Cahiers Sade 2 : « Penser l’imagination », éditions Les Cahiers, juin 2023, 312 pages, 29€, ISBN : 979-10-95977-08-7. [Commander]
[Lire l’article de Carole Darricarrère]
Dans ce très beau Cahier Sade 2, sous sa couverture noire niellée argent, plusieurs spécialistes de Sade (notamment Michel Delon et Patrick Wald Lasowski) développent les analyses les plus fouillées de l’œuvre d’un écrivain devenu l’objet littéraire par excellence. En regard, quelques artistes font ressortir son actualité brûlante et salutaire, au plus vécu.
Tel Sylvain Martin, le maître d’œuvre de la prometteuse série, qui a attendu ce deuxième numéro pour révéler les arcanes de son art de metteur en scène de théâtre. Notamment celui de Sade, dont il a joué avec sa troupe en 2017 en diptyque Le Comte Oxtiern ou les dangers du libertinage et L’Égarement de l’infortune. Plusieurs photographies (de H. Bellamy) montrent comment est réintégrée dans le théâtre (« édulcoré », reconnaît Sylvain Martin) d’un génie Jean sans terre aspirant à devenir gent de lettres (à gagner une « honorabilité littéraire ») toute la puissance de ses œuvres maîtresses : par des « artifices (fumée, effets de lumière […]) », mais surtout par un jeu de « coulisse » inversant la représentation théâtrale en laissant aux spectateurs le choix de « découvrir, par l’intermédiaire de petites fentes pratiquées dans les paravents », les scènes les plus crues et cruelles inventées par le romancier. Écho, mutatis mutandis, d’un épisode célèbre de La Nouvelle Justine où le son seul (d’un mugissement de douleur), coupée l’image, est préféré au spectacle.
Invention scénique et direction d’acteurs actualisent Sade : la principale interprète, d’une délicatesse à l’opposé du plus beau cul du monde, tient crânement tête à son tourmenteur symbolique en articulant son texte, torero entièrement drapé de blanc le provoque de sa muleta, aux remerciements repose dans ses bras éclairée par un sourire malicieux.
Tel Jacques Cauda. Le saisissant contraste entre ses peintures d’art brut brouillant une pornographie des limbes et son érudition à
brûle-pour-point-virgule de lecteur de Plotin et de Hegel donne la clef de son pseudonyme. On est emporté par son texte bondissant de l’aveu biographique de ce qui l’a fait sadien à l’interview de Cauda par Sade qui débouche sur le poème final cisaillé de rejets (« Je me suis enfer / Mé au dehors dans le châ / Teau de chair / À l’ombre / Cache-cache aux yeux des yeux / […] Je me vis comme une / Entaille dessinée à même / La terre l’amour les feuilles […] / / Tuer manger chier / Foutre bien au-delà / Se voir dedans / Le château est comme / Je suis en lui comme je me / Suis caché en moi / J’ai mangé une femme / Pour mieux / La voir »).
Telle Liliane Giraudon, qui à étiage de violence sadienne (« seins goûtés par du crabe / framboises crues quelques nuages / toutes les violettes cachées / où se disloquent les os / comme si nous n’avions jamais existé » noue à son chagrin (« le fichier des défunts / nettement plus fourni / que celui des vivants il se faisait tard / la nuit commençait à tomber / ne plus te revoir ni t’embrasser / longtemps je n’ai pu l’envisager / comme à l’heure qu’il est / avoir peur de toi ») le passage comme une ombre de la philosophie de Sade. Sade le pénultième philosophe, Nietzsche étant le dernier.