Dans cette dernière livraison de LIBR-VACANCE, l’Agence tumorale de communication disruptive vous permet de ressaisir l’actualité des dernières semaines de façon libr&critique ; vous aurez également l’occasion de faire le vide pour vivre au futur antérieur notre époque grâce au roman futuriste d’Élisabeth Morcellet…
Bulletin de l’Agence Tumorale de Communication Disruptive
En ces JO du wokisme (sic !), une fausse note, tout de même, venant alimenter un discours réactionnaire qui n’a eu de cesse d’annexer cette trilogie magique Sécurité – Marseillaise – Vive-la-France ! : les déclarations enthousiastes des sportifs-et-spectateurs, « On va/doit gagner à la maison »… Très éloquente sur le sujet, la langue allemande : de « heim » (« à la maison ») à « Heimat » (Patrie), il n’y a qu’un pas – que le Reich a franchi il y a de cela presque un siècle.
Citius, Altius, Fortius…
Pourquoi de tels J. O. (Jeux Obsessionnels) ?
Toujours plus… N’est-ce pas là l’objectif même du capitalisme mondialisé ?
Le sport comme mode de vie ou de domination ? Modèle de Développement-personnel ? Obsession de la capitalisation-spéculation… De quoi produire un jeu-de-société dont le concept serait simple : spéculer sur le nombre de médailles / capitaliser un maximum de médailles…
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Dire que les hauts-dignitaires de l’église catholique pontifient encore dans les médias au XXIe siècle, ignorant la chute du taux de pratiquants en occident et n’ayant cure d’étaler leur inculture à propos des références évoquées lors de la cérémonie d’ouverture des JO-2024… Remarquez, n’ont-ils pas raison, puisque leur discours réactionnaire trouve un écho auprès de toutes les forces conservatrices actuelles – celles-là mêmes qui, identitaires et manif’-pour-toutous en tête, sont toujours aussi prompts à défiler ou à s’insurger contre les droits des néants (migrants, chômeurs, LGBTQI+), qu’à se défiler quand il s’agit de s’attaquer aux nantis ou aux fanatiques ?
Dire que certains (hauts-)dignitaires de l’intelligentsia française font encore des bulles du pape leur bréviaire, y compris en matière de littérature (Lettre du 8 août 2024)… (Le problème n’est pas lié à la (piètre) qualité de cette missive, mais à la place qui lui est accordée : il faut vraiment que notre époque ne sache plus à quel saint se vouer pour qu’elle substitue au gai savoir, à la libido sciendi, aux délices de l’écriture et de la lecture imaginatives une conception qui subordonne la lecture et la littérature à la spiritualité religieuse.) La Réaction se porte de mieux en mieux dans cette fRANCE, (a)mère des arts. (Voilà qui me rappelle que les catholiques n’ont jamais reculé devant rien, allant jusqu’à tenter de récupérer Sartre et Malraux dans des articles et livres navrants).
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* Christian Salmon, « Macron, prince empêché », AOC, lundi 26 août 2024.
Pleins feux sur Vivre jusqu’au futur d’Élisabeth Morcellet
Élisabeth MORCELLET, Vivre jusqu’au futur, éditions Douro, coll. « Présences d’écriture », 2024, 240 pages, 20 €.
Présentation éditoriale. Ce récit poétique, entre autofiction, journal et anticipation, traque une mémoire fugitive, amoureuse, humaine et artistique, celle d’un passé au futur, advenu de 1995 à 2105. Vrais et faux souvenirs défient les années. Plaisirs ? Angoisses ? De ce vécu subjectif, du je au tu, de ce nous, que reste-t-il ? Les voix semblent répondre à un appel de résistance sereine, à l’instance de ces beautés éphémères, face à une tyrannie sociétale ou technologique. Quel narrateur ou lecteur, résoudra l’énigme de l’avenir et de la planète Terre ? Sommes-nous en train de créer les archives mortifères du monde de demain ? Ici, l’auteur égraine les mots, ou les déploie sur le long fil d’une résonance coïncidence, tel un dessin, possible dessein, à inscrire contre l’amnésie. Îlots et fragments d’existence jalonnent cette narration et tentent une réflexion sur l’être vivant. Face au vertige du néant, quand, donc, et comment, se résoudre au mot fin ?
Vivre notre temps au futur antérieur (ou au conditionnel passé) /Fabrice Thumerel/
J’écrivais partout à chaque ouverture mentale,
m’attachant au fil poétique du vécu. En fin de semaine
mes expéditions prenaient allures de marathon.
L’écrit me ressemblait (p. 112).
De quoi s’agit-il ? D’une autofiction poétique où se croisent un elle et un il, un je et un tu… D’un journal de réflexion sur la création artistique… D’un texte expérimental qui s’avère inventif au plan formel, jouant sur la typographie, alternant romain et italique, interrogatif et exclamatif, style télégraphique et style électrique… D’un récit d’anticipation qui permet au lecteur de vivre jusqu’au futur antérieur, en passant par moult étapes qui s’étalonnent de 1995 à 2105 : d’abord, trois décennies (1995 à 2015 : Action – Scénarisation – Transformation), puis deux dates pivots (2020 – « Inscription » – et 2025, début de la projection dans un avenir proche des prévisions actuelles : désertification, rareté des ressources et conflits, disparition de la pensée critique mais « chaque humain devient écrivain », aréseaunement sur le net… « La société croit encore en son progrès et en son intelligence artificielle pour opérer les mutations vitales ») ; enfin, selon un rythme croissant, le rythme décennal reprend jusqu’en 2105, où est fondé un « laboratoire de la sauvegarde humanoïde » (p. 218), via des mutations diverses (2035 – Connexion : « Toujours plus vers le futur de l’inhumanité ? » ; 2045 – Transmission : « L’individu devient-il une plateforme médiatique d’échanges et de partages codifiés ? » ; 2055 – Transfusion : sur cette Terre devenue irrespirable, coexistent des humains, des robots et des hybrides ; 2065 – Hybridation, 2075 – Propulsion, 2085 – Dispersion, 2095 – Fiction).
Nous avons même affaire à un récit d’anticipation qui s’achève sur une anticipation : « Il serait essentiel de reconsidérer plus amplement ces traces, ce qu’il en restera, afin de reconstituer les méandres manquant du cerveau primitif qui est à l’origine de notre conception vitale. » (Car les innovations technologiques du XXIe siècle ont évidemment produit des mutations de la psyché humaine). C’est dire que nous sommes invités à reconsidérer et retotaliser le parcours depuis la « Reconstitution » finale (p. 221-238) : en renouvelant la circularité du roman moderne – la fin renvoyant au début et éclairant le tout –, Élisabeth Morcellet trouve un moyen efficace de pallier une fragmentation excessive. La temporalité des lecteurs est donc le futur antérieur, et même le conditionnel passé vu le degré d’incertitude qui régit la reconstitution des données historiques, comme dans ce passage évoquant la performance poétique : « La diction et l’oral, accompagnés de techniques d’enregistrement, auraient opéré le renversement de l’écrit, de plus en plus conçu pour l’audition finale » (p. 231). Réduit à une série de vestiges, notre monde perd de son prestige ; distancié et relativisé, notre sens pratique – qui regroupe l’ensemble de nos expériences – doit faire place à une expérience radicale puisque anthropologique : nous devons renoncer à cette utopie de la certitude qui caractérise un pouvoir instrumentarien mis en place par le capitalisme de surveillance (Zuboff) pour nous interroger sur les déterminations de notre monde et ses devenirs virtuels et souhaitables. On pourra même commencer par questionner cette forme d’écriture présentée comme disparue au XXIIesiècle : la fiction.
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Excellent article !