : soit les 7 arts encore vivants.
P.-S : Elle produit tellement qu’elle a plein de manuscrits inédits, forcément (quel éditeur pourrait suivre un tel rythme ?). Mais aussi beaucoup de textes et de livres publiés – dont LIBR-CRITIQUE.COM se fait souvent l’écho. [Lire « Suis trans par défaut »]