[Chronique] Pascal Boulanger, Vinca Coudé, la grâce d’une guerrière

[Chronique] Pascal Boulanger, Vinca Coudé, la grâce d’une guerrière

août 18, 2024
in Category: chronique, UNE
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[Chronique] Pascal Boulanger, Vinca Coudé, la grâce d’une guerrière

L’œil c’est le cercle et à partir de cet œil, par le pinceau et sa flèche décochée, s’inventent des cibles, des fictions, des paysages dans des paysages où résonnent aussi bien les émeutes du cœur que les rumeurs du monde.

Une co-naissance a lieu dans le lieu même d’un espace ouvert et en extension. Le geste de Vinca Coudé travaille le creusement, il ploie, déploie, reploie le corps même de ce creux, celui de la femme réceptacle qui reçoit et aussi offre un entrelacs de visions et de mouvements ; cônes, collines du dos, des fesses et des seins, allées verticales et courbées des jambes et des bras… Le charnel n’est jamais resserré dans ces peintures, ni fixé, encore moins vociférant et féroce, comme, par exemple, dans les Woman de de Kooning. Le charnel agit plutôt par vibration et rayonnement, sans surcharge, à la fois délié et tendu, libéré et inquiet. Il est inséparable d’une poétique et d’une érotique, avec, sur la toile de lin, des lignes et des traits de couleurs qui suintent (larmes, sang, mouillure du désir), brouillant et même effaçant la masse du corps quand il n’est que pesanteur. Car ce qui se donne à voir avant tout, c’est la jouissance des formes, leur force et leur vulnérabilité, leur poéticité sensuelle.

« Dos au monde », acrylique/encre sur toile de lin libre, 170 x 140 cm, juin 2024

Vinca Coudé, qui a pratiqué des arts martiaux, intériorise, sédimente et lance des formats et des vitesses, des souffles et des vides, rejouant en guerrière des cycles entamés, sans jamais s’encombrer de jouissance narcissique ni de puritanisme abstrait. Son art qui s’incarne loin de l’indifférencié rayonne à la pointe du feu de la vérité ressentie. Les corps ne sont pas en représentation, ils se nouent et se dénouent, s’offrent de dos, de biais, de profil, se voilent par la chevelure, se dévoilent dans les rondeurs apaisantes et maternelles. Se dévoile aussi le dessous des choses, le dessous de jupes soulevées en quelque sorte, là où se joue le désir, ponctué par des coulées colorées de brun, de noir, de sang ou bien de bleu, de blanc et de larmes. Il y a dans les peintures de Vinca Coudé une puissance d’abandon et de grâce, une ouverture qui n’est rendue possible que par une déchirure. Il y a aussi une fragilité et même une vulnérabilité qui nous oblige à une distance d’âme. Les points de contact et de cristallisation sont, en effet, ténus et délicats. Ce n’est pas de retrait qu’il s’agit mais d’un tremblement qui met l’espace de la toile à bonne distance, c’est-à-dire entre la lourde promiscuité, les concessions spectaculaires à la rétine et l’absence radicale de tout bouquet. Ces corps de formes et de couleurs sont donc présents mais dans l’éloignement. Ils sont touchants car on sent bien qu’ils mènent une vie secrète ; ils ondulent et flottent comme suspendus et en apesanteur, comme eau-dormante dans l’amour. De cette profondeur intime surgit alors non pas la prise mais la sur-prise devant l’inattendu et pourtant le déjà-là. Le silence de cette peinture n’est pas somnolence mais conscience méditée et multipliée. Et beauté seule.

 »Trêve », acrylique/encre sur toile de lin libre, 140 x 170 cm, juin 2024

Mes déesses ne dévoilent pas leur secret, surtout pas leur regard… nous dit Vinca Coudé. En effet, elles suggèrent plutôt, voilent leur propre essence et dans le mouvement immobile des formes, elles chassent les idées et gardent le geste. Quelle intimité se joue, du coup, entre celui qui montre et celui qui regarde ? Celui qui a des yeux et fixe des vertiges (Rimbaud), naît à lui-même et au monde, il désire dominer le temps – afin de tout peindre – plutôt que d’être dominé par le temps qui est, en dehors de la création, le temps du ressentiment. Le message caché, c’est le temps retrouvé, restitué en couleurs et en lumière. Le geste renouvelé signe enthousiasme et joie, l’exact contraire de la rumination mélancolique.

 »Face au monde », acrylique/encre sur toile de lin brut libre, 160 x135 cm, juin 2024

Les œuvres de Vinca Coudé ne sont pas des images, encore moins des images soumises à l’écran, car une image dévoile tous ses secrets de façon obscène, tandis que la peinture brûle plus fort qu’ici, surtout quand cet ici, celui de notre misère d’époque, n’est que la reproduction technique des corps marchandises. La peinture n’est pas non plus une représentation, elle est bien réelle – elle s’adresse à nous hic et nunc – elle respire, transpire, réfléchit, pleure et sourit. Elle se montre, se cache et médite silencieusement. Et après avoir traversé des silences, des nuits et noté l’inexprimable (Rimbaud), après avoir fait mille détours et repentirs, elle se pose – ayant trouvé quelque chose comme les clefs de l’amour. Elle peut alors se vanter de posséder tous les paysages possibles, car elle a franchi tous les murs des vies précaires, des vies bariolées.

 »Samouraï  » , acrylique / encre sur toile de lin brut libre, 160 x 135 cm, juin 2024

Mais alors nous, passants, voyants et poètes ? Ces peintures ne nous aiment-elles pas ? Elles nous aiment, nous abritent et nous habitent car elles savent ce qu’il en est de la solitude d’aimer : C’est vrai, nous aimons la vie, mais ce n’est pas parce que nous sommes habitués à vivre ; c’est parce que nous avons l’habitude d’aimer (Nietzsche).

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