Le Livre de la semaine : *ekwo, paru au Dernier Télégramme, éditeur d’une grande exigence… Ensuite, un coup d’oeil dans le rétro pour saluer deux livres importants de ces dernières années… Avant nos Libr-événements…
Le livre de la semaine
► 3773, *ekwo, éditions Dernier Télégramme, Limoges, en librairie depuis le 17 mai 2024, 462 pages, 20 €.
Présentation éditoriale. *ekwo est une recherche patiente, humble et ambitieuse. Recherche littéraire et travail en profondeur de ce qui peut faire littérature autour de motifs précis et récurrents (le cheval, l’architecture, les couleurs, le mouvement…). L’auteur est un artisan au travail qui prend le temps d’aller vers les formes les plus parfaites possibles et qui pense pour le motif autour duquel s’articulent tous les autres, c’est-à-dire qui pense pour la littérature.
extrait :
on parle d’une île
on, un locuteur, qui ?
on parle depuis une île, on parle depuis l’horizon
on parle d’horizon
c’est une voix
la voix dit : l’île apparaît
l’île est boisée (< avec sa couronne de bois sauvages >)
l’île est surmontée de collines
ces collines, cet horizon de collines est comparé (entant que comparable) à une
échine d’âne
on compare l’âne (l’échine) aux collines (le sommet de l’île), par retour.
3773 est né en 1974. *ekwo est son premier livre
► Suzanne DOPPELT, Et tout soudain en rien, P.O.L, novembre 2022, 80 pages, 13 €.
[…] si vous ne filmez que le visible,
c’est un téléfilm que vous faites ou un mauvais roman photo (p. 44).
« Thomas rentre dans le parc comme dans une image et c’est du septième art »… Lieu du spectacle cosmopoétique : un parc de Londres, Maryon Park, « zone champêtre et humide », « lieu hors de tous les autres lieux où l’eau s’amuse avec les images » (p. 62). À cette première phrase fera écho un leitmotiv qu’on peut présenter ainsi : c’est pour « peeping Thomas » (p. 50), flâneur assistant à un spectacle de plein air, qu’au hasard prennent sens les éléments naturels comme les têtes-à-têtes passionnés, que survient telle ou telle épiphanie ; par lui, voyeur/voyant à la fois poète et géomètre, peintre et cinéaste, « le tableau à demi vivant devient un théâtre de verdure » (p. 53), c’est par lui que surgissent les spectres, qu’advient telle ou telle scène de cinéma, que resplendit telle ou telle secrète harmonie. Car, pour Suzanne Doppelt, la Nature est un théâtre où de vivants viviers esquissent parfois de confuses images, qui constituent alors « un vrai drame plastique qu’il faut démêler » (p. 8).
L’effet-Doppelt – sa magie – consiste à conjuguer géométrie, optique et poétique pour mieux parler à nos sens comme à notre esprit, réussir ses tours de passe-passe : d’une part, nous captive une subtile réflexion sur le VOIR qui opère, entre autres, la confrontation entre peinture et cinéma, nous emmenant d’Aristote à Deleuze en passant par Leibniz et Nietzsche, de Vinci à Antonioni via Dürer, Delaunay, Chirico et Calder, ou encore de Nerval à Michaux via Baudelaire, Tchékhov, Proust, Apollinaire et Büchner ; d’autre part, nous donnent à voir l’infini dans le fini, le cosmos dans les choses, et par là même le tournis, des créations kaléidoscopiques et des effets de miroir qui nous rappellent que la vue est vision et la monstration hallucination.
La poésie ainsi envisagée comme machinerie imaginoptique suppose une construction à partir d’un punctum où affleure un trop-plein, un vide par lequel « la réalité déborde » (p. 3) : que la camera obscura soit la chambre noire du photographe ou aussi bien l’espace imaginaire du poète, l’important c’est l’aboutissement, une déréalisation fantasmagorique.
« Et tout soudain en rien » : nulle meilleure formule pour condenser l’univers singulier de Suzanne Doppelt ! /Fabrice THUMEREL/
► Michel GUÉRIN, Le Temps de l’art. Anthropologie de la création des Modernes, Actes Sud, 2018, 432 pages, 27 €. /Jean-Claude PINSON/
« … à force de viser la tangence avec le réel, à travers son côté discontinu et injustifié, de se méfier des symboles où peut-être dorment encore des dieux, l’art dispose-t-il de l’énergie nécessaire pour créer ‘l’écart’ suffisant par rapport aux produits de la communication et du divertissement ? Sans doute commençons-nous à peine à penser la ‘possibilité’ d’un art athée, dont la teneur, ‘toutefois’, ne serait pas réductible aux plans social, sémiotique et communicationnel. Quelle relation un tel art entretiendrait-il avec son passé, c’est-à-dire son histoire ? Garderait-il seulement mémoire de la métamorphose des dieux, comme l’Irréel avait succédé au Surnaturel [l’auteur reprend ici des catégories de Malraux explicitées précédemment] en le trahissant à demi : ou, si l’on préfère, en lui jurant une foi mâtinée de scepticisme ? Que signifie la transition de la dé-divinisation, où les dieux sont encore vaguement présents par leur façon de se retirer, à une absence absolue et ingénue qui les aurait ‘complètement’ oubliés ? » (p. 91).
Libr-événements
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► Dimanche 26 mai, RV à la Villa Gillet(Lyon)…
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